Le « boom pétrolier » du Ghana en 2010 : garantir l’intérêt public au-delà du profit privé

Mawuli Dake

, par Pambazuka

 

Ce texte, publié originellement en anglais par Pambazuka le 25 février 2010, a été traduit par Ekaterina Guingené, traductrice bénévole pour rinoceros.

 

Le Ghana étant sur le point de connaître un boom pétrolier en 2010, Mawuli Dake s’interroge sur les étapes et les mesures dont a besoin le pays tire de cette ressource des bénéfices entiers et équitables. Alors que l’industrie minière du Ghana a, historiquement, été caractérisée par un manque de transparence et par la dominance des intérêts de multinationales étrangères, Dake souligne que l’industrie pétrolière naissante ne doit pas suivre le même chemin.

Le Ghana est sur le point de connaître un boom pétrolier. La production tant attendue de pétrole a commencé cette année, en 2010. Parallèlement à la production, les attentes du public vis-à-vis des richesses tirées du pétrole sont élevées, de même que les menaces potentielles liées à ce boom. Même si nous demeurons optimistes, il ne faut pas sous-estimer les dangers potentiels de cette nouvelle situation pour notre démocratie, pour l’unité nationale et la sécurité sociopolitique de notre nation. Il n’y a pas de plus grande urgence aujourd’hui que celle de poser de solides fondations pour assurer la transparence et la responsabilité, aussi bien dans cette étape préparatoire que dans la gestion future de notre richesse pétrolière.

Les disputes liés aux ressources naturelles ont fait payer par un lourd tribut à trop de sociétés africaines, transformant le rêve de prospérité nationale qui émerge à la découverte de telles ressources naturelles en un perpétuel cauchemar. Ces disputes ont entraîné de violents conflits, des destructions environnementales, la corruption, d’innombrables épreuves humaines, déplacements et un avenir dévasté pour des communautés entières. Cette triste mais indéniable réalité amène même la personne la plus optimiste, la plus exubérante, à se demander si la découverte de pétrole dans notre pays doit être source de jubilation ou d’anxiété. Je reste prudemment optimiste vis-à-vis du Ghana, quant au fait que la nation saura tirer profit des leçons positives et négatives des autres exemples africains pour assurer transparence et responsabilité dès le début de la production.

Cet article entend contribuer à la détermination du Ghana d’assurer une ère de production pétrolière efficace, prospère et pacifique. Cela suppose la mise en place de stratégies spécifiques au niveau légal, institutionnel, social et communautaire pour garantir la transparence et la responsabilité dans la gestion du pétrole ghanéen.

La réalité du pétrole en Afrique aujourd’hui

En dehors de quelques exceptions, partout où on trouve du pétrole sur le continent, on trouve aussi la misère et le conflit. Les causes de ces conflits, comme on le constate dans toute l’Afrique, vont de l’absence de mécanismes pour garantir la responsabilité aux inégalités dans la redistribution des richesses pétrolières, en passant par l’injustice des violations endémiques des droits humains dans les communautés concernées par les politiques et par les entreprises. Cela se traduit par des manquements aux droits, par un mépris total des lois, ainsi que par un mépris flagrant pour les intérêts et pour le bien-être des communautés.

Une tendance commune observable dans les conflits liés au pétrole, en Angola au Nigeria et au Soudan, entre autres, est l’émergence de groupe de citoyens exploités et éprouvés, qui finissent par recourir à la violence comme seul moyen d’exiger la responsabilité, leur implication, et la justice. « L’émeute est le langage de ceux qui ne sont pas entendus. », comme l’a exprimé Martin Luther King. Les milliards et la richesse générés par la prospérité pétrolière ne se reflètent pas dans les conditions de vie des populations et des communautés d’où le pétrole est extrait. Les leaders en matière de production pétrolière en Afrique : l’Algérie, le Nigeria et l’Angola [1] – se classent respectivement en position de 104e, 158e et 143e dans l’index 2009 du développement humain des Nations unies. Les autres pays africains dotés de ressources naturelles comme la République Démocratique du Congo (RDC) se situent également dans le bas du classement du développement humain dans le monde.

