
La continuité entre l’ancien président Ricardo Martinelli, populiste belliqueux exclus de la course électorale par la condamnation à plus de 10 ans de prison pour détournement de fonds publics, et le président élu José Raúl Mulino est évidente. Les slogans « Mulino c’est Martinelli, Martinelli c’est Mulino » ont résonné lors de la journée électorale du 5 mai ; et les pancartes du type « Le loco con Mulino » (« le fou -surnom affectueux donné à Martinelli- avec Mulino ») ont fleuri dans les villes du Panama. Malgré une campagne électorale très frugale, très peu d’interviews et d’apparitions publiques, Mulino est devenu président avec 34 % des voix dans ce pays où il n’y a pas de second tour.
Premier ministre puis ministre de la Sécurité publique entre 2009 et 2014, en charge des forces de l’ordre, Mulino s’est fait connaître par la répression qu’il a menée contre les syndicats de plantations de banane et le blocage des routes dans le cadre de manifestations, répression qui s’est soldée par deux morts et une centaine de blessé·es – la répression la plus violente de l’histoire du Panama démocratique. Les propos diffamatoires de Mulino, affirmant que les syndicalistes auraient fait boire les travailleurs autochtones pour les obliger à rejoindre les manifestations, ont également été mis en cause. En 2011, des révoltes dans les prisons (exigeant de l’eau et de la nourriture pour les mineurs) se sont soldées par la mort de 5 détenus, brûlés vifs au moment de l’intervention des forces de police. Les militant·es des droits humains avaient, à l’époque, exigé la démission de Mulino. En février 2012 à nouveau, la répression s’est abattue sur les communautés autochtones Ngöbe-Buglé, qui s’opposaient à l’ouverture d’une mine de cuivre et aux plans de construction de barrages hydroélectriques – se soldant par trois morts. En octobre de cette même année, les habitant·es de la province de Colón manifestaient leur opposition à la vente de leurs terres à des entreprises privées dans le cadre de la zone de libre échange caribéenne. Là encore, la répression policière a fait trois morts, dont un petit garçon de 9 ans. L’impunité s’est avérée plus forte.
Martinelli et plusieurs membres de son gouvernement ont été condamnés par des tribunaux pénaux au Panama et aux États-Unis, en particulier pour le cas « Pinchazo » de 2019, où il a été reconnu que les services secrets panaméens avaient mis sur écoute plus de 150 citoyen·nes entre 2012 et 2014, dont des politicien·nes, des procureur·es, des juges, des journalistes. Martinelli avait été acquitté pour vices de procédures, malgré les témoignages à son encontre. Cependant, les deux personnes inculpées dans cette affaire travaillaient directement sous les ordres de Mulino. Guido Rodríguez, directeur du quotidien Panamá América, a également identifié des détournements de fonds publics à hauteur de 3 523 millions de dollars étatsuniens sous le gouvernement de Martinelli. Un cas qui a fait les Unes : un stratagème de blanchiment d’argent qui a détourné des fonds d’un projet d’autoroute et la construction d’un bâtiment législatif pour acheter les parts d’un média. Cette condamnation a valu à Martinelli son expulsion de la course électorale, et a propulsé Mulino à la présidence du pays. Les deux fils de Martinelli ont plaidé coupable devant les tribunaux étatsuniens sur des charges de blanchiment d’argent en lien avec l’entreprise brésilienne Odebrecht, devenue tristement célèbre par le cas Lava Jato (scandale Petrobras). Mulino, quant à lui, est directement mis en cause dans un cas d’achat irrégulier de radars et d’hélicoptères en 2010, qui a été classé sans suite en 2017 dans le contexte de dénonciation de menaces et pressions politiques et économiques sur le procureur en charge de l’affaire.
Mulino a adopté une position plus conciliante au cours des semaines qui ont suivi sa victoire électorale, s’est réuni avec le chef du bloc d’opposition et a nommé des membres du gouvernement qui n’appartiennent pas au cercle rapproché de Martinelli. Cette facette plus démocratique de Mulino rappelle sa position antérieure à son passage par le gouvernement de Martinelli, lorsqu’il menait la principale organisation qui s’opposait à la dictature militaire de Manuel Noriega. La possibilité d’une mise à distance de Martinelli semble exister, et l’espoir d’un gouvernement qui puisse écrire une nouvelle page du pays plus lumineuse également.