La Méditerranée poussée à se mettre au vert, pollutions et solutions

La science au service de la préservation des lagunes

, par 15-38 Méditerranée , CHARBONNIER Coline

Les côtes méditerranéennes abritent 626 lagunes. Des espaces sensibles et fragiles soumis plus que d’autres aux pollutions. Les cas de Venise en Italie, Nador au Maroc, Bizerte en Tunisie ou du littoral français montrent, chacun à leur échelle, la nécessité de mieux connaître les lagunes et leur évolution, première étape d’une meilleure protection de ces zones très sensibles.

Lido de Thau, Sète, France @Christian Ferrer
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Ville des amoureux, des Palais, et des gondoles voguant sur les canaux… Venise n’est rien sans sa lagune. Là où eaux douces et eaux de mer se mêlent, des populations décident de s’installer dès 528 en enfonçant des pieux en chêne et en aulne dans le sol sablonneux, y voyant un intérêt sécuritaire mais aussi économique du fait de la richesse de son écosystème.

S’étendant sur 550 km2, elle forme la plus vaste zone humide en Méditerranée. Pourtant, le développement économique implique le creusement de chenaux de grande profondeur (jusqu’à 15 m) à l’intérieur de la lagune. Des routes maritimes qui déséquilibrent fortement l’écosystème et provoquent des inondations de plus en plus fréquentes connues sous le nom d’acqua alta. Pour sauver Venise des eaux et préserver sa lagune, une digue mobile baptisée du nom de Moïse a été aménagée. Un chantier gigantesque débuté en 2003 qui devrait se terminer en 2018 et a nécessité des années de recherche et d’étude.

La lagune de Venise est menacée. Et elle n’est pas la seule en Méditerranée. Pourtant, le phénomène reste souvent traité de manière locale et non globale car chaque lagune a ses particularités.

Élargir la sensibilisation pour une meilleure préservation

Pourquoi s’arrêter sur ces zones humides complexes et diverses ? Car les lagunes jouent un rôle écologique primordial. Milieu marin, près de la mer, milieu constitué d’eau douce près de l’embouchure des fleuves et milieu intermédiaire d’eau plus ou moins saumâtre, elles sont riches de leur biodiversité et sont un lieu privilégié de nidation pour différentes espèces. Comme des éponges, elles régulent les flux hydrauliques grâce à leurs capacités de stockage. Elles jouent aussi le rôle de filtre des eaux de ruissellement. Elles protègent de l’érosion côtière grâce à la présence de végétation. Elles représentent enfin un habitat et des gardes manger pour de nombreuses espèces.

Lido de Thau, Sète, France @Christian Ferrer No changes were made. Licence creative commons https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/

« Historiquement, les humains ont rapidement compris la richesse de ces zones », précise Olivier Pringault, microbiologiste à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) qui s’intéresse particulièrement à la lagune de Bizerte en Tunisie. La pêche et la conchyliculture y sont très présentes. Autant d’activités qui ont participé à leur dégradation, mais ne sont pas les seuls responsables de l’état alarmant de certaines de ces zones humides. À l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, basée à Montpellier, on explique qu’il existe une prise de conscience plus récente des conséquences de l’activité humaine parfois distante de la lagune de plusieurs dizaines de kilomètres. « Nous essayons d’informer aussi bien sur les conséquences des rejets issus de l’activité artisanale, que des déjections canines en milieu urbain. Autant de pollutions en amont transportées via les eaux fluviales ou par l’effet du ruissellement qu’il faut prendre en compte pour mettre en place une politique globale de préservation de ces milieux », précise Dominique Colin, directeur de l’agence de l’eau de Montpellier. Les programmes français tentent donc aujourd’hui d’élargir la zone géographique de sensibilisation aux questions de préservation. Un travail de longue haleine, « d’autant que les sédiments stockent la pollution et la rejettent au fil des crues et des décrues », pointe le directeur de l’Agence de l’eau.

