Tchad : un peuple éprouvé qui cherche à s’émanciper

La population confrontée à de graves et multiples difficultés

, par CIIP

Corruption et mal-gouvernance de l’administration tchadienne sont devenues la norme

Protégée par les grandes familles au pouvoir, toute une petite bourgeoisie profite de détournements de fonds publics et achète des voitures de luxe, des biens immobiliers en Europe et au Canada ainsi que dans certains pays arabes, au détriment de la population tchadienne, victime par ailleurs de nombreux conflits inter-communautaires attisés par le pouvoir.

L’austérité en réponse à la crise économique

En 2014, avec l’effondrement du cours du pétrole, dont l’État tchadien tire l’essentiel de ses ressources [1], le pays traverse une crise économique qui conduit le gouvernement à imposer une violente cure d’austérité chapeautée par le Fonds monétaire international (FMI). Ces mesures font payer le prix fort à la population tchadienne qui réagit par une grève générale des fonctionnaires (janvier 2018) suivie par différents secteurs du privé en février. Les seules réponses du gouvernement Déby à ces manifestations pacifiques sont les violences, la répression et la prison.

Tchad. Photo prise le 4 janvier 2018 par Anmede (CC BY-SA 2.0)

Des besoins de santé négligés

Avant même la récente crise économique, l’accès aux soins élémentaires représentait un défi majeur pour la plupart des habitant·es. En cause, le niveau particulièrement bas des fonds octroyés au secteur de la santé publique malgré des engagements pris par l’État sur le plan régional. En 2015, le Tchad comptait seulement six professionnels de santé pour 10 000 habitants [2], tous métiers confondus. Ce sous-effectif du personnel soignant, et son manque de qualification, le manque d’équipements et d’infrastructures, ainsi que l’insuffisance des ressources sociales sont régulièrement dénoncés. Pourtant, le budget de la santé publique ne cesse de diminuer : en 2017, il était deux fois moins élevé qu’en 2013. Les conséquences sont dramatiques : accès réduit et non-prise en charge de soins d’urgence, pénurie de médicaments essentiels, non recours aux soins par manque de moyens financiers.

L’éducation sacrifiée

Avec les soins de santé, l’éducation est l’une des grandes victimes des coupes budgétaires draconiennes. Avant la crise économique de 2014, les dépenses engagées par le Tchad pour l’enseignement primaire, secondaire et supérieur étaient en augmentation régulière depuis 2008 - l’éducation étant décrétée priorité nationale par le gouvernement -, mais ces dépenses ne représentent que 2,9 % du PIB. Résultats : une grave pénurie du système éducatif avec un enseignant pour 45,9 élèves [3] et un faible taux de scolarisation et d’assiduité scolaire, des inégalités régionales et des inégalités garçons-filles, des salles de classe sous-équipées, un faible niveau scolaire des enseignant·es et de fortes disparités à tous les niveaux d’enseignement.

Les mesures d’austérité imposées en réponse à la crise économique ont fortement aggravé la situation. Les dépenses totales consacrées à l’éducation sont réduites de 21 % entre 2014 et 2016. Ces restrictions se traduisent par une augmentation de la charge financière pour les parents. Dans l’enseignement supérieur, la suppression des bourses étudiantes et l’ajout de nouveaux frais d’inscription touchent près d’un tiers des étudiant·es, particulièrement celles et ceux vivant dans des zones rurales ou venant de familles pauvres. Les manifestations étudiantes, récurrentes depuis, sont dispersées par la police et/ou réprimées.

Des productions agricoles variées n’empêchent pas les déficits alimentaires périodiques

D’un point de vue pastoral, les différentes zones géographiques du pays sont complémentaires : pendant la saison des pluies, la zone semi-désertique du nord offre des pâturages, à ce moment le sud fertile produit différentes cultures de subsistance ou d’exportation. En saison sèche, de nombreux éleveurs conduisent traditionnellement et sans heurts majeurs leurs troupeaux au sud, où ils pâturent les restes des récoltes. Le lac Tchad et les fleuves sont le lieu d’une pêche fructueuse largement auto-consommée par les Tchadien·nes, en particulier à N’Djamena, la capitale assez proche du lac. La zone du lac Tchad est aussi propice à la culture, sur des terres irriguées ou sur celles dont le lac se retire petit à petit à la saison sèche après la crue annuelle, ainsi qu’à l’élevage après le même phénomène, créant des pâturages bienvenus quand ceux des alentours sahéliens se dessèchent.

Le Tchad est soumis au paradoxe de nombreux pays dits en développement : il est exportateur de productions agricoles et subit, en même temps, périodiquement des épisodes de malnutrition, voire de famine (comme celle de 2012, dramatique pour les plus pauvres et les plus faibles). Près de 4 millions de personnes ont été affectées par l’insécurité alimentaire en 2017. De mars à mai 2019, 2,5 millions de personnes sont déjà en situation d’insécurité alimentaire (dont 312 000 en insécurité alimentaire sévère), soit 16 % de la population tchadienne. L’insécurité alimentaire pourrait atteindre près de 3,9 millions de personnes pendant la période de soudure (juin-août 2019) [4]. Il existe des causes climatiques réelles à ces famines, mais, selon certain·es Tchadien·nes, l’inefficacité et la corruption du régime sont aussi partiellement responsables de ces disettes.

Des conflits inter-communautaires

Outre les attaques de groupes jihadistes nigérians Boko Haram dans la région du lac Tchad, les conflits inter-communautaires se multiplient depuis quelques années. Sont en cause des conflits à la fois administratifs et politiques (par exemple pour l’intronisation des chefs de canton), des questions d’accès aux ressources naturelles, à l’eau, aux zones de pêche, des conflits entre agriculteurs autochtones et éleveurs nomades membres de tribus arabes, les Zagawas proches du président Déby, dont les agriculteurs dénoncent l’impunité… De fait, l’augmentation de la sécheresse et la pression démographique ont intensifié les tensions liées à la transhumance. Et, à ces changements structurels se sont greffés des problèmes ethniques. Cette situation conflictuelle entre éleveurs et agriculteurs se retrouve dans plusieurs autres pays africains, notamment au Nigeria. Mais au Tchad, ces tensions sont exacerbées par Déby selon la devise "Diviser pour régner".