En 2021, 106 féminicides ont été enregistrés en Colombie – et le système d’enregistrement de ces crimes laisse largement à désirer, avec un bilan global potentiellement bien plus élevé. Le confinement lié à la pandémie de Covid-19 a rendu l’espace domestique encore plus dangereux pour les femmes, et le gouvernement a été encore plus lent à prévenir les cas de violence. Les emplois féminins (travail domestique, sexuel, informel) ont été plus durement touchés par les restrictions, approfondissant de fait la dépendance et la vulnérabilité des femmes face à la violence de genre. En 2020, plus de 90 % des cas de violence domestique contre les Colombiennes ne dépassent pas le stade de l’enquête policière et seuls 7 % passent devant les tribunaux. Pour le mouvement du féminisme politique, le système judiciaire a abandonné les femmes.
Face à cette situation dramatique, Estamos Listas (« Nous sommes prêtes ») est un mouvement émanant de la base, né en 2019 à Medellín, qui vise à construire une démocratie féministe par la redistribution du pouvoir et des richesses pour que la justice soit rendue aux femmes. Le mouvement soutient notamment Francia Marquez et Angela Robledo, deux pré-candidates progressistes à la campagne présidentielle qui aura lieu en 2022. Marquez est une dirigeante sociale afro-colombienne reconnue pour son engagement en faveur de l’environnement au coeur du Cauca, la région la plus durement touchée par le conflit armé. Robledo, quant à elle, a été députée pour l’alliance de centre gauche verte à Bogota.
La lutte pour accéder au système politique est inévitable, selon ce mouvement. Indépendant des partis politiques établis, il œuvre à rassembler des signatures de sénateur·rices pour accéder au statut de parti indépendant. L’objectif : féminiser l’État. En soutenant ces deux pré-candidatures, Estamos Listas fait partie d’un « pacte » progressiste de personnalités politiques féminines et féministes à même de donner aux citoyen·nes les moyens d’avancer vers un changement structurel.
Les militantes d’Estamos Listas mènent des campagnes de lutte contre les violences faite aux femmes dans toutes les sphères de la société. Elles oeuvrent à faire reconnaître la valeur économique et politique du travail reproductif et du care, de la défense de la vie, par-delà la propriété privée, les intérêts économiques et l’agenda anti-droits de la nouvelle droite dure et conservatrice dans le continent – anti-droits des femmes, de la communauté LGBTI, des communautés rurales et autochtones, des travailleur·ses, etc. Elles se veulent la voix de celles qui n’en ont plus et un vecteur pour panser les plaies du conflit armé. La représentation politique est une opportunité pour changer le discours guerrier qui prédomine dans les sphères politiques colombiennes, pour se centrer enfin sur un discours de vie, un discours qui soit à même de transformer structurellement les inégalités.