Si toutes les lagunes ne sont pas menacées, certaines sont dans un état inquiétant nécessitant une prise en charge particulière. La science permet alors de comparer les espaces afin de mieux les comprendre. C’est dans ce but que le programme de l’IRD a été pensé lors de sa mise en place en 2014 entre Bizerte en Tunisie et Thau en France : « Ces deux lagunes ont des superficies équivalentes mais la production aquacole de Bizerte était moins importante, nous avons cherché à comprendre pourquoi », précise Olivier Pringault. Leur hypothèse de départ s’intéresse à l’activité humaine comme source de pollutions. La recherche permet ainsi de mieux connaître ces espaces particuliers et constitue souvent la première étape vers la mise en place de programmes de préservation.

Etudier les multiples sources de pollution pour les limiter

A Nador, au Maroc, des recherches ont été menées au début des années 2000 sous la houlette de Naima Hamoumi, responsable de la structure de recherche ODYSSEE à l’université de Rabat. La plus grande lagune du pays est alors dans un état catastrophique. De multiples sources de pollution ont affaibli l’écosystème de cette zone humide de 115 km2 reliée à la mer par un seul point de communication.

Située à proximité des villes de Nador, Beni Ensar et Kariat Arekmane, elle a été soumise à une pression humaine dense et chaotique. « Une pollution nitrique d’abord, près de la station de traitement des bassins de lagunage de Nador. Une pollution également fécale aux deux extrémités de la lagune. Le niveau relevé est faible mais chronique et s’explique à l’époque par l’absence de station d’épuration dans la ville, alors même que la lagune tient le rôle de frayère pour les poissons et abrite des zones de nidification et d’hivernage pour les oiseaux d’eau et des habitats d’espèces rares », complète Naima Hamoumi. La lagune de Nador attire les pêcheurs, l’aquaculture moderne, la pisciculture. L’augmentation de la population exacerbe les rejets liquides urbains. L’industrie se développe, et l’agriculture des terres alentours reverse son lot de produits phytosanitaires. Un cocktail détonant.

En 2006, le royaume marocain met en place le projet Marchica Med. Le but est de réaliser un pôle touristique respectueux de l’environnement. Pendant huit ans, des centaines d’ouvriers ont tout d’abord récolté 4 500 tonnes de déchets disséminés dans la lagune. Un nouveau canal de 300 mètres de largeur a été percé en 2011 afin de faciliter le renouvellement des eaux. L’ancien site de lavage des minerais de fer sur la presqu’île d’Antalayoune a été enfoui.

Au total, sept « cités » seront bâties autour de la lagune pour accueillir des hôtels et des résidences et en faire un haut lieu touristique de la côte méditerranéenne marocaine. Un projet qui ne sera pas achevé avant 2025 ou 2030 et qui appelle à un suivi régulier afin de vérifier que les objectifs de développement durable affichés sont bien respectés au fil des années dans ces cités emphatiquement qualifiées de « merveilles ».

A Bizerte, en Tunisie, le programme conjoint de recherche entre l’IRD et la Faculté des Sciences de Bizerte Cosys Med a permis de mettre en avant plusieurs sources de pollution. L’industrie, d’abord, avec la proximité de chantiers navals, d’une cimenterie, et d’une raffinerie de pétrole… L’agriculture et les rejets de pesticides aussi. Ces derniers nécessitent un travail de fond car ils sont souvent difficiles à détecter. « Nous devons d’abord réaliser des inventaires auprès des agriculteurs, car les molécules utilisées dans l’industrie chimique changent souvent », détaille Olivier Pringault de l’IRD. Pour trouver, il faut d’abord savoir ce que l’on doit chercher. La pollution sera d’autant plus importante en fonction du « temps de résidence » de ces molécules, lui-même lié à la vitesse de renouvellement des eaux des lagunes, d’où les disparités selon les zones étudiées.

