La pauvreté et les plantations : une réserve forestière nigériane se bat contre vents et marées

, par Mongabay , FOUTREL Emilie (trad.), SUNDAY Orji

Située dans l’ouest du Nigeria, à environ 70 kilomètres à l’est de Lagos, ville commerciale du Nigeria, la réserve forestière d’Oluwa est confrontée à une forte pression de la part des petit·es agriculteur·ices et des grandes plantations. Sur l’autoroute A121, une route principale entre Lagos et la ville d’Ore qui traverse la réserve, Mongabay a observé des camions lourdement chargés et des motos transportant des régimes de plantains ou de bananes, des cabosses de cacao ensachées et du bois abattu sortant de la réserve pour être vendus dans les villes voisines, les scieries et les marchés.

Bien que Oluwa ait été recensée en tant que réserve dans le journal officiel en 1918, sa faible protection a permis à des milliers d’agriculteur·ices de prendre le contrôle d’une grande partie de ce territoire, et la forêt est rapidement devenue des camps agricoles. Un camp typique est parsemé de bungalows en terre, couverts de chaume ou de zinc, en plus de mosquées, d’églises, de bars, de salles communautaires et, dans certains cas, de moulins à huile de palme.

Les agriculteur·ices ont déclaré à Mongabay, lors d’un voyage de reportage en 2021, que les colons devaient payer environ 10 000 à 12 000 nairas (12 à 14,30 $) par hectare aux agent·es foresti·ères pour avoir le droit de conserver leurs parts dans la réserve. Selon les responsables du ministère de l’Agriculture et des Ressources naturelles de l’État d’Ondo, seules les fermes précédemment établies, et non les nouvelles fermes, ont droit à bénéficier de cet accord.

Les agent·es foresti·ères patrouillent les zones habitées, émettent des avis d’expulsion, résolvent les différends, détruisent les nouvelles fermes et arrêtent les agriculteur·ices en défaut de paiement. Mais malgré ces efforts, les forêts d’Oluwa continuent de disparaître car l’empiétement les fermes s’étend plus vite que ne s’appliquent ces mesures.

Au cours des deux dernières décennies, de 2002 à 2022, la superficie totale de forêt primaire humide d’Oluwa a diminué de 17 %, selon les données satellitaires de Global Forest Watch. Les données préliminaires pour 2023 montrent que le défrichage se poursuit et continue de grignoter la vieille forêt de la réserve.

Les chef·fes de camp affirment que de nombreuses personnes qui affluent vers Oluwa sont des jeunes et des artisan·es qualifié·es qui n’ont pas beaucoup d’autres perspectives et voient les terres bon marché, le sol fertile, les pluies abondantes et les températures modérées d’Oluwa comme une échappatoire aux villes où la pauvreté accablante, les taux de chômage élevés et l’inflation record sont monnaie courante.

"Cet endroit a beaucoup aidé de nombreuses familles pauvres", a déclaré Ayodele Aina, qui cultive dans la réserve depuis plus de quatre décennies. "Pour certains d’entre nous, c’est le seul moyen de subsistance que nous connaissons. Et comme il n’y a pas d’emplois dans les villes, de nombreux jeunes retournent à l’agriculture."

En novembre 2023, environ 10 000 agriculteur·ices du secteur d’Odigbo de la réserve ont protesté contre leur expulsion forcée et ont soumis une pétition au gouverneur de l’État, Rotimi Akeredolu, pour annuler la décision d’expulsion. En mai 2023, les agriculteur·ices ont obtenu une injonction du tribunal de division d’Ore de la Haute Cour de l’État d’Ondo, empêchant temporairement le gouvernement de les expulser. Ielles affirment également avoir respecté l’obligation financière de leur permanence sur le territoire en payant toutes les taxes et redevances nécessaires.

Photo Coordenação-Geral de Observação da Terra/INPE via flickr - CC-BY-SA

Plantations : Une menace croissante

Les petit·es exploitant·es ne sont pas les seul·es responsables de la disparition des forêts d’Oluwa. Les images satellites montrent le schéma caractéristique des plantations industrielles qui s’étendent dans toute la réserve. Alors que la plupart d’entre elles ont été établies dans des parties de la réserve qui avaient été déboisées auparavant, les images satellitaires et les données montrent que plusieurs grandes clairières se sont étendues dans la forêt primaire en 2023.

