Parmi les mécanismes de l’ESS, la microfinance et le microcrédit apparaissent comme emblématiques de la diffusion des pratiques solidaires.
Le microcrédit consiste à prêter un faible montant à une famille pauvre pour l’aider à conduire des activités génératrices de revenus.
La microfinance élargit ce principe à d’autre services financiers (épargne, assurance, transfert d’argent) en conservant les critères d’échelle (micro), la vocation sociale et la proximité avec les clients. La microfinance permet aux populations les plus vulnérables de faire un pas vers l’autonomie et en donnant corps à de petits projets et à de petites entreprises.
On retrouve des initiatives de microcrédit sur les cinq continents. Les opérateurs ont su en adapter les principes au contexte et aux besoins locaux. Si dans certaines conditions, le microcrédit peut être considéré comme un véritable levier de développement, certaines expériences montrent les dérives et les risques inhérents à ce système.
Historique
Le microcrédit est né au Bangladesh où Muhammad Yunus crée en 1976 la Grameen Bank, banque rurale, destinée à accorder de petits prêts à des paysans pauvres. Le principe du microcrédit tel qu’il a été développé par M. Yunus est de faire des prêts de très petits montants à des personnes qui n’auraient jamais eu accès aux filières bancaires traditionnelles. La banque ne réclame pas de caution pour les prêts mais l’emprunteur doit faire partie d’un groupe de cinq personnes. Les prêts sont individuels, mais le fonctionnement est collectif : l’emprunteur reste responsable du remboursement mais le groupe est là pour le responsabiliser et pour constituer une garantie collective. Le taux de remboursement est de plus de 95%. Contrairement aux Tontines (système d’épargne mutualisé, informel que l’on trouve surtout en Afrique subsaharienne), le crédit est chapeauté par une banque ou une ONG, et des intérêts sont pratiqués, pouvant aller jusqu’à 20%. Muhammad Yunus a obtenu le prix Nobel de la paix en 2006.
Un outil de développement
Dans des situations post crises ou post conflits, le microcrédit permet aux populations affectées de maintenir ou de relancer une activité économique fragilisée par la crise. Les bailleurs internationaux, les organisations comme la Banque Mondiale, et de nombreuses ONG se sont intéressés à ce mode de financement et l’ont inclus dans leur stratégie de réduction de la pauvreté. Selon la fondation Gramen–Crédit agricole, on compte désormais 150 millions de bénéficiaires actifs de la microfinance dans le monde, pour 10 000 institutions de microfinance (IMF).
Dès sa création, la Grameen Bank est apparu comme un instrument « d’empowerment » pour les femmes : il a bien fallu constater que celles-ci constituaient 98% des clients, avec comme principe le fait que celles-ci remboursent mieux leurs crédits que les hommes. La Grameen Bank estime que les prêts accordés aux femmes bénéficient à tous les membres de la famille, avec des améliorations du point de vue de l’alimentation, de la santé et de l’éducation. Ce qui fait des femmes des acteurs clefs du développement social et économique. En outre elles acquièrent une certaine autonomie grâce au microcrédit.
L’amélioration de leur position économique contribue à augmenter leur confiance et à faire progresser leur rôle social et politique (voir notre dossier sur l’engagement des femmes).
L’originalité du microcrédit de la Grameen Bank est d’être un concept inventé au Sud, qui s’est exporté y compris dans les pays occidentaux comme en France où les crises économiques et la libéralisation ont creusé les inégalités au sein de la population.
En France en 1988 est créée l’ADIE (Association pour le Droit à l’Initiative Economique), avec pour objectif de sortir les chômeurs et les exclus d’une logique d’assistanat en les aidant à créer leur entreprise. L’institution et les crédits sont subventionnés, ce qui permet de réduire au maximum les taux d’intérêt. L’association intervient dès l’étude de faisabilité, assure un suivi des projets et propose notamment des rencontres et des formations à ces nouveaux entrepreneurs. Comme dans tout projet d’économie solidaire, la proximité et l’accompagnement sont primordiaux.
Ou un business comme les autres ?
L’adaptation au contexte mérite en effet toute la vigilance. Le microcrédit a pu apparaitre à certains comme une solution miracle au problème de la pauvreté, il n’en est rien. Comment expliquer sinon que le Bangladesh, berceau du microcrédit où une part importante de la population y a recourt, soit toujours un des pays les plus pauvres de la planète.
Si une personne est trop pauvre, si les projets sont trop nombreux, trop concurrentiels, trop peu rentables, les risques sont grands pour l’emprunteur, en particulier le risque du surendettement. S’ajoute à cela la difficulté de contrôler l’usage des prêts : le client pauvre et acculé utilisera en priorité l’argent pour sa subsistance et celle de sa famille plutôt que de l’investir dans une activité génératrice de revenu. Les plus pauvres sont de ce fait exclus du crédit, qui s’adresse à ceux qui ont déjà la tête un peu hors de l’eau et qui pourront rembourser les intérêts. Pour les autres, l’échec de leur entreprise peut avoir des conséquences dramatiques : certaines institutions ont vendu leur âme et pratiquent des taux proches de l’usure, harcelant les mauvais payeurs.
En outre, le microcrédit qui a pour objectif l’insertion dans la société a souvent du mal à s’affranchir des modes d’organisation habituels : s’il est calqué sur la hiérarchie traditionnelle, la pression sociale du groupe qui assure la garantie peut devenir insoutenable. Dans une société de castes comme en Inde, ou les paysans n’ont pas forcément la mentalité du profit, des agriculteurs Dalit surendettés ont été contraints à la fuite ou au suicide pour échapper à leur créanciers.
Dans des conditions favorables, le microcrédit peut être un formidable outil de promotion des individus et des projets solidaires, de part sa dimension collective, et parce qu’il propose à ses bénéficiaires une alternative au caritatif en leur permettent d’être acteur de leur développement. Mais parce qu’elle a pour objectif de permettre au plus grand nombre de s’insérer dans le fonctionnement de l’économie, la microfinance ne modifie pas en profondeur ni les modes de production ni la répartition des richesses.