Multinationales : les batailles de l’information

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Le Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’homme

, par Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l'homme

Le Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’homme est un site d’information de portée mondiale, dont l’une des principales activités est de recenser les allégations d’abus de la part des multinationales et de solliciter une réponse de leur part. Une mission simple en apparence mais qui permet parfois d’obtenir des avancées concrètes.

Le Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’homme vise à attirer l’attention globale sur les impacts (positifs ou négatifs) des entreprises en termes de droits humains dans leurs régions, solliciter la réponse des firmes lorsque la société civile dénonce des problèmes, et établir des liens étroits avec des ONG de terrain, des acteurs économiques locaux et autres. Il travaille avec tous les acteurs pour un meilleur respect des droits de l’homme par les entreprises. Avec des bureaux à Londres et New York, et des chercheurs régionaux basés au Brésil, en Colombie, en Égypte, à Hong Kong, en Inde, au Kenya, au Japon, au Myanmar, au Mexique, au Sénégal, en Afrique du Sud, au Royaume-Uni, en Ukraine et aux États-Unis, le Centre scrute les activités de plus de 6000 entreprises et aide les groupes vulnérables à éradiquer les abus.

Ses missions sont de :

  • Construire la transparence des entreprises : C’est la seule plateforme d’information mondiale et gratuite qui mette en lumière la performance et les politiques en matière de droits de l’homme de plus de 6000 entreprises dans plus de 180 pays. Son site internet (business-humanrights.org) présente des informations exhaustives et actualisées en huit langues : anglais, arabe, chinois, français, allemand, portugais, russe et espagnol. C’est une référence à la fois pour les défenseurs des droits de l’homme, les milieux d’affaire, les gouvernements, les investisseurs et l’ONU. Le Centre cherche à exposer la réalité des faits dans un domaine bien trop souvent dominé par la rhétorique. Ses « Actualités Hebdomadaires » sont envoyées par e-mail à plus de 14 000 abonnés à travers le monde.
  • Renforcer la responsabilité des entreprises : aider les communautés et la société civile à obtenir des entreprises qu’elles répondent à leurs inquiétudes ; inviter les entreprises à répondre aux allégations et publier leur réponse ; relancer les entreprises qui ne répondent pas. Le taux de réponse des entreprises tourne autour de 70 % au niveau mondial. Le Centre permet aux militants et aux communautés d’attirer une attention internationale sur leurs inquiétudes et d’obtenir des réponses de la part des entreprises. Les entreprises remercient régulièrement le Centre de leur donner la possibilité de présenter leur réponse en entier. Ce processus donne souvent lieu à de véritables améliorations sur le terrain.
  • Renforcer les capacités des militants : stimuler des débats fondamentaux et amplifier la voix des plus vulnérables et des militants des droits de l’homme auprès de la société civile, des médias, des entreprises et des gouvernements ; fournir des notes d’information et des analyses par pays, région ou secteur ; et être une plateforme mondiale de ressources et d’outils d’orientation pour agir dans le domaine des entreprises et des droits de l’homme.

En prenant les normes relatives aux droits de l’homme comme point de départ, les sujets traités par le Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’homme incluent notamment : les droits des travailleurs, les conflits liés aux ressources naturelles comme la terre et les minerais, la liberté sur Internet, le droit à la vie privée et la liberté d’expression, les droits de l’enfant, la pollution et le changement climatique, la discrimination, l’accès aux médicaments, la sécurité, l’évasion fiscale, et les accords commerciaux et d’investissement.

Quand l’information et le dialogue contradictoire amènent des changements concrets

Depuis 2005, le Centre a contacté des entreprises plus de 2000 fois afin qu’elles répondent à des accusations. En 2014, il a contacté des entreprises à 333 reprises, et a obtenu une réponse dans 75 % des cas. Son site Internet et sa lettre d’information hebdomadaire mettent en lumière les avancées encourageantes en matière de droits humains, et forment un espace impartial au sein duquel sont publiées des accusations, les réponses des entreprises à ces accusations et les réponses à ces réponses. L’objectif est d’aider les personnes en quête de vérité, et de promouvoir le changement sur le terrain.

Le processus de réponse mis en œuvre par le Centre a parfois abouti à une modification positive et immédiate de la politique ou des pratiques d’une entreprise. Dans d’autres cas, il a permis de lancer un dialogue entre la firme accusée et les personnes faisant part de leurs préoccupations. Quoi qu’il en soit, ce processus a toujours débouché sur davantage de transparence et sur une responsabilité accrue des firmes vis-à-vis du public, tout en fournissant des informations utiles aux acteurs qui tentent à leur manière de faire cesser les abus des entreprises : ONG, gouvernements, Nations unies, directeurs des achats, investisseurs, consommateurs, médias…

Ce processus de demande de réponse auprès des entreprises est un mécanisme de doléance accessible et informel qui entre en scène en l’absence de mécanisme international effectif. Il permet aux victimes, avocats et ONG d’attirer l’attention de la communauté internationale sur leurs préoccupations, d’obtenir des réponses des entreprises, et de pouvoir s’exprimer en réaction à ces réponses. Il permet aux entreprises de se défendre lorsque des problèmes sont soulevés, et de voir leurs réponses publiées en entier.

Quelques exemples

Philippines : des syndicats obtiennent un nouvel accord collectif et la réintégration de 12 membres

En mai 2014, la fédération syndicale internationale IndustriALL accusait NXP Semiconductors, un fournisseur d’Apple, d’avoir licencié 24 travailleurs au motif de leur activité syndicale.

Début août 2014, le Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’homme a contacté NXP et Apple à ce sujet. NXP a nié les accusations. Le Centre a également demandé à Apple de répondre aux critiques adressées à son fournisseur déclaré, mais en vain.

