Maroc, sous la plage… les pavés

La marche vers l’Etat de Droit

, par CIIP

La plageLes pavés
Mise en place d’un "État de droit" après les années de plomb Nouveau Code du travail (restriction du droit de grève, des droits syndicaux, emploi des mineurs…)
Mise en place d’institution et d’associations de défense des droits de l’Homme :
 CCDH,
 forum Vérité et Justice,
 Instance Équité et Réconciliation
- Les limites de l’IER : impossibilités de nommer les auteurs d’exaction restés à leur poste pour la plupart, pas de véritable prise en compte des massacres de masse, silence sur les disparus…
 Destruction de lieux témoins
 Absence de mesures concrètes pour empêcher le retour du passé
Droits des femmes (la Moudawana amélioration dans le code) Des obstacles à la mise en application
Droits des enfants : des discours généreux 1.5 millions d’enfants non scolarisés, des milliers d’enfants au travail, enfants des rues, enfants victimes de la police
- Travail des ONG (Transparency)
 Mobilisation de la société civile, des partis, des associations pour obliger le politique à agir
- La corruption généralisée à tous les niveaux
 Émergence de zones de non droit : micro-États dans l’État (drogue)
Embellie pour la presse après les verrouillages sous Hassan II, émergence de médias d’investigation sans complaisance Progressivement fermeture : lourdes peines contre des journaux, interdiction de paraître, interdiction de journaux en arabe, emprisonnement de journalistes.
- Mise en place d’un Institut Royal de la Culture Amazigh. Instauration de l’enseignement du tamazigh dans le primaire.
 Reconnaissance du mouvement Amazigh.
Manque de réelle volonté politique

Depuis son accession à l’Indépendance, le Maroc n’a vraiment connu ni État de droit, ni de répit durable de la répression. Celle-ci a été particulièrement brutale au cours de ce que l’on désigne aujourd’hui, sous l’expression : « les années de plomb », c’est-à-dire les décennies 60, 70, 80. Mais sous la pression de l’opinion publique internationale, des actions des ONG, devant la difficulté à trouver une issue au conflit du Sahara, le pouvoir relâche l’étau qui enserrait la population depuis 1958. Les libérations de prisonniers politiques commencent dans les années 89, 90. L’automne 91 voit s’ouvrir les portes de la prison pour Abraham Serfaty et le mouroir de Tazmamart pour les survivants.

Le Conseil Consultatif des Droits de l’Homme, créé en 1994 à l’initiative royale, entreprend le recensement de milliers de victimes de la répression et dans le gouvernement issu des élections de 1993 apparaît pour la première fois un ministère des droits de l’Homme. Mais il faut attendre la mort de Hassan II en juillet 1999 et l’accession au trône de Mohamed VI pour que soit posée avec force la question de la reconnaissance des victimes, la réparation pour les exactions subies et la dénonciation des responsables.
Une instance indépendante, créée à l’initiative de militants des droits de l’Homme, le Forum Vérité et Justice a pour but de faire toute la lumière sur « les années de plomb ». Mais fin 2003, le pouvoir décide de reprendre la main et met en place une Commission Royale : l’Instance Équité et Réconciliation (I.E.R.). Elle est chargée de poursuivre la mission du Forum avec des moyens officiels. Elle doit également, dans son rapport final, émettre des propositions de réformes afin d’empêcher le retour des sinistres années d’oppression. Mais certains témoignages, sélectionnés parmi des milliers, donnent lieu à des séances publiques et filmées avec cette condition qu’aucun nom de tortionnaires ou de responsables de l’appareil de répression ne soient cités, la plupart d’entre eux ayant continué à exercer des fonctions officielles en toute impunité.
Malgré cette restriction de taille, l’I.E.R. a été saluée comme la première initiative de ce genre dans le Monde arabe. Toutefois, nombre de citoyens et de militants ont ressenti comme un échec ces limites imposées à l’I.E.R. qui l’ont empêchée d’accomplir toute sa mission.

