La Bolivie en crises : quel espoir ?

Le MAS : de la stabilité politique aux contestations

, par RECIDEV

Au cours de ses trois mandats successifs, de 2005 à 2019, Evo Morales a apporté une stabilité politique inédite dans un pays ayant connu une grande instabilité gouvernementale depuis son indépendance en 1825. Mais des épisodes de contestation surviennent régulièrement, dès son premier mandat. La réforme agraire de 2007 a déclenché de grandes manifestations orchestrées par le secteur privé qui ont déstabilisé le pays pendant des mois et le MAS (Mouvement vers le socialisme) a été obligé de faire des concessions au pouvoir économique du pays. En 2011, le projet d’une route de 300 km de long traversant la région amazonienne de la Bolivie, devant permettre la recherche de pétrole dans le parc naturel TIPNIS (Territoire indigène et parc national Isiboro-Sécure), a fortement mobilisé contre le gouvernement les populations autochtones et les écologistes. Morales a réprimé cette mobilisation, faisant apparaître une première rupture politique avec les mouvements qui l’avaient porté au pouvoir.

La contestation s’amplifie suite au referendum constitutionnel de 2016, au cours duquel les Bolivien·nes ont rejeté, à 51 %, la modification de la constitution de 2008 qui devait permettre à Evo Morales de se présenter pour un 4e mandat. Mais par un tour de passe-passe juridique, le Tribunal constitutionnel valide, malgré tout, la candidature de Morales.

La Bolivie a connu une importante crise politique et institutionnelle dans la suite des élections générales d’octobre 2019, lors desquelles Evo Morales se présente pour ce 4e mandat contesté.

Le premier tour des élections a été entaché de soupçons d’irrégularités, notamment documentées par un rapport présenté par l’OEA (Organisation des États américains) à la demande des autorités boliviennes. Alors qu’Evo Morales a été proclamé vainqueur dès le premier tour par le tribunal suprême électoral, de nombreuses manifestations et violences ont éclaté dans tout le pays, orchestrées par des secteurs de l’extrême droite de Santa Cruz, dans une relative indifférence populaire (liée à la lassitude que suscitent les attitudes autoritaires d’Evo Morales).

Ces violences conduisent à l’annulation de ces élections, puis à la démission d’Evo Morales. La deuxième vice-présidente du Sénat, l’opposante de droite Jeanine Añez, est proclamée présidente par intérim le 12 novembre 2019. La gestion du gouvernement de transition est marquée par de très graves violations des droits humains et des crimes contre les opposant·es politiques ainsi que par la crise sanitaire, sociale et économique, conséquence de la pandémie de covid-19 (la Bolivie est parmi les cinq premiers pays au monde en nombre de décès par habitant·e).

Le 18 octobre 2020, Luis Arce candidat de gauche du MAS est élu avec 55 % des voix et plus de 25 points d’avance sur son principal concurrent, le centriste Carlos Mesa. Le fait que le parti du MAS revienne après 14 ans passés au pouvoir et une année catastrophique avec la droite aux manettes, n’est pas anodin. Le peuple bolivien a réussi le tour de force d’éloigner du pouvoir un homme qui cherchait à s’y accrocher tout en renouant avec l’outil politique de transformation du pays pour consolider les avancées et conquêtes sociales.

La gestion de Luis Arce s’est concentrée sur les conséquences sociales et économiques de la crise sanitaire. Sa première mesure est de mettre en place un « bon contre la faim » pour tous les Bolivien·nes sans revenus âgé·es de plus de 18 ans, financé par un impôt sur les grandes fortunes. Si le gouvernement de Luis Arce bénéficie d’un large soutien des paysan·nes ou les mineurs, il reste contesté par une grande partie de la classe moyenne urbaine ainsi que par l’élite économique, les universités, les grands médias...
En octobre 2021, de grandes manifestations ont lieu pour s’opposer à un projet de loi visant à lutter contre le financement des activités illégales et le blanchiment d’argent, qui inquiète le secteur des travailleur·ses informel·les (la majeure partie des classes populaires). Ces manifestations sont accompagnées d’un blocage illimité des principaux axes de transport afin de déstabiliser l’économie. Le gouvernement finit par renoncer à cette loi.

À l’automne 2022, la région de Santa Cruz connaît d’importantes mobilisations en opposition à la décision du gouvernement de reporter le recensement national en 2024, dont l’enjeu est important en termes de redistribution territoriale des ressources économiques et d’attribution de sièges au Parlement. Le MAS connaît par ailleurs des tensions entre diverses tendances au sein du parti, dans un contexte de faiblesse historique de la droite bolivienne, largement discréditée par le putsch d’Añez en 2019 et la féroce répression policière et politique qui s’est ensuivie.