Éthiopie, entre pauvreté et développement

Le défi agricole, le défi de la faim

, par CRISLA

Alors que l’agriculture emploie plus de 80 % de la population active, la sous alimentation touche 40 % de la population… L’Éthiopie est au 4ème rang mondial pour le nombre de personnes sous-alimentées (après l’Inde, la Chine et le Pakistan).
Pourtant la production agricole représente 45 % du PIB et 90 % des exportations et le cheptel éthiopien est le premier d’Afrique (35 millions de bovins).
Les produits agricoles exportés sont, en premier lieu le café (dont l’Éthiopie est le berceau historique), puis les cuirs, les fleurs et le khat (plante hallucinogène consommée dans les pays de la région).

Les produits agricoles importés sont essentiellement des céréales, en particulier du blé et du sorgho (500 000 à 1 million de tonnes au titre de l’aide alimentaire plus 300 à 800 000 T commerciales) et, en second, l’huile de palme.
La production de céréales du pays croît et atteint 18 millions de tonnes par an, mais la production par habitant stagne autour de 150 kg/an/hab, avec des creux les années de famine. Les prix agricoles ont fortement augmenté depuis 2008.

Le principal défi du pays est donc que la production croisse plus vite que la population. En attendant, l’Éthiopie est le principal bénéficiaire de l’aide alimentaire mondiale.

Les conditions de production agricole sont très diverses dans ce grand pays, suivant l’altitude, la pluviosité, l’histoire et les systèmes de tenure foncière.
Les hauts plateaux du centre du pays concentrent la majorité de la population avec de très petites exploitations, souvent inférieures à 1hectare, non mécanisées : labours à l’araire, tirée par des bœufs.

Labours à l’araire. Photo : Odile Schmitt

La céréale emblématique est le teff, base de l’alimentation. L’élevage y est partout présent (bovins, ovins, caprins, ânes, chevaux, chameaux…).

Le battage du teff. Photo : Odile Schmitt.

La pression foncière entraîne la mise en culture des pentes (terrasses) et le déboisement et donc la fragilité des sols. Heureusement l’introduction de l’eucalyptus (du temps de l’empereur Ménélik II) donne du bois à repousse rapide pour tout usage (charbon de bois, bois de construction, fixation des sols…).
La tentation des gouvernements successifs a donc été le transfert de population, plus ou moins forcé, vers les terres basses du sud et de l’ouest, plus arrosées et moins exploitées. Mais, d’abord au temps de la dictature du Derg, puis plus récemment en 2003 (projet de déplacer 1,5 millions de personnes), c’est toujours un échec (zones de paludisme, manque d’infrastructures d’accueil).

Les basses terres de l’est (Afar et Somali) sont essentiellement pastorales et particulièrement touchées par les sécheresses.

Les zones irrigables : Dans la vallée de l’Awach (dépression du Rift) et à l’ouest et au sud, de grandes fermes agro-industrielles se sont développées. Les fermes d’État, pendant la période du Derg, ont englouti beaucoup de moyens pour peu de résultats. C’est dans ces zones que la privatisation et l’accaparement des terres est le plus redoutable, aux dépens des pasteurs et des tribus autochtones .
Pour libérer les terres proposées aux investisseurs, les populations disséminées sont soumises à la « villagisation », une politique de regroupement forcé dans les villages, dans les plus mauvaises conditions .

Les principales cultures industrielles sont la canne à sucre (y compris pour les agro-carburants), le coton, les fleurs, le thé et le palmier à huile.

Que fait le gouvernement pour assurer la sécurité alimentaire ?

Les dépenses pour l’agriculture représentent 15 % des dépenses publiques, ce qui est un ratio relativement fort.
En 1975, « lors de la réforme agraire, toutes les terres agricoles furent promulguées « biens collectifs » et devinrent de fait « propriété » de l’État. Les associations paysannes attribuèrent aux familles qui le souhaitaient quelques acres à cultiver et un droit d’usufruit de parcelles n’excédant pas 10 hectares. En réalité, une partie de la population fut exclue de cet arrangement : les pasteurs, par exemple, qui représentent environ 12 % de la population, n’y ont pas été associés. »

Le PAM (Programme Alimentaire Mondial) a secouru plus de 7 millions de personnes en 2011 (année de sécheresse). Il construit actuellement une base logistique à Djibouti, puisqu’en effet, un quart des bénéficiaires du PAM se trouvent dans la corne de l’Afrique.

