Le 22 juin, le président du Paraguay, Fernando Lugo, a été destitué lors d’une procédure d’urgence instaurée par le Sénat en moins de quarante-huit heures. La veille, la Chambre des députés avait voté en faveur de sa révocation. Le journaliste Pablo Stefanoni, rédacteur en chef de la revue latino-américaine de sciences sociales Nueva Sociedad, revient sur l’arrivée au pouvoir en 2008 de cet évêque de gauche, et sur le contexte politique qui a entraîné sa chute.
En 2008, un évêque du département de San Pedro – territoire qui connaît d’importantes luttes paysannes – devenait président du Paraguay, grâce à l’Alliance patriotique pour le changement. Profitant d’une forte division au sein du parti Colorado – 61 ans de pouvoir ininterrompu, dont 35 ans de dictature avec Alfredo Stroessner –, Fernando Lugo a réussi à gagner l’élection et à ouvrir une nouvelle étape pour le pays. Mais à peine était-il arrivé en politique, encouragé par les attentes des citoyens et par le mouvement social (surtout les paysans), que l’évêque des pauvres fut face à un dilemme : se présenter avec son petit parti Tekojojà (égalité en guarani), et perdre ; ou essayer de gagner en faisant alliance avec le Parti libéral radical authentique (PLRA), une force politique traditionnelle opposée à la dictature de Stroessner.
Ce qui est arrivé en 2006 au Mexique à Lopez Obrador, le candidat malheureux de la gauche à l’élection présidentielle qui a dénoncé une fraude massive, aurait très bien pu se produire au Paraguay. Lugo choisit donc l’alliance avec les libéraux – capables d’apporter des voix et de garantir qu’elles seraient comptées. Il choisit de profiter des divisions (une chance rare) au sein du parti Colorado entre Blanca Ovelar, la candidate de Nicanor Duarte Frutos (président de 2003 à 2008, ndlr), et Luis Alberto Castiglioni, considéré comme « le candidat de l’ambassade » (des États-Unis). Le triptyque de l’époque Stroessner, gouvernement-forces armées-parti Colorado, avait déjà commencé à se déliter au moment de la chute du dictateur.