En 2021, des visites sur le terrain de Mongabay ont révélé des signes d’agriculture industrielle en expansion, et les données satellitaires montrent que la majeure partie du défrichage à grande échelle se déroule dans les zones de plantation. Par exemple, Bambi Farms Ltd., une entreprise privée basée à Okeigbo dans l’État d’Ondo au Nigeria, s’est vu accorder une concession de 5 000 hectares de terres à l’intérieur d’Oluwa en 2018 et affirme collaborer avec 450 petit·es agriculteur·ices dans le cadre d’un régime continu de cultivateur·ices sous-traintant·es.

Mongabay a également observé des panneaux mentionnant [les entreprises] "Fayok Glorious Nigeria Enterprise" et "West Africa Forest Plantations Ltd." lors de sa visite à Oluwa. Bien qu’aucun site web fonctionnel ou compte actif sur les réseaux sociaux n’ait pu être trouvé pour ces trois entreprises, un profil LinkedIn supposément de l’ancien PDG de West Africa Forest Plantations, Ayo Ighodaro, décrit la société comme "la plus grande entreprise de foresterie durable et de produits du bois à valeur ajoutée au Nigeria, prête à une croissance spectaculaire au cours des prochaines années".

SAO Agro-Allied Service Limited, qui se présente comme un "développeur de projets à impact social opérant exclusivement dans le secteur agricole en Afrique" selon le profil LinkedIn de l’entreprise, s’est vu accorder 100 000 hectares par le gouvernement de l’État d’Ondo pour cultiver de l’huile de palme dans l’État, selon les médias locaux. Mais, selon des agriculteur·ices, certaines parties de la concession de l’entreprise chevauchent des exploitations de cacao, de bananes plantains et de bananes appartenant à des milliers d’agriculteur·ices de subsistance à Oluwa et dans d’autres réserves forestières. SAO Agro-Allied Service n’a pas répondu à une demande de commentaire par e-mail.

Plusieurs sources ont déclaré que le sort d’Oluwa est lié à une énigme politique. Par exemple, les efforts de conservation et les politiques dans la réserve souffrent d’incohérence du fait de la valse des gouvernements, selon Ojo Aduke, une responsable du département des forêts. Elle a également affirmé que les activités de l’organisme sont entravées par un financement insuffisant et des interférences politiques constantes, le réduisant littéralement à un simple organe consultatif auprès du gouvernement en place.

"C’est une chose que nous conseillions le gouvernement, mais c’en est une autre qu’ils prennent en compte nos conseils. Nous ne pouvons pas imposer notre opinion au gouvernement. Le gouvernement est là pour prendre ses propres décisions", a déclaré Aduke à Mongabay. "Mais si vous aviez de la passion pour une cause, et que vous y etiez investi depuis longtemps et que vous voyiez cette cause détruite, vous ne seriez pas content·e. Je ne suis pas contente du tout."

Bien que la réserve soit une bouée de sauvetage économique pour des milliers de personnes, les défenseur·es de l’environnement mettent en garde contre le grave risque qui pèse sur sa biodiversité. La zone de quelque 800 kilomètres carrés de la réserve abrite une faune diversifiée, comprenant des mangabeys à tête rouge (Cercocebus torquatus), des guenons à gorge blanche du Nigeria (Cercopithecus erythrogaster pococki), des pangolins à ventre blanc (Phataginus tricuspis) et des calaos à casque jaune (Ceratogymna elata).

Oluwa abrite l’espèce emblématique en voie de disparition du chimpanzé du Nigeria-Cameroun (Pan troglodytes ellioti). Cependant, l’état actuel des chimpanzés à Oluwa est incertain. En 2009, une étude menée dans tout le sud-ouest du Nigeria par la chercheuse et spécialiste de la biodiversité Elizabeth Greengrass et publiée dans le journal Primate Conservation a souligné que les chimpanzés pourraient encore habiter certaines parties de la forêt, malgré une forte baisse de la taille de la population et de sa répartition.

"Mes résultats suggèrent que les chimpanzés du sud-ouest du Nigeria sont désormais au bord de l’extinction", a conclu Greengrass dans son étude. "Sauf action efficace, ils seront éteints dans les prochaines années dans la plupart des sites où ils ont été identifiés lors de cette étude."

