La social-démocratie européenne, prisonnière de ses contradictions

, par FOUCHER Marilza de Melo

L’article a été traduit du portugais au français par Émilie Roosen et relu par Jean-Luc Pelletier, tous deux traducteurs pour Ritimo. Retrouvez l’article original sur le site de Correio do Brasil, A Social Democracia Europeia – prisioneira de suas contradições

Indépendamment de la sympathie ou de l’antipathie que l’on peut ressentir à l’égard de la social-démocratie en Europe, il convient de souligner qu’elle est née dans une conception de pluralité politique et se présentait comme une alternative face au communisme en Europe de l’Est. Elle s’opposait à la conception staliniste du pouvoir et défendait le rôle de l’État dans la régulation de l’économie, s’opposant à l’irrationalité et aux inégalités engendrées par le capitalisme.

La France, en théorie, gouverné par les socialistes

Il y avait alors une attente de renforcement idéologique de la social-démocratie, ainsi que des partis socialistes en tant que voie alternative entre le capitalisme qui produit des inégalités sociales et un socialisme dit totalitaire qui a échoué dans l’organisation d’une planification de l’économie et en ce qui concerne la liberté d’expression.

Les années 1970-1980 ont représenté l’apogée de la social-démocratie avec trois figures politiques qui ont marqué son histoire : Willy Brandt (Allemagne), Olof Palme (Suède) et Bruno Kreisky (Autriche). Dans les années 1997-98, en Europe, arrive une vague rose qui sera représentée par 11 des 15 gouvernements en vigueur.

On s’attendait à ce que les partis adeptes de la social-démocratie humaniste occupent ce vide politique. Pourtant, les résultats électoraux varient chaque décennie. Même s’ils n’étaient pas majoritaires, les gouvernements de la social-démocratie et les gouvernements socialistes gagnaient du poids dans la politique économique de la Commission européenne.

La crise du capitalisme prédateur montrait l’impossibilité du triomphe du marché sur l’État. On sait aujourd’hui qu’aucune économie ne peut fonctionner sans le soutien de l’État, celui-ci établit la législation fiscale et d’autres lois qui régulent et encouragent le développement économique du pays.

Pourtant, les partis de gauche qui ont accédé au pouvoir dans les plus grands pays d’Europe, au lieu de construire une vision nouvelle de la manière de faire de la politique et de gouverner, n’ont malheureusement pas eu le courage politique et n’ont pas été capables d’élaborer des stratégies d’action politique à la hauteur des défis sociaux et écologiques qui ont marqué la fin du XXème et le début du XXIème siècle. Le défi serait qu’ils rénovent leurs programmes et forgent une alternative politique et économique convaincante, en renforçant ainsi, un nouveau modèle de développement, au sein d’une conception globale et plus humaine.

Le constat sera amer pour l’électorat de gauche, ayant à l’esprit que les gouvernements dits de gauche en Europe ont fini par incorporer le modèle néolibéral à leurs identités, au lieu de se constituer en une réponse politique organisée aux effets négatifs du capitalisme. La plus grande erreur historique de la social-démocratie a été de ne pas assumer complétement la gauche réformiste, et de refuser de faire l’inventaire de sa trajectoire gouvernementale principalement dans les années 1990 avec toutes les conséquences que cela a pu avoir. Ils ont fini par s’entendre avec la gouvernance mondiale inspirée des principes de l’économie néolibérale, cessant de condamner la dérive politique de droite de l’Union Européenne.

La dénommée troisième voie de Blair et de Schröder est allée très loin en matière de collaboration avec la droite européenne. Ils ont fini par dénaturer les principes de la social-démocratie et par décevoir ses alliés historiques de gauche. L’identité politique est demeurée indéfinie face à une Union Européenne de plus en plus technocratique et néo-libérale.

Pour de nombreux électeurs de gauche, ils finirent par être perçus comme les défenseurs du libre marché ; pour l’aile la plus à gauche, ils sont considérés comme néo-libéraux et très productivistes pour les écologistes. Quant aux mouvements sociaux, ils les voient comme les destructeurs de l’État Providence et des droits du travail. En plus de n’avoir pas contribué à l’émergence d’un espace géopolitique d’intégration sociale en Europe. Avec le traité de Maastricht, l’Europe sociale a été enterrée avec la bénédiction de la social-démocratie et des partis socialistes.
Au parlement européen, les partis de gauche ont toujours été incapables de réagir de façon concertée face à la crise du capital financier qui fragilise l’Europe.