Comme au Maroc, un programme de protection a été lancé. Chapeauté par la Banque Européenne d’Investissement, il prévoit une dépollution de la lagune par une limitation des sources de pollution, ce qui implique une réelle volonté politique et un véritable changement des mentalités.

Prévenir des risques pour la santé

L’enjeu est de taille, car ces pollutions peuvent parfois avoir des conséquences importantes sur la santé humaine. Du phytoplancton à nos estomacs, les polluants suivent le cycle de la chaîne alimentaire. Le phénomène des eaux rouges inquiète tout particulièrement, car il tend à se répandre : certaines algues prolifèrent et se dégradent pompant l’oxygène de l’eau. Un processus d’autant plus important lorsque les températures sont hautes et que la zone est peu profonde. Le processus de dégradation peut avoir des conséquences graves et entraîner l’extinction de la plupart des espèces, épargnant seulement des micro-organismes qui captent la lumière grâce à un pigment rouge (d’où le nom d’eaux rouges). Les micro-algues peuvent décimer des stocks de poissons sauvages et ruiner les élevages conchylicoles. Elles sont aussi responsables de pathologies chez les humains, parfois létales. En France, l’Ifremer est en première ligne concernant l’observation et l’information de ces phénomènes de micro-algues pouvant entraîner la suspension de la production aquacole.

Etang de Thau, France @ Pascal Royer Licence Creative Commons https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/

Malheureusement, la surveillance n’est pas la même selon les pays, et les prélèvements réguliers coûtent cher. Il est donc parfois difficile de pouvoir établir des comparatifs dans le temps, ce que regrettent les chercheurs interrogés au Maroc ou en Tunisie. « Les programmes de recherche en océanologie sont très rares au Maroc. Ils sont peu financés et restent dépendants de la bonne volonté de chercheurs isolés », regrette la spécialiste marocaine Naima Hamoumi.

La technologie au secours de lagunes

A Venise, loin de l’effervescence de Moïse, une armée de robots est en marche. Pour étudier le fonctionnement de la lagune et afin de mieux la préserver, un programme de recherche a été lancé le 1er avril 2015. Ils ont l’apparence de poissons ou des moules, mais ce sont des petits bijoux technologiques. À termes, ces robots seront capables de collecter des données sur une longue période, de manière autonome, et dans des endroits parfois inaccessibles. Trois types de robots capables de collaborer entre elles et d’évoluer dans le temps pour répondre aux mutations complexes et fluctuantes des eaux turpides de la lagune vénitienne.

Nom de code de ce programme : SubCULTron. Il allie plusieurs disciplines de cinq instituts de recherche et universités européens, une entreprise privée et un consortium vénitien. Jusqu’en mars 2019, ils développeront ensemble une flotte de 120 robots capables de décoder la vie sous-marine de la lagune. Inspirés d’organismes naturels, ces robots devraient être capables de puiser leur énergie directement dans leur milieu et de communiquer entre eux.

Ces robots sont également complémentaires en termes d’action et de perception. Les « moules » peuvent ainsi percevoir l’évolution des paramètres biophysiques de la lagune sur de longues durées, mais elles sont incapables de se déplacer sans l’aide des « poissons ». Ceux-ci constituent quant à eux la composante agissante de l’écosystème. Les poissons servent de véhicules aux moules et de vecteurs de l’énergie et d’information entre les moules et les « nénuphars ». Ces derniers servent d’interface de communication avec les opérateurs humains du projet.

Une véritable société sous-marine autonome qui, outre la collecte de données, doit permettre « la mise en place d’une surveillance environnementale gérée par un essaim sous-marin », explique Thomas Schmickl de l’Université de Graz en Autriche, l’un des partenaires du projet. Le tout, adapté aux eaux troubles de la lagune qui, par leur précision, relégueront les caméras sous-marines au placard et atteindront des profondeurs inégalées. « Une première mondiale », qui sera un jour peut-être utilisée dans d’autres lagunes et sous d’autres latitudes afin de compléter les connaissances scientifiques sur ces milieux si particuliers en danger.