Cet article a été publié initialement en anglais par Inter Press Service (IPS). Il a été traduit par Amandine Millioz, traductrice bénévole pour rinoceros.
Mexico DF, 1er Septembre 2010 (IPS) - Les militants latino-américains ont été incités par les atrocités telles que le récent massacre de 72 migrants près de la frontière des États-Unis à intensifier leurs efforts en faveur des droits des migrants.
« Nous souhaitons créer un front commun entre les organisations non gouvernementales (ONG), les refuges pour migrants, et les défenseurs des droits pour créer un système qui aide les migrants à identifier les zones les plus dangereuses et à comprendre comment les groupes criminels opèrent afin qu’ils puissent les éviter. », confie le militant Mexicain Rubén Figueroa à l’IPS.
Figueroa, qui est lui-même un ancien migrant, fournit assistance aux migrants sans papiers à Huimanguillo, dans l’État de Tabasco, à environ 700 km au Sud-est de Mexico DF.
Chaque année, des centaines de milliers de migrants latino-américains traversent le Mexique du Sud vers le Nord, en passant par les États de Tabasco, Chiapas, Oaxaca, Vezacruz et Tamaulipas, dans leur tentative pour atteindre les États-Unis.
En chemin, ils sont assaillis de toutes parts, subissant les abus de la police corrompue, des gangs de rue, des trafiquants de drogue et de ravisseurs.
Depuis les épouvantables meurtres, le 23 août, de 72 migrants originaires de différents pays dans un ranch de l’État de Tamaulipas au Nord-est du pays, les militants ont débattu des moyens de renforcer l’assistance qu’ils offrent aux migrants et d’attirer l’attention sur les abus et les combattre.
Les difficultés rencontrées par les migrants qui essaient de passer du Mexique aux États-Unis ont augmenté « exponentiellement » depuis 2002, déclare à l’IPS Miguel Ugalde, le chef du programme sur les migrations de l’Université Jésuite Rafael Landívar au Guatemala.
« Avant, ils passaient la frontière plus régulièrement ; ils pouvaient rentrer passer les vacances dans leur village et leur ville. », dit-il. « Mais avec ce massacre, on est vraiment arrivés à un paroxysme. L’utilisation de migrants en tant qu’instruments du crime organisé a atteint un très haut niveau de sophistication, avec une cruauté et une brutalité sans précédent. »
Le programme dirigé par Ugalde fait partie d’une large alliance, comprenant l’Église Catholique et des ONG, qui se consacre à la protection des migrants par le biais de campagnes éducatives sur les dangers de se rendre aux États-Unis sans visa.
Les groupes gèrent également des refuges pour les migrants sans papiers au Guatemala et dans les États Mexicains de Chiapas, Oaxaca et Veracruz, ainsi qu’à Mexico DF.
Dans l’État de l’Arizona, au Sud-ouest des États-Unis, le groupe humanitaire ‘Humane Borders’ aide ceux qui s’aventurent dans le désert en entretenant des points d’eau, dans le but de réduire le nombre de décès de migrants dans les zones frontalières inhospitalières.
L’alliance d’ONG cherche à influencer la Conférence Régionale sur les Migrations, « pour sensibiliser davantage sur le fait qu’il s’agit d’un phénomène régional et non d’un problème interne à chaque pays. Et sur le fait que les tous les gouvernements doivent travailler ensemble pour gérer le phénomène de migration », dit Ugalde.
La Conférence Régionale sur les Migrations, un organisme intergouvernemental réunissant 11 pays — le Belize, le Canada, le Costa Rica, la République Dominicaine, le Salvador, le Honduras, le Guatemala, le Mexique, le Nicaragua, le Panama et les États-Unis — est née en 1996 dans le but de promouvoir le dialogue et la coopération sur les migrations internationales dans un contexte de développement économique et social.
Les corps des 72 migrants, dont 14 femmes, retrouvés le 24 août avaient été attachés, les yeux bandés et alignés contre le mur d’un ranch de San Fernando, au Tamaulipas. Ils ont vraisemblablement été tués par le cartel de la drogue Los Zetas, qui est également impliqué dans l’enlèvement et l’exploitation des migrants.
