Face aux monopoles de l’information, qui produisent une information uniformisée du monde laissant totalement de côté les diversités, quelle communication peut permettre de relayer les luttes et les mouvements de résistance des femmes ? C’est à cette question que ce sont attelés les responsables de cet atelier – Ritimo, Ciranda et Intervozes, dans le cadre du Forum mondial des médias libres.
« Notre conception du monde est prisonnière d’une catégorisation des individus en 2 groupes : hommes et femmes. Cette conception reprise par l’école, par le cercle social, par la culture dominante ne laisse pas la possibilité aux individus de s’identifier autrement, cela renforce les divisions » rappelle Erika Campelo, de Ritimo, animatrice de cette table-ronde.
Reprenant à leur compte cette division du monde, les médias traditionnels traitent les sujets liés aux femmes de manière stéréotypée et sexiste. Le droit à l’information et à la communication est une condition nécessaire pour parvenir à un traitement médiatique plus équilibré et diversifié. La mise en relation des organisations et des mouvements sociaux qui luttent contre les violences faites aux femmes et défendent leur dignité est aussi primordiale pour produire davantage d’informations antisexistes, antiracistes, antipatriarcales.
Julienne Lusenge, directrice de la SOFEPADI (Solidarité féminine pour la paix et le développement intégral) en République démocratique du Congo revient sur le contexte des violences faites aux femmes dans son pays : « La guerre perdure depuis 20 ans et des atrocités sont commises quotidiennement dans les villages, dans cette guerre, le corps des femmes est utilisé comme chair de bataille ». Pour combattre les violences sexuelles et appuyer les victimes, la SOFEPADI, créée il y a 16 ans par 8 femmes journalistes, propose un travail holistique. Des soins médicaux sont proposés aux femmes victimes de violences, elles sont accompagnées dans leur démarche judiciaire, sont prises en charge psychologiquement, sont appuyées dans leur réinsertion économique. La SOFEPADI soutient également les enfants issus de ces viols en les soutenant financièrement pour qu’ils continuent à étudier. Sur quels instruments s’appuie l’association pour lutter contre les violences sexuelles ? « Nous avons en RDC des textes pour défendre les droits des femmes, mais le problème reste qu’ils ne sont pas appliqués », déplore Julienne Lusenge. Elle propose donc également des formations à destination des femmes, notamment les leaders d’organisation, pour les sensibiliser à leurs droits. L’autre outil essentiel qui a permis de faire parler son combat est l’utilisation des radios traditionnelles : « Les gens se promènent partout avec des postes de radio pour suivre les nouvelles, nous avons donc proposé des émissions en langues locales et diffusé des spots de sensibilisation ».
En contexte de guerre, il est particulièrement important de mobiliser les populations, qu’une solidarité s’installe au-delà des différences d’appartenance tribale : les femmes ont été les premières concernées par ces émissions de radio. Les messages des spots publicitaires, sans équivoque (« Quand tu violes une femme, c’est comme si tu violais ta mère ») ont même fini par sensibiliser les hommes. « Les médias nous aident à réveiller les consciences mais les canaux traditionnels parlent encore mal de nos combats et les propos sexistes détruisent complètement nos messages, la seule solution à terme pour remporter plus de victoires est d’avoir nos propres médias et canaux de communication », conclut Julienne Lusenge.
Loreto Bravo, coordinatrice mexicaine de la Radio Palabra, poursuit avec l’importance de travailler avec les technologies pour rompre avec le système patriarcal. Au Mexique, il existe une agence de presse féministe qui produit et diffuse des informations sur les luttes des femmes pour les porter à la connaissance de l’opinion publique. « Des thèmes comme le féminicide, la violence machiste dans la rue, sont des thèmes invisibles dans les médias traditionnels ou quand ils en parlent, c’est pour nous poser en tant que victimes mais nous ne sommes pas des victimes » tempête Loreto Bravo. Le rôle des communicantes populaires est de faciliter l’information auprès des femmes dans les communautés. Selon Loreto, c’est une manière efficace de dénoncer puis de combattre la violence qui s’exerce contre les femmes à l’intérieur des communautés. Dans les zones rurales, de nombreuses femmes utilisent leur téléphone, même non connectés, pour documenter des cas de violations de leurs droits ou pour enregistrer des témoignages. Loreto n’est pas pour autant naïve sur les difficultés amenées par les technologies : « On sait aussi que ces technologies menacent notre vie privée et notre sécurité et en tant que féministes, nous devons mettre en place des formations à l’apprentissage des technologies et dans une vision critique de celles-ci ». Elle rappelle aussi l’aspect patricarcal des technologies. Internet n’est pas la grande place publique imaginée à ses débuts, c’est devenu un « centre commercial où les femmes ont été exclues et où quelques hommes imposent leurs règles et leur domination ».
Le défi de Loreto et des autres communicantes populaires féministes en Amérique latine est donc de construire un nouvel internet, de nouvelles infrastructures de communication où le fossé numérique serait comblé et la violence en ligne supprimée, en inventant de nouvelles manières de partager l’information.
« Aujourd’hui, nous devons faire attention à ne pas nous faire voler nos informations, à ne pas nous faire attaquer, diffamer ou censurer, pour changer la donne, nous avons la tache de libérer nos radios communautaires, en utilisant du matériel libre, et en abolissant les relations de genre à l’intérieur des médias, et de faire grandir le mouvement cyberféministe ». Les technologies ont beaucoup appuyé les revendications politiques et sociales en Amérique latine : les femmes activistes ont par exemple utilisé la technologie pour faciliter la diffusion de l’information sur le droit à l’avortement, qui reste un crime dans la plupart des pays de la région et où des milliers de femmes sont en prison pour avoir avorté. Avec des applications codées, les féministes ont facilité l’accès à l’info pour ces femmes-là, afin qu’elles obtiennent des médicaments et pour leur éviter d’aller à l’hôpital et donc d’être criminalisées.
« Le cryptage sur Internet peut sauver la vie des femmes » rappelle Erika Campelo.
Bia Barbosa, journaliste et membre d’Intervozes, explique le travail des communicantes brésiliennes pour la cause des femmes. « Les mouvements féministes dénoncent la marchandisation du corps des femmes dans les médias depuis trop longtemps, au Brésil mais aussi partout ailleurs, en créant leurs propres espaces de communication ». Au Brésil, l’année dernière, une campagne sous le hashtag #monamisecret incitait les femmes brésiliennes à raconter une histoire d’agression sexuelle, de violence sexiste ou machiste. « Cette campagne a fait du bruit car les gens ont découvert que pratiquement toutes les femmes avaient subi une agression » raconte Bia. Les féministes brésiliennes ont alors fait un énorme travail de dénonciation de la culture du viol au Brésil, avec l’appui des médias traditionnels. « On a porté plainte en justice par rapport au traitement des femmes dans les médias (droit de réponse) ou dans les publicités et certaines pubs ont été retirées et leurs annonceurs condamnés » renchérit la journaliste. Point positif : les sondages réalisés par Intervozes confirment que 75 % des femmes brésiliennes ne se reconnaissent pas dans les images des femmes véhiculées par la publicité.
Sortir de cette ornière demande cependant un lourd travail et Bia croit beaucoup en la construction d’un réseau Femmes et Médias qui contrerait un narratif des médias traditionnels qui légitime la violence que les femmes vivent chaque jour.
En savoir plus :
www.sofepadi.org
www.radiopalabra.org
www.intervozes.org.br
Quelques sites pour améliorer sa sécurité digitale :
www.securityinabox.org
www.ttc.io/zen
www.prism-break.org