Le conflit du Tigré déclenche une nouvelle vague de réfugié·es dans une région encore éprouvée par les crises précédentes

, par The conversation , ROUSSELOT Fabrice

Début novembre, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a lancé une offensive militaire contre les forces du Front de libération du peuple tigréen dans la région du Tigré, située au nord du pays.

Cela fait suite à des mois de montée des tensions entre le Front et l’Administration Abiy.

Camp de réfugié·es en Ethiopie. Crédit : EU Civil Protection and Humanitarian Aid (CC BY-NC-ND 2.0)

Ce conflit est susceptible d’avoir de lourdes répercussions dans cette région qui tente depuis plus de dix ans de surmonter des crises de réfugié·es restées en suspens. L’offensive a déjà poussé des dizaines de milliers de personnes à fuir pour se mettre à l’abri, soulevant des inquiétudes sur l’émergence d’une crise humanitaire. Certaines ont quitté le Tigré et ont traversé la frontière avec le Soudan. D’autres se sont déplacées dans des régions voisines en Éthiopie.

Au cours de la décennie précédente, la guerre et la famine en Éthiopie, au Soudan et en Érythrée ont poussé des centaines de milliers de personnes à se déplacer. Ces dix dernières années, le Soudan et l’Érythrée ont fait partie des 10 premiers pays d’origine des déplacements transfrontaliers et c’est l’Érythrée qui détient le record historique du pays dont le plus grand nombre de réfugié·es sont originaires.

À la fin de l’année 2019, l’Éthiopie hébergeait 733 125 réfugié·es. Le pays compte également l’une des plus importantes populations de personnes déplacées d’Afrique (plus de 1,8 million en 2020) et en 2019 on y recensait le nombre le plus important d’enfants séparé·es de leur famille et non accompagné·es au monde.

L’Éthiopie a une longue histoire d’accueil des réfugié·es et conserve une politique de la porte ouverte en matière d’asile. Cependant, la plupart de ses réfugié·es sont hébergé·es dans 26 camps qui proposent peu de services et de possibilités et dépendent en grande partie de l’aide humanitaire.

Le Soudan aussi a pour tradition l’accueil des réfugié·es. Cela fait des décennies que le pays garde ses frontières ouvertes aux personnes fuyant la guerre, la famine et d’autres épreuves. D’un autre côté, les Soudanais·es ayant cherché refuge ailleurs se comptent par centaines de milliers et on dénombre actuellement 2,1 millions de personnes déplacées au Soudan. Au cours du premier semestre de l’année 2020, 39 000 personnes supplémentaires se sont déplacées pour fuir la violence et les combats.

Le conflit dans la province du Tigré force les gens à passer des frontières ou à chercher refuge ailleurs dans leur propre pays.

Une crise des réfugié·es

Selon les dernières estimations, 27 000 Éthiopien·nes sont passé·es au Soudan en traversant les frontières de Hamdayet dans l’État de Kassala, de Lugdi dans l’État de Gedaref et d’Aderafi, plus au sud.

Hommes, femmes et enfants ont passé la frontière au rythme de 4 000 par jour depuis le 10 novembre, dépassant rapidement la capacité de réponse humanitaire sur le terrain. L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés alerte sur l’imminence d’une crise humanitaire.

C’est le plus gros afflux de personnes au Soudan en 20 ans, depuis que 80 000 réfugié·es érythréen·nes sont arrivé·es en 2000 pour fuir la guerre contre l’Éthiopie.

Les 1,1 million de personnes réfugiées au Soudan vivent dans des camps, des campements en milieu rural en dehors des camps et dans des zones urbaines. Plus de la moitié de celles et ceux qui vivent dans les 21 camps du pays sont né·es là-bas.

Environ 70 % d’entre elles et eux vivent en dehors des camps dans une centaine de campements à travers le pays. Certains sont de grands campements collectifs et autonomes où des centaines de réfugié·es vivent dans des zones ressemblant à des camps et situées à proximité de centres d’accueil. Il existe aussi des campements autonomes plus petits dans lesquels les réfugié·es se sont intégré·es aux communautés d’accueil.

La plupart des campements en dehors des camps se situent dans des régions reculées et sous-développées où les ressources, les infrastructures et les services de base sont extrêmement limités.

