La question de l’autodétermination est au cœur des conflits depuis les débuts de la colonisation. Le leader indépendantiste kanak, Jean-Marie Tjibaou, président du FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste) s’est battu pour l’inscription de la Nouvelle-Calédonie sur la liste des pays à décoloniser établie par les Nations unies (elle avait auparavant été inscrite puis retirée de la même liste en 1946).
Cette revendication a été soutenue par des pays océaniens indépendants, membres du groupe Fer de lance. La Nouvelle-Calédonie est donc inscrite sur la liste des 17 pays à décoloniser des Nations unies depuis le 12 décembre 1986.
La situation des Kanak est peu connue en France, même si un groupe de soutien aux indépendantistes voit le jour au début des années 1980 (association « Information et soutien aux droits du peuple kanak »). Les militants du Larzac se rapprochent également du mouvement indépendantiste kanak et, en 1988, une « Enquête sur Ouvéa » est menée en Nouvelle-Calédonie par différentes associations de la société civile française (Cimade, Ligue des Droits de l’Homme, etc).
Pour l’ONU, les Kanak bénéficient de protections internationales fixées dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et celles-ci confortent et complètent les principes fondamentaux des accords de Nouméa.
Kanak, l’histoire d’une reconquête identitaire
« Kanak » est un terme invariable d’origine hawaïenne signifiant « Homme ». Il est employé par les Européens pour désigner des hommes d’équipage océaniens au début de la colonisation et devient assez rapidement un terme péjoratif. Alors que les Européens écrivent « Canaque », les indépendantistes décident de lui redonner une graphie plus proche des langues océaniennes. Ce terme, revendiqué par les indépendantistes, rompt donc avec un système colonial qui a fait des Kanak des anonymes, des invisibles. Jean-Marie Tjibaou cherche également à rassembler les clans kanak autour du récit mythique de Téa Kanaké, le « premier né ». Kanaké, sans être au-dessus des ancêtres claniques, devient le « panier de paroles » dans une société où le nom et la généalogie sont essentiels à la fois pour la cohésion sociale et pour l’individu. Dès lors, revendication culturelle et lutte politique deviennent indissociables. Il s’agit de proclamer l’existence culturelle des Kanak et de la faire (re)connaître aux autres habitants de Nouvelle-Calédonie (essentiellement aux « Caldoches » issus de la colonisation française) et à l’Etat français.
En 1975, Jean-Marie Tjibaou organise le festival Mélanésia 2000 aux portes de Nouméa (sur le site actuel du Centre Culturel Tjibaou). De nouvelles expressions culturelles vont accompagner la lutte des Kanak (comme le Kanéka, musique mâtinée de reggae et de rythmes océaniens). Jean-Marie Tjibaou veut certes manifester la présence d’un peuple autochtone, faire valoir sa vision du monde mais également inscrire sa culture dans le présent et la projeter dans l’avenir en proclamant : « Notre identité elle est devant nous ». Enfin, loin de l’idée d’un retour vers le passé, les indépendantistes prônent la maîtrise de l’appareil économique et celle de l’exercice du pouvoir.
Revendications autochtones : foncier et ressources naturelles
30 ans plus tard, une fois cette dignité reconquise, le processus d’autonomie en marche est associé à la mise en place d’institutions coutumières dans le cadre des accords de Nouméa.
Les accords de Matignon de 1988 avaient déjà donné une existence formelle aux huit aires coutumières kanak et à leurs chefferies et, en 1998, la création du Sénat coutumier reconnait l’autorité de la société kanak en matière de droit. Pour autant, la question de l’autochtonie ne va pas devenir l’affaire exclusive du Sénat coutumier.
Le mouvement identitaire kanak a tout d’abord été associé aux revendications foncières du début des années 1970. Ces demandes de restitutions de terres formulées par les clans kanak aboutissent ensuite à la mise en place d’une réforme foncière. Les ressources minières sur cette île qui possède ¼ des ressources mondiales de nickel sont également un enjeu important dans la mouvance autochtone. A la dimension écologique s’associe la problématique du partage de la richesse. La stratégie nickel de certains membres indépendantistes du gouvernement de Nouvelle-Calédonie axée principalement sur la création d’une usine dans la province Nord du territoire ne satisfait pas tous les Kanak. Certains considèrent que ces élus, intégrés au système démocratique occidental, dénient à leurs autorités coutumières « le droit de gérer les affaires de leur peuple ». Dès 2005, une « Déclaration solennelle du peuple autochtone kanak », présentée au 1er Congrès mondial des autochtones francophones en 2006, affirme le droit des autochtones mélanésiens sur l’espace et le patrimoine naturel de Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Soumise à différents degrés d’interprétation, cette souveraineté préalable des autochtones affleure également lors de conflits entre des chefferies kanak et des sociétés minières internationales. Ainsi, le comité autochtone « Rhéébu Nùù » a été créé en 2002 afin de porter les revendications de la tribu de Yaté contre le projet d’usine hydro-métallurgique du Sud. Les soubresauts démarrent dès la mise en route du chantier de Goro dirigé aujourd’hui par le groupe « Vale NC » : embauche de salariés philippins au détriment de la population locale, inquiétudes sur la nature des effluents de l’usine rejetés dans le lagon… En 2008, un pacte pour un « développement durable du Grand Sud » succède à une période d’affrontements entre la tribu et la direction de l’usine de Goro. Mais en 2014, la multinationale brésilienne « Vale Inco » est responsable d’une fuite d’acide qui se déverse accidentellement dans la baie de Prony. Cette catastrophe écologique a entraîné une plus large réflexion sur les impacts environnementaux de l’exploitation minière (création d’un Comité d’information, de consultation et de surveillance, ouvert aux représentants associatifs) ; mais de nombreuses propositions (gestion des résidus…) restent encore au stade d’études.