L’absence de mécanismes de contrôle forts pour assurer la responsabilité et la surveillance a permis à de petits groupes d’élites avides et à leurs alliés dans les entreprises de s’accaparer la richesse pétrolière au détriment du développement national dans trop de nos pays. C’est une tendance répandue à travers le continent, mais le Ghana peut et doit agir différemment.

Aperçu du secteur extractiviste au Ghana

Jusqu’à son indépendance en 1957, le Ghana était appelé « la Côte d’Or » pour sa richesse en or. En outre, le Ghana est riche en bauxite, aluminium, manganèse et diamants. Aujourd’hui le Ghana est le 2e producteur d’or africain et le 10e du monde [2], avec à la clé des revenus d’exportation de 1 277,2 millions de dollars US en 2006 et 1 733,78 millions en 2007, selon le budget officiel 2008. Au cours des décennies et jusqu’à aujourd’hui, la gestion des ressources minières du Ghana a été caractérisée par un manque de transparence et de responsabilité, une caractéristique qui ne devrait pas être répliquée en ce qui concerne la gestion des ressources pétrolières. Il n’y a jamais eu de discours, de supervision ou même de curiosité du public quant à la destination des recettes des millions d’onces d’or produits à ce jour. En conséquence, l’intérêt des multinationales étrangères et de quelques élites locales a prédominé, et elles ont contrôlé la gestion et la richesse de ce secteur.

La découverte de réserves de pétrole de 2007 et la production future estimée à 150,000 barils par jour [3] sont susceptibles de bouleverser la situation économique du Ghana. Le pétrole va dépasser le secteur minier comme source de devises pour le pays [4].

L’importance de l’impact anticipé à la fois sur la situation économique du pays et sur les communautés et les moyens de subistance de vie des citoyens requiert une gestion plus responsable que celle que nous avons vue au Ghana dans le secteur des mines, et dans la production pétrolière des autres pays africains. Le gouvernement du Ghana et d’autres partie prenantes ont indiqué de louables intentions en matière de gestion équitable et efficace du pétrole et de la richesse pétrolière, en même temps que les citoyens continuent de faire valoir leurs attentes et leurs aspirations vis-à-vis de ces richesses. Mécanismes et outils de transparence, sensibilisation des citoyens et volonté politique sont des ingrédients importants indispensables à l’accomplissement et la réalisation de ces engagements et aspirations.

Les choix que nous faisons et les mécanismes que nous mettons en place à cette étape décisive conditionneront la situation économique et de sécurité de notre pays de manière bien plus profonde que nous ne l’imaginons.

Nous avons tristement échoué à certains des tests préliminaires, particulièrement dans les négociations initiales d’attribution des parts et des contrats. Plusieurs détails critiques des contrats, investissements et projets gouvernementaux restent inaccessibles aux citoyens. D’autres décisions et engagements importants ont été conclus en privé, avec des suspicions d’accords de « compensation pour bons et loyaux services » au bénéfice de politiciens et de leurs alliés. Le Financial Times du 7 janvier 2010 faisait état d’une enquête en cours menée conjointement par les autorités ghanéennes et américaines concernant un de ces accords, impliquant d’anciens associés-clé de l’ex-président John Kufuor [5]. Le nouveau gouvernement a également abrogé un certain nombre de contrats pour manquement aux obligations de vigilance.

En dernière instance, la véritable garantie de la transparence et de la responsabilité, ce sont les citoyens ghanéens eux-mêmes – la supervision par les habitants eux-mêmes. Nous avons tous un rôle et une responsabilité pour aider le Ghana à écrire une nouvelle page de l’histoire de la gestion du pétrole en Afrique. La vigilance de la population associée à des mécanismes institutionnels et régulateurs de transparences et de responsabilité constituent des conditions indispensable à la sauvegarde des intérêts socio-économiques et de sécurité du Ghana à l’ère du pétrole. J’espère que toute l’attention que s’est attiré le pétrole de la part des intérêts étrangers et des élites ghanéennes trouvera son pendant chez les citoyens de notre pays.

Pourquoi le Ghana peut et doit être différent

Un certain nombre de conditions déjà présentes prédisposent le Ghana à faire preuve de transparence et de responsabilité. Non seulement les Ghanéens sont fiers des éloges qui leur sont fait pour leur histoire de démocratie et de paix, mais ils prennent ces questions très au sérieux. Une bonne gestion pétrolière renforcera sans aucun doute cette reconnaissance internationale et la fierté nationale. Le Ghana bénéficie également d’un sens élevé de l’unité nationale comparée à ses voisins régionaux. L’environnement politique stable et pacifique du Ghana, l’espace démocratique de liberté de la presse et le militantisme civil sont des conditions importantes qui peuvent aider le Ghana dans cette aventure.