Différents organismes étatiques sont mis en place pour éviter la famine ou y remédier :
L’absence de mécanisme de stockage alimentaire et de plan d’alerte a contribué à de nombreux épisodes dramatiques de famine. L’Éthiopie a ainsi développé un système de gestion des catastrophes assez efficace, basé sur l’évaluation conjointe semestrielle, les plans d’urgence biannuels, et de solides mécanismes de coordination.
Ainsi, l’EFSRA (Emergency Food Security Reserve Authority) est un système qui permet de gérer un stock régulateur à court terme d’articles et de produit de base qui servent aux interventions d’urgence.
L’EGTE (Ethiopian Grain Trade Enterprise) est un programme qui vise la stabilisation des marchés agricoles et la répartition des stocks sur le territoire (de l’ordre de 800 000 tonnes).
Le Programme national de filet de sécurité productif (PNSP) permet aux ménages en situation d’insécurité alimentaire de gagner un revenu et de se procurer des aliments en participant à des travaux d’intérêt public à haute intensité de main-d’œuvre, et offre des transferts directs aux ménages dont les membres sont incapables de travailler (20 %). Ce programme touche 7 millions de personnes. Enfin, le HABP (Household Asset Building Program) vise au renforcement des actifs des ménages par des crédits subventionnés.

En conclusion, la lutte contre la faim en Éthiopie est pilotée par l’État, avec peu de recours aux ONG, pour leur préférer les financements internationaux institutionnels. L’enjeu de l’amélioration de la sécurité alimentaire est toujours d’actualité

L’accaparement des terres semble en complète contradiction avec l’objectif de réduire la faim et la pauvreté.

Sur un total de 74 millions d’hectares de terres arables, les autorités éthiopiennes estiment que les agriculteurs éthiopiens en cultivent 17 millions. Elles souhaitent explicitement voir le reste mis en valeur par des investisseurs éthiopiens ou étrangers.
En contradiction avec la Constitution, mais en vertu de la disposition de 1996, le Premier ministre Zenawi a confié à la Banque éthiopienne d’investissement agricole (BIA), agence du ministère de l’agriculture, la mission de soumettre à la location de larges territoires aux investisseurs étrangers. Selon une étude minutieuse réalisée par The Oakland Institute dans un rapport publié en 2011, au moins 3,6 millions d’hectares de terres ont d’ores et déjà été transférés à des investisseurs, chiffre confirmé par Human Rights Watch (HRW) qui ajoute que 2,1 millions d’hectares de terres supplémentaires sont actuellement mis à disposition via la BIA dans des conditions extrêmement attrayantes : prix de location dérisoires et ressources en eau abondantes. HWR précise que les programmes de réinstallation des autochtones concernent le sort de 1,5 million de personnes : 500 000 dans la région d’Afar, 500 000 en Somali, 225 000 en Benishangul-Gumuz, et 225 000 en Gambella.
Le travail d’Agnès Stienne donne des images parlantes du phénomène sur la localisation des terres accaparée en 2013 et montre qui dévore les terres éthiopiennes .

L’entreprise de l’homme d’affaire indien Karuturi a été l’une des plus gourmandes en terres éthiopiennes (310 000 ha), en particulier pour la culture de roses, dès 2007. Cependant elle est aujourd’hui en grande difficulté, comme souligné par l’ONG Grain en février 2014 .
Il semble que ce cas ne soit pas isolé et que « aucune compagnie n’a répondu aux attentes du gouvernement ; même Karuturi n’a pu développer plus de 5 000 hectares » selon Bizualem Bekele du ministère de l’agriculture.
Le National Agriculture Investment Commitee aurait pris deux décisions importantes : limiter à 5 000 hectares les terres allouées à un investisseur étranger et donner la priorité aux investisseurs locaux avec, dans ce cas, une limitation à 3 000 ha.
En attendant, bien du mal a été fait aux communautés pastorales et tribales .

Un autre danger pour l’Éthiopie : l’accaparement du teff

Cette céréale de base, spécifique de l’Éthiopie, est en train de devenir à la mode, en particulier dans les magasins bio et chez les adeptes du « sans gluten » , tout comme le quinoa il y a quelques années. Comme les paysans des Andes ont été dépossédés de cette ressource, les paysans d’Éthiopie risquent de l’être pour le teff qui déjà a beaucoup augmenté sur le marché local.
L’entreprise canadienne Prograin a déjà déposé un brevet sur le teff et cherche à en développer une culture industrielle. Elle se prétend « le plus grand producteur mondial de graines de teff ».

Cette question des régimes de propriété intellectuelle en Afrique risque donc de se retourner contre les paysans éthiopiens .

Sur les hautes terres, où les exploitations étaient déjà très petites, on est toujours dans une agriculture de survie, avec des exploitations autour de 1ha, nécessitant souvent le recours à l’aide alimentaire. Il semble que l’État tente d’assurer un minimum de services : points d’eau aménagés, routes et pistes, écoles, réseau de téléphone mobile, lignes électriques (bien peu de gens peuvent s’y raccorder…), centres de santé, magasins de stockage, etc. pour éviter un exode rural massif qui serait ingérable.