L’unique survivant, Luis Freddy Lala, un Équatorien de 18 ans, a parcouru 22 kilomètres avec une blessure par balle au cou, jusqu’à atteindre un poste de contrôle militaire. Lala, qui était sous protection rapprochée au Mexique, est rentré dans son pays d’origine le 29 août par mesure de sécurité, bien qu’il doive revenir plus tard pour prendre part à l’enquête sur le massacre.
Les agents équatoriens ont demandé aux médias de ne pas essayer de localiser Lala ni de chercher à l’interviewer, pour sa sécurité. Ils ont également mis en place une ligne téléphonique — 593 2 240 3088 — pour prendre les appels de personnes ayant perdu la trace de membres de leur famille se rendant aux États-Unis ou au Mexique.
Jusqu’à présent, les corps de 40 victimes ont pu être identifiés : 15 Honduriens, 13 Salvadoriens, six Équatoriens, cinq Guatémaltèques et un Brésilien.
« Nous avons connaissance de ce massacre parce qu’un Équatorien a survécu et parce qu’avec un énorme courage, il a réussi à parcourir deux douzaines de kilomètres et à faire connaître l’attaque. », dit la sœur Lelis da Silva, directrice adjointe de la conférence Pastoral de Movilidad Humana des Évêques catholiques équatoriens (charge pastorale pour les migrants et les réfugiés).
« Mais il est très difficile d’établir quand, où et comment un migrant disparaît. », dit-elle à l’IPS.
Da Silva fait partie des Sœurs Missionnaires de St. Charles Borromeo - Scalabriniennes, dont la mission particulière est d’aider les migrants ; elles tiennent des refuges tout au long de la route à travers l’Amérique Centrale et le Mexique.
Il y a des douzaines de refuges pour migrants au Mexique, en particulier aux points clés le long des routes principales empruntées par les migrants, où ils affrontent d’innombrables risques, et d’abord celui de devenir les proies de ravisseurs ou d’autres criminels.
Les groupes qui tiennent les refuges s’attendent maintenant à une baisse du flux de migrants, par peur de massacres du même style que celui de Tamaulipas, mais ils disent que ce flux devrait finalement revenir à la normale.
« Avec nos faibles ressources, nous intensifions l’aide que nous offrons, même si les risques augmentent. », dit Alejandro Solalinde, un prêtre qui dirige la Pastoral de la Movilidad Humana de la Conférence des évêques mexicains ainsi que le refuge pour migrants Hermanos en el Camino à Ciudad Ixtepec, dans l’État d’Oaxaca.
« Nous devons mettre davantage la main à la poche, pour se montrer solidaires avec nos frères et sœurs migrants. ». dit-il à l’IPS.
Le centre aide entre 100 et 150 migrants tous les trois jours, en leur offrant un lit, des plats chauds, et des soins médicaux de base.
De septembre 2008 à février 2009, 9758 enlèvements de migrants ont été signalés au Mexique, d’après un rapport spécial de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), organisme gouvernemental.
Cette étude dit que les ravisseurs demandent des rançons aux familles des victimes aux États-Unis ou dans leur pays d’origine, allant de 1500 à 5000 dollars.
Víctor Herrera, le président de la Mesa Nacional para las Migraciones en Guatemala (Bureau National des Migrations au Guatemala - MENAMIG), dit à l’IPS qu’aujourd’hui « nous ne parlons plus du rêve américain, mais du calvaire américain », à cause de tous les risques encourus pour atteindre les États-Unis sans les papiers appropriés.
« Les pays dans la région devraient alerter leur population sur les dangers, et protéger les droits humains des migrants. », dit Herrera.
A l’occasion d’une réunion de la Pastoral de la Movilidad Humana du 30 août au 2 septembre dans la ville de Nogales, au Nord-ouest de l’État Mexicain de Sonora, quelque 150 délégués de tout le pays ont rencontré une délégation des États-Unis pour parler des abus contre les migrants et d’autres problèmes.
« Nous devons avancer, de la douleur de l’indignation à des propositions concrètes. », dit Solalinde. « L’Eglise doit faire plus, et beaucoup doivent faire ce qu’ils sont censés faire. »
*Avec les reportages supplémentaires de Danilo Valladares au Guatemala et Gonzalo Ortiz à Quito.