Fin août, IndustriALL a répondu au démenti des faits par NXP. Le Centre a invité NXP à répondre à nouveau, ce qu’a fait l’entreprise. Elle a déclaré que : douze des leaders syndicaux licenciés allaient récupérer leur emploi, tandis que les douze autres allaient recevoir des primes de départ satisfaisantes et pouvoir devenir des militants syndicalistes à plein temps ; les hausses de salaires seraient de 12,25 % sur trois ans, soit bien plus que ce que l’entreprise considérait jusqu’alors comme possible ; et un grand nombre de travailleurs contractuels allaient être régularisés. Le plus important pour les employés de NXP, c’est que la tentative de l’entreprise de faire disparaître le syndicat (MWAP) ait échoué.

IndustriALL a par la suite écrit au Centre : « Merci encore d’avoir contribué à la victoire de MWAP. Vous avez vraiment mis NXP dans l’embarras face à un large public issu du monde des affaires ».

Chevron augmente le salaire des employés de station-service au Cambodge

En mai 2014, des centaines de personnes travaillant dans les 17 stations-service opérées par Caltex (groupe Chevron) au Cambodge se sont mises en grève pour réclamer une hausse de leur salaire mensuel. « Ils ne peuvent pas subvenir aux besoins de leur famille avec 110 $, car les prix ne cessent d’augmenter », a déclaré le vice-président du syndicat à la tête de la grève, la Fédération cambodgienne des travailleurs du secteur alimentaire et du tertiaire. Le Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’homme a contacté le siège de Chevron afin de recueillir leur position sur la grève. Après plusieurs échanges, au cours desquels il fut notamment révélé que l’entreprise était en train de négocier avec les travailleurs, Chevron a adressé au Centre une réponse annonçant le succès de ces négociations. L’entreprise a convenu d’augmenter de 20 $ par mois le salaire minimum de tous les employés.

Un représentant du Centre communautaire pour l’éducation au droit au Cambodge, qui a servi de relais dans cette affaire, a déclaré : « Un grand merci à vous pour tout ce que vous avez fait ! Les employés vous sont extrêmement redevables. C’est une petite victoire, mais une victoire importante. Il n’a fait aucun doute que les échanges avec la direction ont porté des fruits. » (Dans ce message, « vous » renvoie au Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’homme et à UNI Global Union, qui a également contribué à faire connaître la grève.)

Le président du syndicat s’est lui aussi exprimé sur l’accord : « Bien que nous ne soyons pas entièrement satisfaits, c’est une victoire. C’est un pas dans la bonne direction ». Bien que la hausse des salaires ait été bien appliquée, quelques jours plus tard, des employés cambodgiens de Caltex se sont remis en grève car Chevron leur avait demandé de signer un document par lequel ils s’engageaient à ne plus participer à aucune grève ou manifestation, et à ne plus arrêter de travailler.

Le Centre continue à mettre en lumière les mouvements de grève de plus en plus fréquents parmi les travailleurs au Cambodge, et à encourager les dirigeants d’entreprises à leur répondre de manière constructive.

Législation sur les minerais de conflits – République démocratique du Congo et États-Unis

En mai 2012, Global Witness a sollicité le Centre de ressources sur les entreprises et les droits humains pour obtenir une réponse de la part de onze sociétés et deux associations professionnelles à une déclaration dénonçant les tentatives d’entraver la mise en œuvre de l’article 1502 du Dodd-Frank Act. Cet article exige des entreprises immatriculées auprès de la Securities & Exchange Commission (SEC) des États-Unis qu’elles fassent preuve d’un devoir de vigilance vis-à-vis de leur chaîne d’approvisionnement, pour tous les minerais extraits en RDC ou dans les pays limitrophes.

Global Witness a mis en lumière les liens unissant ces onze entreprises d’électronique et de construction automobile à des associations professionnelles faisant campagne contre la mise en œuvre de cette disposition du Dodd-Frank Act. Leur déclaration soulignait ainsi que le lobbying de la Chambre du commerce des États-Unis et de la National Association of Manufacturers (NAM) avait « entravé l’application de la loi », ce qui avait « de graves implications pour les habitants de l’est de la RDC  », ajoutant que « pour éviter de passer pour des hypocrites, Global Witness estime qu’il est primordial que [ces entreprises] prennent leurs distances vis-à-vis de la Chambre du commerce et de la NAM  ».

Sept entreprises et une association professionnelle ont envoyé leurs réponses au Centre, qui les a publiées sur son site web. Le Centre a attiré l’attention sur les quatre entreprises qui étaient restées muettes. Toutes ces informations ont été diffusées aux plus de 14 000 abonnés à sa lettre d’information hebdomadaire.

Par la suite, un communiqué de presse coécrit par sept ONG a mentionné le processus de réponse du Centre et souligné que quelques semaines après que celui-ci ait contacté les firmes, « Microsoft, General Electric et Motorola Solutions ont pris leurs distances avec la position de la Chambre de commerce sur les minerais de conflits ».

Étant donné que ce communiqué de presse appelait les autres entreprises à imiter leurs homologues, le Centre a ensuite cherché à obtenir de nouvelles réponses des entreprises restantes, et a transmis à la SEC un communiqué récapitulant les réponses et non-réponses reçues. La SEC a finalement voté l’adoption de règles pour mettre effectivement en œuvre les dispositions relatives aux minerais de conflits du Dodd-Frank Act le 22 août 2012.

Global Witness a remercié le Centre à plusieurs reprises pour sa contribution en soulignant à quel point son implication avait été précieuse.