En ce moment crucial, le Ghana a la chance d’avoir un président largement perçu comme un leader de grande intégrité. La plupart des Ghanéens, y compris ses plus féroces opposants, expriment leur confiance dans l’intégrité de John Atta Mills. Aussi encourageant que ce soit, cela ne garantit pas le même niveau de droiture chez le reste de son équipe dirigeante qui sera impliquée dans la gestion administrative du pétrole. Cela ne garantit pas non plus qu’il aura la sagesse politique d’identifier et d’exclure ceux, parmi son équipe, qui laisseront libre cours à la corruption. Plus sérieusement, comme Barack Obama l’a dit dans son discours historique à Accra, l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, elle à besoin d’institutions fortes [6], d’institutions qui peuvent prévenir la corruption, et, si elle survient, la détecter et la rectifier. Par-dessus tout, « nous le peuple » sommes l’atout du Ghana.

Mécanismes juridiques et institutionnels

Deux importantes dispositions législatives doivent être établies avant que la production de pétrole ne débute. La proposition de loi « Freedom of Information Act » (loi sur le droit à l’information) doit être adoptée pour garantir l’accès inconditionnel du public à l’information, y compris sur les revenus, investissements et contrats. Deuxièmement, nos législateurs doivent moderniser notre cadre légal pour l’adapter aux normes du 21e siècle. La situation du Ghana aujourd’hui est significativement différente de ce qu’elle était lorsque les deux principales lois qui gouvernent la prospection, le développement et la production du pétrole au Ghana – la « loi PNDC 64 » et la loi sur la prospection et la production de pétrole, loi PNDC 84 – ont été votées, en 1983 et 1984 respectivement. Le gouvernement a indiqué qu’il était prêt à un renforcement du cadre légal du pays. « Il est impératif que le régime légal du Ghana, en ce qui concerne les industries du pétrole et du gaz, soit revu et adapté aux nouvelles conditions du pays en tant qu’important producteur de pétrole. », a affirmé le ministre de la justice ghanéen [7]. Cet engagement doit se traduire par une action délibérée et rapide.

Responsabilité et transparence

Nos cadres institutionnels doivent assurer la responsabilité des deux types d’acteurs, étatiques et non étatiques, dans le secteur du pétrole. Les sociétés multinationales jouent un grand rôle ; elles exercent parfois un pouvoir plus important encore dans la gestion des ressources, et devraient être surveillées et contrôlées de manière adéquate. De plus, il doit y avoir des mécanismes institutionnels obligeant à divulguer et publier régulièrement tous les arrangements et licences, paiements, revenus et contrats. Par ailleurs, j’irai jusqu’à préconiser une loi « anti-pot-de-vin » qui astreigne tous les agents publics à divulguer tous présents ou paiements reçus de tout acteur, quel qu’il soit, partie prenante du secteur pétrolier. Les « commissions » tendent à devenir une norme acceptable dans la politique ghanéenne. C’est un système dans lequel les agents publics attendent ou acceptent consciemment et délibérément des pots-de-vin ou cèdent à d’autres formes d’échanges de faveurs services avec certains intérêts commerciaux.

Mécanismes d’équilibre des pouvoirs

Assurer une responsabilité et une transparence authentiques nécessitera la mise en place d’entités clairement définies, indépendantes mais réglementées, de régulation, de gouvernance et commerciale. Ces entités doivent être suffisamment indépendantes pour accomplir leurs fonctions sans crainte et ne pas bénéficier de privilège, mais dotés de mécanismes d’équilibre des pouvoirs pour empêcher une ses parties de devenir trop puissante ou trop isolée.

Capacité de développement institutionnelle

Le gouvernement doit investir de manière proactive dans le développement des capacités des institutions pertinentes et des agents publics compétents qui seront en charge des fonctions de gestion, de régulation et de finances. Nous devons poursuivre ces efforts avec le même niveau de combativité que celui déployé pour le développement des infrastructures.