À ce jour, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés a réussi à transférer 2 500 réfugié·es de la frontière vers le campement d’Um Raquba, dans l’Est du Soudan, mais il est urgent d’identifier davantage de sites et d’approvisionner le pays en nourriture, en eau et en services de santé.

Le conflit affecte également les presque 100 000 Éthiopien·nes refugié·es au Tigré. Ces réfugié·es, dont certain·es d’entre elles et eux ont fui leur pays lorsque la guerre contre l’Éthiopie a éclaté en 1998, dépendent de l’aide déployée par l’Agence pour les réfugiés et par ses partenaires. D’autres fuient la persécution menée par leur gouvernement ou le manque de travail ou rejoignent leur famille.

Les combats entre les forces du gouvernement central et les forces du Tigré se sont rapprochés du camp de réfugié·es de Shimelba installé en 2004 et accueillant actuellement 6 500 réfugié·es érythrén·nes.

Cela soulève des inquiétudes de départs massifs du camp. Des réfugié·es ont d’ores et déjà commencé à arriver au camp de Hitsats situé à 50 km de Shimelba.

Les réfugié·es ont toujours accès aux quatre camps de réfugié·es du Tigré, ceux d’Adi Harush, de Hitsats, de Mai-Aini et de Shimelba, où les services essentiels sont encore assurés. Cependant, en raison de problèmes de sécurité, la quantité de personnel s’occupant des camps a été réduite et seules les missions sur le terrain de jour sont maintenues.

Le nombre de déplacé·es au sein de leur pays augmente également chaque jour. On estime leur nombre à 100 000, un chiffre qui pèse sur un système d’aide humanitaire déjà surchargé.

Au Tigré même, le manque d’électricité, d’accès aux télécommunications, d’essence et d’argent entrave l’aide humanitaire et il s’avère difficile de faire entrer et sortir des produits de la région.

Soudan, pays d’accueil

Le Soudan a une longue tradition d’accueil de réfugié·es. Le pays héberge des réfugié·es provenant d’Érythrée, de Syrie, du Yémen et du Tchad et pour beaucoup d’entre elles et eux, le rapatriement n’est pas envisageable.

Cependant, en dépit de cette réputation établie de longue date, deux jours après le début des combats dans le Tigré, le Soudan a annoncé la fermeture de certaines portions de sa frontière avec l’Éthiopie, à l’est du pays. Trois postes-frontière sont restés ouverts par lesquels les réfugié·es éthiopien·nes continuent à passer au Soudan.

Des rapports provenant de l’intérieur du pays indiquent que le commerce frontalier avec l’Éthiopie a été réduit et que l’on interdit aux conducteur·ices de camions provenant du Tigré de faire entrer leur cargaison au Soudan de peur que les autorités fédérales à Addis Abeba n’y voit une complicité entre le Soudan et la résistance au Tigré.

En dehors du Soudan, qui vit à son tour une transition politique tendue, l’Érythrée est elle aussi affectée par les retombées des événements se déroulant dans le Tigré voisin ; le pays a toujours été en désaccord avec le Front de libération du peuple du Tigré.

Protections

Alors que les efforts pour maîtriser cette crise des déplacé·es se poursuivent, il est clair que les autorités éthiopiennes, soudanaises et de la région du Tigré doivent assurer la protection de la population civile : les droits humains fondamentaux doivent continuer à être garantis dans les situations de conflits armés.

De plus, les zones d’habitation, d’accueil et hospitalières et les autres infrastructures utilisées par les civil·es ne doivent pas être la cible d’opérations militaires. Et par-dessus tout, toutes les parties impliquées dans le conflit doivent respecter leurs obligations en matière de droit humanitaire, de droits humains et de droits des réfugiés tels que définis par les Nations Unies. Cela signifie que tous les moyens doivent être mis en œuvre pour protéger les populations civiles.

Selon les droits de l’Homme des Nations Unies, répondre aux besoins de tout individu présent sur son territoire constitue une responsabilité fondamentale du gouvernement éthiopien.

Ce dernier doit agir rapidement pour lever les restrictions considérables en matière de services et autoriser les agences humanitaires à s’occuper des populations touchées et ainsi éviter la crise humanitaire qui s’annonce. Les autorités régionales du Tigré ont également pour responsabilité de répondre aux besoins des personnes situées sur le territoire qu’elles contrôlent.

Voir l’article original en anglais sur le site de The Conversation