D’autres organisations issues de la société civile ne partagent pas le même engouement que le FLNKS pour la « stratégie nickel ». Pour le « Conseil Autochtone pour la Gestion des Ressources Naturelles en Kanaky-Nouvelle-Calédonie (CAUGERN) créé en 2005, il faut en effet revoir la place des référents kanak dans l’organisation du futur pays indépendant Très critique envers l’action des politiques, le CAUGERN indique que « dans les années 1980, le FLNKS se battait pour une indépendance imminente, non pour un rééquilibrage économique dont les Kanak ne voient toujours pas les effets » [1].
Tensions urbaines et controverses identitaires
Il semble difficile de croire que le fossé creusé par la colonisation entre des communautés puisse être comblé par la seule création d’institutions politiques (Sénat coutumier) ou culturelles (Centre culturel Jean-Marie Tjibaou [2]).
Si de nombreuses revendications identitaires kanak ont été entendues, il y a également eu de véritables coups de canif symboliques dans le destin commun. Ainsi, en 2003, le comité « 150 ans après » (proche du Sénat coutumier) réalise un poteau sculpté de 12 mètres représentant le rassemblement des communautés du pays autour de la « grande pirogue du destin commun ». Le choix d’un emplacement pour ce « Mwâ kââ » devient un véritable bras de fer avec la mairie de Nouméa cherchant à l’écarter du centre-ville.
A nouveau, en 2012, le collectif « Une tribu dans la ville » tente, sans succès, de s’opposer à la décision de la mairie de Nouméa de détruire des cases kanak installées en centre-ville, dans le cadre de manifestations organisées pour la fête de la citoyenneté du 24 septembre [3].
En ce qui concerne le choix de ses signes identitaires, la Nouvelle-Calédonie a également rencontré quelques difficultés. La question très politique du nom a été sérieuse évitée pour le moment mais l’affaire du « drapeau » a suscité de nombreuses controverses. En 2010, le Congrès ayant échoué à se mettre d’accord sur un drapeau commun, il décide d’un double pavoisement du drapeau français et du drapeau indépendantiste [4].
« Plan Marshall » de soutien à la société kanak et limites de l’autochtonie
L’action de représentants coutumiers et d’acteurs de la société civile permet de porter les revendications autochtones à la fois sur le territoire et dans les instances internationales. Des textes et des manifestations invitent également à mettre en avant la spécificité de la culture kanak (l’organisation d’événements dans le cadre de la journée internationale des peuples autochtones du 9 août, rédaction d’une Charte du peuple autochtone kanak, etc).
Cependant, les représentants du Sénat coutumier avancent que « la parole coutumière » est minorée en Nouvelle-Calédonie. Elle ne serait pas suffisamment écoutée par les représentants politiques néo-calédoniens, notamment par les élus kanak qui seraient trop influencés par les modes de fonctionnement politiques occidentaux. En février 2016, les représentants du Sénat coutumier demandent même à participer à un comité technique en France afin d’exprimer leurs points de vue et de « changer de logique dans la prise en compte des problèmes et de leur résolution ». Le Sénat coutumier avance en effet qu’il faut mettre en place un « plan Marshall » pour sauver la société kanak. Il a proposé différentes mesures (création d’un service civique dans les tribus, enseignement obligatoire d’une langue kanak à la maternelle…) et mis en avant la question de l’autorité des coutumiers. C’est à la fois un cri d’alerte face aux problèmes posés par l’acculturation [5] et l’augmentation de situations sociales auxquels la coutume n’arrive plus à apporter une réponse.
Bien qu’ayant fini par adopter la Déclaration sur les droits des peuples autochtones en 2007 [6], la France n’est pas dans une logique de reconnaissance de droits collectifs aux peuples autochtones. La place accordée au droit coutumier, aux instances kanak et les transferts de compétences concédés en Nouvelle-Calédonie sont avant tout liés au processus de négociations – unique en son genre dans l’histoire française – des accords de Matignon et de Nouméa. Au-delà de l’opposition binaire habituelle indépendance souveraine/soumission à un Etat [7], cette forme d’autonomie négociée est aujourd’hui une inspiration pour d’autres peuples autochtones (Premières nations au Canada…). Cependant, à l’issue du référendum d’autodétermination, seul le contrôle complet des leviers décisionnels permettrait, dans ce cas, d’accéder à la souveraineté/indépendance.