Rôle institutionnel de la société civile

Le cadre officiel de supervision doit inclure une institutionnalisation du rôle de la société civile.

Mécanismes sociaux et communautaires

Participation de la population

Les acteurs des médias et de la société civile doivent favoriser l’engagement du public et le dialogue sur tous les aspects du processus, particulièrement sur les impacts environnementaux, sur la gestion des revenus pétroliers et sur la défense des droits des journalistes, des militants et des communautés qui pourraient être visés parce qu’ils oseraient demander des comptes à des intérêts puissants.

Responsabilité envers le bien-être des communautés hôtes

Il doit y avoir des mécanismes clairs de protection des intérêts et du bien-être des communautés – pour tous les groupes d’intérêts et pas seulement les élites. Par exemple, une compensation doit être réservée aux communautés de paysans et de pêcheurs qui pourraient être affectées par la production pétrolière de manière à pourvoir aux besoins des différents acteurs dont les moyens de subsistance seront touchés, et non pas uniquement dans l’intérêt des chefs et des leaders traditionnels. En outre, il doit y avoir une transparence complète sur toutes les menaces potentielles résultant de la production de pétrole sur ces communautés. Il doit y avoir un système clairement défini qui permette aux citoyens et aux communautés affectées par le processus pétrolier de transmettre leurs préoccupations et leurs doléances.

La surveillance par les habitants

La vigilance des citoyens reste la meilleure garantie contre la corruption et pour la sauvegarde de l’intérêt public. Les citoyens et les médias doivent percevoir et considérer leur rôle de veille comme une responsabilité. En se basant sur les antécédents pathétiques de la plupart de nos politiciens et fonctionnaires, l’intérêt personnel, et non l’intérêt public, constituera la grande priorité de la plupart de ceux qui nous représenteront dans les processus de planification, de négociation et de décision. Si « nous le peuple » ne nous élevons pas pour défendre l’intérêt collectif, personne d’autre ne le fera.

Rapports et contre-expertise

Les acteurs de la société civile y compris les think-tanks et les groupes de citoyens, se doivent de produire régulièrement des rapports de contre-expertise sur les aspects clés du secteur pétrolier, y compris les impacts communautaires et environnementaux, la gestion de la richesse pétrolière et le respect des droits humains et des standards internationaux. Ces contre-rapports donneront des perspectives importantes qui pourraient être absentes des rapports officiels.

Développement des capacités

Le renforcement des capacités est indispensable pour les acteurs de la société civile et les militants, de manière à ce que leur surveillance et leur activisme soit constructif, efficace et éclairé. Plusieurs secteurs de la population doivent être sensibilisés et leur pouvoir renforcé pour une veille publique efficace de nos activités privées et publiques.

Enfin, le Président Atta Mills a l’opportunité de laisser un héritage de transparence et de responsabilité. Après tout, la qualité qui l’a propulsé vers le pouvoir est son haut niveau d’intégrité, très remarqué. Un tel héritage ne va pas seulement lui garantir une place enviable parmi les présidents ghanéens, mais aussi la légitimation de la confiance que les Ghanéens ont placé en lui. Avant tout, c’est la bonne chose à faire, et le Ghana n’en sortira que meilleur. Nous aurons besoin du leadership de notre président, mais tous les Ghanéens doivent se partager la responsabilité de notre production pétrolière pour en assurer la gestion la plus transparente du continent.

Mawuli Dake, un défenseur des droits humains et stratège africain majeur, est le directeur général de l’Africa Group Consult. Il est le co-fondateur du site GhanaOilOnline.com, une plateforme pour les citoyens visant à encourager une plus grande transparence et responsabilité dans la gestion des ressources pétrolières au Ghana.

Notes

[1US Energy Information Administration- Top World Oil producers, 2008

[2Ghana Chamber of Mines- 2009

[3Ghana National Petroleum Corporation, The Upstream Petroleum Industry in Ghana

[4Official 2008 Ghana Budget statement

[5« ‘Sweat equity’ probe tests Ghana’s oil jackpot »,William Wallis et Martin Arnold, Financial Times, 7 janvier 2010

[6Discours de Barack Obama devant le Parlement ghanéen, Accra, Ghana, 11 juillet 2009

[7Discours du Ministre de la Justice ghanéen à l’ All Africa Energy Summit – 8 décembre 2009