Le peuple argentin exige justice au FMI. Qui la rendra ?

, par Internacional progresista , FORTON Jac (trad.)

En 2018, le FMI a octroyé le plus important prêt de son histoire à l’Argentine : 56,3 milliards de dollars. En décembre 2021, il a publié une surprenante révision interne de son accord à ce prêt de 2018 à l’Argentine qui reconnaissait des erreurs systématiques dans la conception et la remise du prêt, et qui violait ses propres statuts. Malgré les avertissements répétés de son personnel, le FMI n’a pas accompli son devoir de due-diligence [1] dans la concession du plus grand prêt de son histoire.

Congret de la République d’Argentine, Buenos Aires
Crédits : Nestor Barbitta via unsplash

Ces deux derniers mois, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de mon pays, l’Argentine, pendant que le Parlement débattait du remboursement du prêt accordé en 2018.
Pendant des décennies, le Fonds monétaire international a fait souffrir mon peuple. L’engagement du FMI en Argentine suit toujours un modèle bien connu : les prêts sont accompagnés d’exigences de coupes dans les services publics, les salaires et les allocations, et de la vente du domaine public. La richesse de quelques uns doit être protégée contre les demandes de la majorité, semblent dire les technocrates et les gérants des prêts. Les résultats sont maintenant aussi tragiquement connus : les inégalités, la pauvreté et la précarité explosent.

On pourrait penser que nous avons appris la leçon mais en 2018, le FMI a concédé le prêt le plus important de son histoire à l’Argentine : 56,3 milliards de dollars US.

Le moment choisi pour octroyer ce prêt n’est pas dû au hasard car il s’est réalisé juste avant les élections présidentielles. Les détails furent cachés au public et à ceux d’entre nous au Parlement chargé de la supervision. Notre ministre de l’Économie, Martín Guzmán, a déclaré que le représentant des États-Unis au Directoire du FMI a admis alors que l’intention était que le prêt influe sur les élections en faveur du candidat de la droite, Mauricio Macri, alors allié du président états-unien Donald Trump. Le pari du FMI pour la réélection de Macri fonctionnait quel que soit le résultat. Si le candidat Alberto Fernández gagnait [2], il se retrouvait enchaîné aux difficiles conditions du prêt, y compris un remboursement de 20 milliards de dollars prévu pour 2022. Il en fut ainsi, le candidat probablement préféré du FMI a perdu, mais le gagnant s’est retrouvé avec le prêt du perdant. Le gouvernement Fernández s’est vu accablé par le poids de milliards de dollars de remboursement au beau milieu d’une pandémie et alors qu’il était enlisé dans des négociations avec le Fonds pour obtenir de meilleures conditions de remboursement. En attendant, nous observions comment le prêt permettait aux riches de sortir leur argent du pays. Sans se troubler, le FMI a continué à débourser chaque tranche du prêt ce qui, pratiquement, signifiait le financement conscient de la fuite des capitaux et laissait mon peuple en souffrir les conséquences.

Plusieurs d’entre nous ont commencé à mettre en doute la légalité de ce prêt. Maintenant, nous en avons la preuve. En décembre 2021, le FMI a publié une surprenante révision interne de son accord de prêt de 2018 à l’Argentine. Le rapport reconnaissait des erreurs systématiques dans la conception et la remise du prêt. Non seulement il violait nos lois ici en Argentine, mais aussi les propres statuts du FMI. Malgré les avertissements répétés de son personnel, le FMI n’a pas accompli son devoir de due-diligence dans la concession du plus grand prêt de son histoire.

L’évidence est claire mais il semble qu’il n’existe aucun mécanisme établi pour rendre des comptes et rendre justice, un rappel douloureux du niveau d’impunité dans lequel le FMI opère. Cependant, l’histoire de mon pays n’est pas unique. Notre voisin l’Équateur avait négocié un prêt auprès du FMI en 2020 qui l’a obligé à licencier des milliers de travailleurs de la santé publique et à privatiser la Banque centrale, ce qui a provoqué une grave récession et une augmentation de la pauvreté. Les peuples de la Grèce, du Pakistan, du Kenya et de plusieurs autres pays ont souffert d’une façon toute similaire.

C’est l’heure de changer l’histoire. Le Fonds doit rendre des comptes. Il doit y avoir des conséquences pour le dommage permanent infligé à la population de pays comme le mien. Mais qui rendra la justice que nous recherchons avec tant de désespoir et de détermination ?

Il existe une voie de justice disponible que nous devrions utiliser : faire que la Cour internationale de justice (CIJ) ouvre une enquête sur le FMI pour ses prêts illégitimes.

Il est clair que le FMI a donné son aval au processus de la fuite des capitaux qui a suivi la concession du prêt à mon pays. Il est clair qu’il a agi contre ses propres statuts et les articles de l’accord en ce qui semble avoir été l’intention éhontée de suivre l’agenda de son principal contributeur (le gouvernement des États-Unis), aux dépens d’un pays aux profondes difficultés financières. Le FMI a l’obligation de réparer les dommages causés à notre peuple lorsqu’il a accordé ce prêt. Nous devons réclamer justice pour cette tragédie que nos communautés ont dû supporter et exiger des réparations.

En Argentine, nous voyons comment l’histoire se répète une fois de plus : le FMI continue à agir en toute impunité en imposant sa forme de colonialisme financier sans jamais rendre compte pour les dégâts qu’il entraine derrière lui. En portant ce dossier auprès de la CIJ, l’Argentine peut clamer sa souveraineté, montrer que le FMI n’est pas hors d’atteinte de la justice internationale et préparer le chemin pour que d’autres pays suivent son exemple.

Fernanda Vallejos est une économiste et une femme politique argentine, ex députée nationale élue pour la Province de Buenos Aires. Elle a travaillé comme conseillère au ministère de l’Économie et au Parlement. Elle est coordinatrice de la nouvelle organisation politique Finances des Soberanxs [3].

Voir l’article original en espagnol sur le site Internacional Progresista

Notes

[1La vérification diligente est l’ensemble des vérifications qu’un éventuel acquéreur ou investisseur va réaliser avant une transaction, afin de se faire une idée précise de la situation d’une entreprise (Wikipedia)

[2De l’alliance Frente de Todos, centre gauche.

[3« Souverains » écrit avec x pour inclure masculin et féminin selon la nouvelle écriture inclusive utilisée en Argentine

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Initialement publié en espagnol le 10 mars 2022, cet article a été traduit par Jac Forton, traducteur bénévole pour ritimo.
Cet article est également disponible en espagnol sur notre site.