Le système de santé mondial à l’épreuve d’Ebola

La stratégie des laboratoires et le rôle de la finance

, par CIIP

L’émergence de l’épidémie d’Ebola et les graves difficultés des pays victimes pour faire face à sa propagation sont révélatrices de la persistance d’une misère sanitaire dans les pays africains. Ce constat permet légitimement de s’interroger sur les causes de cette situation et son aggravation depuis les années 1980.

Après leur indépendance, dans les années 1960, les pays africains ont tenté, avec une certaine réussite, de mettre en place une infrastructure sanitaire moderne au service de la population. Mais, avec la crise économique des années 1980 et surtout la crise de la dette, ce processus marque le pas. Les baisses drastiques des budgets de la santé, dans le cadre de la mise en place de plans d’ajustement structurel, provoquent la dégradation des services de santé publique et, par conséquent, favorisent l’exode des médecins et des personnels de santé, la fermeture des laboratoires de recherches pharmaceutiques qui assumaient une certaine autonomie en matière d’approvisionnement des médicaments et de recherches médicales. Cette perte d’autonomie rend ces pays plus vulnérables face à la stratégie de domination des firmes pharmaceutiques multinationales qui, par les jeux de fusion et acquisition, se sont transformées en véritables oligopoles et renforcent leur domination sur le marché mondial de l’offre de produits pharmaceutiques. Les politiques des prix et la rigidité des droits de propriété intellectuelle - le brevetage des innovations et des médicaments mis en vigueur pour protéger les intérêts de ces firmes -, rendent difficile la possibilité de fabrication de médicaments génériques et l’accès aux traitements pour des populations déjà appauvries par les restrictions budgétaires imposées par la Banque mondiale et le FMI.

Le système de santé des pays pauvres, fortement fragilisé par la politique d’ajustement structurel et la stratégie des firmes multinationales pharmaceutiques, n’était pas à l’abri des conséquences désastreuses des crises financière et économique. Ainsi entre 2007 et 2009 le PIB a chuté de 4.8% en Afrique subsaharienne, de 7.6% en Amérique Latine et de 15.2% en Europe centrale et de l’Est. Selon la Banque mondiale (2009) la mortalité infantile a touché 700 000 enfants en plus en 2009 ; la population africaine en deçà du seuil de pauvreté a augmenté de 10% pour atteindre près de 550 millions de personnes.

A partir de ces constats, il ne faut pas négliger les responsabilités des régimes souvent autoritaires et corrompus de certains pays africains ; mais cette réalité ne peut pas cacher les effets néfastes de la finance mondialisée et le rôle négatif de ses représentants institutionnels (la Banque Mondiale et le FMI) en ce qui concerne la pauvreté et la misère sanitaire dans le monde qui favorise l’émergence et la propagation des épidémies comme l’épidémie d’Ebola.

Vers une politique de santé globale ?

Après les indépendances, les pays décolonisés ont cherché à maintenir et développer leur propre système de santé dans le cadre d’une politique de développement économique et sociale de proximité. Mais dans les années 1970, une politique inspirée par le néolibéralisme et appuyée par les dirigeants états-uniens se met en place. Dans cette option, le FMI et la Banque Mondiale proposent une nouvelle politique, libérale, avec un accès à la santé pour tous, que ce soit dans un pays ou à l’échelle du monde. C’est ce qui a été désigné par "global health". Dans ce nouveau système, fonds publics et fonds privés seraient associés pour fournir à toutes les populations, moyennant finances, des médicaments en masse, des vaccins, etc. Avec l’aval des dirigeants, des laboratoires nombreux et bien équipés se sont installés en vue d’une recherche tous azimuts et d’une abondante production dans le secteur sanitaire. Des sommes énormes sont à disposition de ces secteurs ; la recherche s’oriente vers l’identification de nouvelles maladies susceptibles de survenir et également vers le bio terrorisme sous l’impulsion des USA. Mais dans ce domaine, les pronostics n’ont pas toujours été exacts : par exemple l’épidémie de SRAS [1]. ne s’est pas développée, les millions de vaccins contre le virus H1N1 n’ont pas servi ; la recherche d’un vaccin contre Ebola n’a pas encore été menée à terme, le "marché" ayant été jugé trop étroit par les financeurs ; néanmoins deux vaccins non encore homologués sont en cours d’évaluation (août 2015) [2].

Cette politique s’est accompagnée d’une négligence des équipements de soins de proximité et de licenciements massifs dans le personnel soignant. Le FMI et la Banque mondiale, dans la poursuite de leur politique d’ajustements structurels, ont imposé à des pays déjà en difficulté d’accepter de faire des coupes sévères dans les budgets de la santé, de l’éducation, de la gestion de l’eau... Et à partir des années 1980, s’est ajoutée l’obligation de rembourser la "dette".

Cette politique appliquée dans beaucoup de pays sur tous les continents (y compris aujourd’hui la Grèce) a favorisé aussi l’affaiblissement des structures internationales, telle l’OMS, par les coupes dans le budget dévolu à chaque État pour sa mission de veille sanitaire et ses interventions en cas de nécessité.
Or malgré le dynamisme des laboratoires, aucun vaccin n’a vu le jour concernant le sida ; de même, l’orientation des recherches sur le bio terrorisme très coûteuses, impulsées par les USA n’ont été d’aucune utilité.

Lorsqu’il a été avéré que l’épidémie Ebola représentait un danger pouvant tourner au désastre, les structures de soins délabrées, le manque de personnel et de matériel ont montré l’inefficacité de "global heath" pourtant érigé en modèle par les USA. Nombre de soignants ou de chercheurs ont mis en cause la politique du FMI qui, au cours des mois, a fini par annoncer un don de 130 millions de dollars, ce qui ne lui a pas rendu pour autant sa légitimité !

Cet échec de la politique néolibérale renforcera sans doute l’attention portée à d’autres moyens pour répondre aux besoins exprimés en matière de santé par les populations du monde.
Cuba, par exemple, dès l’arrivée au pouvoir des castristes, a mis en place une politique de santé et d’éducation qui a fait ses preuves et continue à étonner le monde.