Trois ans plus tard, en 2012, une étude menée par les professeurs Babafemi Ogunjemite et Olaniyi Oluwatobi à l’Université fédérale de technologie d’Akure au Nigeria et publiée dans l’International Journal of Development and Sustainability a montré que la population des chimpanzés s’était bornée à une petite portion centrale de la réserve d’environ 39,22 km², soit un peu plus de 5% de la superficie totale de la réserve.

Les chercheur·ses soulignent que les exploitations agricoles, la chasse et l’exploitation forestière menacent les chimpanzés qui pourraient encore se trouver à Oluwa. En 2021, Mongabay a révélé comment les arbres abattus de la réserve alimentent de grandes scieries dans la capitale de l’État d’Akure, ainsi que les besoins en mobilier des villes voisines d’Ore, Sagamu, Lagos, Ibadan et Ijebu-ode. Plusieurs camions chargés de troncs d’arbre provenant de divers sentiers de la région d’Ore dans la réserve circulent régulièrement ou sont stationnés le long de la très fréquentée autoroute Ore-Lagos.

La viande de brousse fumée est souvent exposée en vente sur le bord de la route. Malgré une culture croissante d’élevage de bétail, les habitant·es de la réserve affirment piéger et tuer divers types de singes, ainsi que des agoutis plus grands (Thryonomys swinderianus), des antilopes, des porcs-épics et des pangolins. La viande de brousse est valorisée localement pour son goût, sa présumée valeur médicinale et son utilisation dans des rites et des rituels traditionnels.

Les expert·es et chercheur·ses de l’Université fédérale de technologie d’Akure dans l’État d’Akure, au sud-ouest du Nigeria, visitent régulièrement la réserve pour y mener des recherches. Ils ont déclaré à Mongabay que Oluwa est désormais profondément fragmentée et que sa faune souffre probablement de l’isolement, menant à une extinction locale car le flux génétique entre les populations est inhibé. Ielles affirment que l’habitat à Oluwa est également sur le point d’être séparé des réserves voisines de Shasha et Omo, abritant une population en déclin d’éléphants de forêt (Loxodonta cyclotis) et d’autres espèces emblématiques.

Un conflit éclate

Début novembre [2023], une manifestation a éclaté alors que des agriculteur·ices auraient résisté à la prise forcée de leurs fermes par des membres armés d’Amoketun, une unité de sécurité régionale opérant dans le sud-ouest du Nigeria. Des sources gouvernementales, citées par la presse locale, indiquent que le gouvernement souhaite reprendre le contrôle total de la réserve afin d’éliminer les kidnappeurs, les terroristes, les tueurs rituels et les voleurs armés, qui ont transformé la forêt en refuge et bastion.

Les agriculteur·ices interviewé·es par Mongabay ont déclaré que Oluwa et d’autres forêts avoisinantes deviennent de plus en plus dangereuses. Ielles reconnaissent que des groupes criminels ont attaqué et volé des établissements agricoles, ce qui a dissuadé les chercheur·ses, les écologistes et les agents forestiers d’accéder à certaines parties de la réserve.

Des sources indiquent qu’il y a une autre nouvelle menace à l’horizon : le développement immobilier. Adebayo Moshood, un chercheur de l’Université Fédérale de Technologie, a déclaré à Mongabay que des promoteur·es immobilièr·es ont cartographié et défriché de vastes portions de la réserve pour des projets de construction.

Les chercheur·ses interviewé·es par Mongabay, dont Moshood, ont déclaré qu’ielles pensent qu’au rythme actuel de destruction, ce n’est qu’une question de temps avant qu’Oluwa devienne de l’histoire ancienne, tout comme de nombreuses autres réserves forestières du Nigeria.

"Rien n’est fait pour préserver la forêt. Et la seule raison pour laquelle il reste un vestige de la forêt est que le niveau d’urbanisation est relativement faible. Si elle était située, disons, à Ibadan, Enugu, Lagos ou Port Harcourt, je crois qu’elle aurait depuis longtemps disparu", a-t-il déclaré à Mongabay au téléphone.

Lire l’article original sur Farm Land Grab