L’Organisation Mondiale du Commerce : Le retour en force

La véritable menace du "Bali Package"

, par MALIG Mary Louise

L’article a été relu de l’anglais au français par Pierre Bourgeois, traducteur bénévole à Ritimo. Retrouvez l’article original The Return of the WTO : Why the 9th Ministerial and the Bali package threaten the people and the planet

Du 3 au 6 décembre 2013 a lieu la 9ème conférence ministérielle de l’OMC à Bali (Indonésie). Voici l’analyse d’une des représentantes de la Via Campesina, Mary Louise Malig (NDLR).

Par delà son contenu, la menace du Bali Package - "paquet de Bali" - est qu’il ressuscite les négociations : il ouvre la porte non seulement à la reprise des négociations, mais aussi à l’essor de l’OMC elle-même.

La libéralisation du commerce était considérée comme la « nouvelle question » qui a déjà été rejetée il y a longtemps par les pays en développement. Elle est à nouveau posée sur la table comme sujet principal du Bali Package. Un accord sur cette question ouvrirait la porte aux autres « nouvelles questions », elles aussi rejetées il y a des années, ce qui élargirait la mainmise de l’OMC et qui ferait revivre les négociations de libre-échange elles-mêmes, les sortant de leur impasse actuelle.

Qui veut ranimer les négociations ?

Les négociations de l’OMC dans le cadre du cycle de Doha sont dans une impasse depuis plusieurs années. À Bali, les pays vont essayer d’arriver à un accord sur certains éléments du cycle de Doha, puis de faire aboutir de nouvelles négociations dans d’autres domaines.
Plusieurs raisons justifient leur volonté de ranimer les négociations :

  • Tout d’abord, l’OMC est toujours la seule organisation multilatérale de commerce qui possède le pouvoir légal de faire obéir et de pénaliser les pays et, dans plusieurs cas, de faire changer les lois nationales afin de mettre en application les règles de l’OMC sur le libre-échange ;
  • Ensuite, le système capitaliste est basé sur une croissance et une expansion continue pour ne pas faire baisser des profits. L’augmentation continuelle du taux de profit est possible s’il y a un élargissement du système commercial multilatéral dans de nouveaux domaines.
    Des entreprises transnationales ont besoin de cette expansion et de cette croissance pour que leur taux de profit continue de s’accroître puisque ce sont elles qui contrôlent la plupart du commerce mondial, qui tirent profit de l’OMC et de son expansion dans les nouveaux domaines du libre-échange. L’économie verte est un exemple manifeste du capitalisme qui cherche de nouveaux domaines — dans ce cas, en traitant la nature comme un capital — afin d’en continuer l’expansion, la croissance et de maintenir l’augmentation de leur profit.
  • Troisièmement, les pays développés, qui ont été sévèrement touchés par la crise financière de 2008, n’ont pas encore récupéré. Leur économie continue de stagner et leur croissance de ralentir. Afin de sortir de la crise, ils ont besoin d’accès aux marchés des pays en développement, surtout de ceux des pays émergents dont l’économie est en croissance.
  • Enfin, les pays en développement qui montent en puissance commencent eux-mêmes à ressentir le ralentissement. Les monnaies des économies importantes en Asie, comme l’Inde ou l’Indonésie, se dévaluent de façon alarmante et ces pays commencent donc à ressentir les effets de la crise.

Selon l’analyse des principaux acteurs de l’OMC et du système de libre-échange, le commerce mondial se fait non seulement entre les pays, mais plus encore entre les multinationales. Et dans plusieurs des cas, les pays agissent en fonction de l’intérêt des multinationales.


Des jours difficiles pour le cycle des négociations de Doha sur le développement

Un cycle signifie une série de négociations visant des accords sur de nombreux sujets. Le cycle d’Uruguay, par exemple, qui a duré de 1986 à 1994, a créé l’OMC et a agréé les 60 accords actuellement en place dans l’OMC, incluant, entre autres, les Accords sur l’agriculture. 
 
Bien que née officiellement le 1er janvier 1995, l’OMC n’est apparue sous les projecteurs qu’en 1999, pendant la mobilisation massive dans les rues de Seattle. Le mouvement altermondialiste s’est rassemblé dans un brillant coup de force et de coordination et s’est solidarisé avec le mécontentement des pays en développement, ce qui a produit la première défaite de la Concertation ministérielle de l’OMC. En 2001, dans l’enceinte de Doha, la capitale du Qatar, dans une atmosphère empreinte de la lutte contre le terrorisme, l’OMC a pondu le cycle de Doha sur le développement qui essaye depuis, avec une extrême difficulté, de se réaliser.
 
Le cycle de Doha sur le développement, connu aussi sous le nom de "Programme de développement de Doha", est actuellement au centre des négociations au sein de l’OMC. Son objectif global est de réduire les barrières tarifaires qui subsistent dans le monde, afin de faciliter les échanges commerciaux, de les rendre plus nombreux et plus faciles. Ces négociations couvrent toute une gamme de questions, de l’agriculture aux services, ainsi que les questions des traitements spéciaux et différentiels.

Ce cycle était surnommé "le cycle du développement", car il s’agissait, soi-disant, d’amener le « développement » aux pays les moins développés et à ceux en développement.
 
Malgré les minces évolutions et avancées, le cycle de Doha sur le développement est resté bloqué. En plus d’avoir été trop ambitieux dans l’agriculture et les services, domaines où il y a beaucoup de tensions et de conflits, et de l’élargissement de l’influence de l’OMC dans des « questions nouvelles » (les privatisations, les investissements et la compétition), le cycle s’était fait prendre à son propre piège par la règle unique et absolue, c’est-à-dire "ou bien tout est accepté ou bien tout est refusé".

L’effondrement de la Conférence ministérielle de 2003 à Cancún a montré l’évidente difficulté des négociations. Les pays les moins développés se sont retirés des négociations, rejetant les « questions nouvelles » et arguant que leurs demandes pour des traitements spécifiques et différentiels et pour le développement n’avaient toujours pas été traitées. Cancún a aussi été le théâtre du rassemblement des pays développés dans les groupements agricoles comme le G-20, mené par le Brésil, et le G-33, mené par l’Indonésie. L’effondrement de Cancún était aussi dû à l’immense pression publique survenue après l’immolation du paysan coréen Lee Kyung Hae, qui est mort sur la clôture entourant la réunion ministérielle de Cancún, en portant une pancarte qui disait : « L’OMC tue des paysans ».
 
L’OMC s’est ressaisie avec la Déclaration ministérielle de Hong Kong en 2005, mais quasiment sans aucune légitimité car pendant ce temps à l’extérieur, les forces de sécurité gazaient et matraquaient des centaines de manifestants, tandis que la Présidence ministérielle adoptait la déclaration, malgré les protestations de certains pays en développement. Après Hong Kong, il y a eu plusieurs autres tentatives de progression, bloquées en 2008, jusqu’à ce qu’enfin en 2011, dix ans après le lancement du cycle de Doha sur le développement, le directeur général de l’OMC, Pascal Lamy, ait reconnu ce que tout le monde savait déjà : que les négociations de l’OMC étaient dans une impasse.