Opportunités perdues

Avec la grave crise mondiale qui a atteint l’Europe en particulier depuis la fin 2008, on imaginait cette fois que les partis de la social-démocratie européenne et les partis socialistes seraient capables de profiter de l’effondrement du néo-libéralisme, pour faire leur mea-culpa et présenter une proposition d’économie politique de gauche, une solution d’alternative politique crédible pour la période d’après la crise non seulement économique, mais aussi écologique et politique. Mais une fois encore la désillusion s’installe chez l’électorat de gauche. Si au moins ils revoyaient les recommandations de Keynes logiquement, sans la vision productiviste du développement, ce serait déjà une énorme avancée.

Cette crise du capitalisme financier est sans précédent, la secousse économique a été telle que même les États-Unis, adeptes les plus acharnés du capitalisme financier, ont reconnu la nécessité de réguler le marché, considérant encore l’importance de l’État comme coordinateur de l’économie. Auparavant, les néo-libéraux considéraient l’État comme une entrave à l’économie, décrétant sans aucun scrupule la mort de l’État-Providence. Aujourd’hui, même Bill Blasio, le nouveau maire de New York défend l’impôt au nom de la justice sociale et dit qu’il va augmenter les impôts pour les riches, taxer le capital spéculatif.

La social-démocratie et ses alliés ont été incapables de se renouveler et de forger de nouveaux instruments pour la construction d’un projet collectif qui réponde aux aspirations de la société post-moderne. Ils n’ont pas non plus réussi à construire des stratégies de long terme basées sur quelques piliers : la régulation économique et la distribution, le traitement structurel du chômage, la garantie de la cohésion sociale, la durabilité écologique et technologique, dans une approche globale du développement. Au contraire, les gouvernements de la social-démocratie et les gouvernements socialistes restent prisonniers de leurs contradictions face à l’idéologie néo-libérale. Leurs programmes de gouvernements ne se différencient pas de la gestion économique de droite. C’est là, la raison de la débâcle (Ndt : en français dans le texte) politique auprès des couches populaires qui ont déserté le champ politique électoral.

En France, le gouvernement socialiste est devenu social-démocrate centriste.
Dans la France de Jaurès, le terme de social-démocratie était péjoratif. Tous les socialistes français n’ont pas aboli Marx de leurs références, et la critique du système soviétique ne les a pas empêché de continuer à croire en la construction du socialisme. Néanmoins, le PS français défendait un socialisme avec une vision critique du capitalisme, la majorité était partisane d’une économie sociale de marché et d’un dynamisme du secteur privé. La majorité continue à défendre un socialisme capable de changer la vie des gens dans la société à travers des lois, en privilégiant toujours néanmoins le dialogue social, c’est-à-dire un changement contractuel.

L’actuel président François Hollande est aujourd’hui le candidat le plus impopulaire de l’histoire de la république française. Il a pris 60 engagements qui devaient être réalisés pendant son mandat ; mais en deux ans, selon une enquête menée par un blog de journalistes indépendants, seuls neufs ont été tenus.

Quelques promesses faites par un président ont parfois un fort contenu symbolique, d’autres peuvent ne pas être tenues pour des raisons qui peuvent se justifier par un contexte extrême de crise économique.

Les électeurs de gauche ont voté Hollande sans illusions, la plus grande question étant de ne pas laisser la droite ultra-conservatrice gouverner de nouveau la France cinq ans de plus. Toutefois, tous ceux qui ont voté pour le candidat du PS espéraient un gouvernement doté de plus de détermination dans la façon d’affronter le monde de la finance, principal responsable de la déstabilisation de l’économie mondiale.

Le constat qui est fait aujourd’hui est que le Président a cédé à la pression des banquiers et au capital financier. Il disait que les riches allaient payer pour sauver les pauvres, mais il n’a même pas augmenté significativement le salaire minimum. Son gouvernement a seulement réussi à établir une loi pour taxer les riches par un impôt à 75 %, qui est considérée inefficace par une grande partie des économistes, sachant que cette mesure n’aurait d’effet réel que si Hollande avait tenu une de ses principales promesses consistant à mener une véritable réforme fiscale. Pour le moment, sa politique fiscale a eu un effet négatif auprès des couches populaires et de la classe moyenne en les amenant à se serrer la ceinture face à la crise économique.

Même si la tendance actuelle de la politique prime par la rationalité et l’abolition des rêves, tout projet politique dans une société complexe vise à rechercher des solutions capables d’ordonner de manière plus juste la vie sociale.

Dans l’imaginaire du peuple, le pouvoir devait être idéalement juste dans la recherche du bien commun. La politique est faite d’intérêts contradictoires. Néanmoins, si la politique n’offre plus aucune possibilité de rêver et plus aucun modèle de développement humain et plus solidaire, la démocratie perd tout son sens. L’intérêt du capital ne peut pas être plus important que l’intérêt général, principalement sur le sol même où les droits de l’Homme ont été proclamés.