Mais ce qui compromet également l’avenir de l’État de droit, c’est que l’appareil répressif a continué de fonctionner sous le nouveau règne : d’abord sous des formes ponctuelles : tortures, matraquages de manifestants… ensuite de manière aggravée depuis 2003. Sous couvert de la guerre contre le terrorisme lancé par l’administration Bush et à l’occasion des attentats de mai 2003, on assiste à la reprise d’une répression massive à l’encontre des militants associatifs et syndicalistes : rafles dans les milieux considérés comme islamistes, surtout dans les quartiers populaires, recours systématique à la torture, condamnations très lourdes…
En 2007, plusieurs manifestations contre la vie chère, contre des spoliations de terres, ont été réprimées. Et tout particulièrement celle du 1er Mai dans quelques villes.
Comme les recommandations du rapport de l’I.E.R. n’ont reçu aucun début d’application, il semble que les vieilles habitudes reprennent le dessus…
Les manifestations répétées des diplômés chômeurs exigeant des emplois et les conflits sociaux qui se multiplient pour lutter contre la surexploitation et les dénis de droits qui écrasent les salariés du secteur privé font toujours l’objet de matraquages et d’arrestations par la police, et de condamnations arbitraires par les tribunaux.

Les femmes à la conquête de leurs droits

Sous le Protectorat, les femmes ont participé aux luttes pour l’Indépendance du pays. Pourtant, alors que la législation du Maroc s’inspire du droit français et consacre l’égalité des hommes et des femmes dans le domaine politique, l’assemblée des religieux qui statue sur le code de la famille en 1958 s’inspire du droit islamique et consacre la pérennité du statut inférieur de la femme dans le mariage, la maternité et l’héritage.

Les femmes ont lutté dans les sections féminines des partis politiques puis dans des associations indépendantes des partis. Tous ces efforts on fini par aboutir en 2003 : le Roi au cours d’une séance parlementaire accepte une réforme du code de la famille, la Moudawana, qui prend en compte la plupart des revendication des femmes.

Toutefois des inégalités subsistent en droit : la polygamie est entravée mais non abolie et l’inégalité demeure devant l’héritage et la mère célibataire peut toujours être sanctionnée au plan pénal.
L’application de ces lois rencontre encore de nombreux obstacles et il faudra du temps pour surmonter l’attachement aux traditions notamment en milieu rural et la mauvaise volonté de nombreux magistrats.

Le nouveau code du travail est censé sanctionner les violences subies sur les lieux de travail et les discriminations professionnelles. Mais les problèmes vécus par les femmes sont désormais révélés au grand jour : les violences conjugales, le travail précoce des fillettes employées comme bonnes, les abandons d’enfants… La multiplication des enquêtes et débats, les propositions de loi constituent autant de signes que des changements sont en cours. Par exemple un scandale a éclaté à la suite du viol d’une jeune fille dont la famille s’est ensuite arrangée avec celle du criminel pour qu’il épouse sa victime et échappe ainsi à toute condamnation, conformément à une disposition du code pénal marocain jusque-là ignorée. Les médias font activement pression pour une annulation de cette disposition...

Droits des enfants

L’État marocain a signé en 1993 la Convention des Droits de l’Enfant adoptée par l’ONU en 1989, charte qui reconnaît à chaque enfant le droit de grandir dans un climat de "bonheur, d’amour et de compréhension". Le devoir de l’État est donc de protéger l’enfant contre toutes les formes de violence, contre l’abandon et l’exploitation. En accord avec les Conventions internationales, le gouvernement marocain a fixé dans le nouveau Code du travail l’âge légal du travail à 15 ans. L’Éducation étant aussi un droit pour l’enfant, le gouvernement a lancé une vaste campagne de scolarisation dans le Primaire.

Il y a en effet urgence car les enquêtes estiment qu’un million et demi d’enfants ne sont pas scolarisés. La réalité vécue par les enfants marocains issus de familles citadines ou rurales défavorisées est donc bien éloignée de l’idéal énoncé par l’ONU.

La violence, les enfants la subissent sous plusieurs formes : selon l’Organisation Internationale du Travail, le Maroc reste aux côtés de la Chine et de l’Inde "l’un des pays présentant les pires formes de travail des enfants". Leur nombre est évalué à 600.000, dont l’âge s’échelonne entre 6 et 15 ans. les salaires se situent en dessous de toutes les normes, les heures ne sont aucunement réglementées. Les garçons occupent des emplois dans les commerces ou des entreprises. Les filles sont employées dans le textile et de nombreuses autres, entre 7 et 10 ans, recrutées dans les campagnes et littéralement achetées à des parents très pauvres, deviennent les "petites bonnes" taillables et corvéables à merci dans les familles citadines.

Des tentatives pour scolariser quelques heures par semaines ces enfants travailleurs restent des exceptions. Ceux qui ne peuvent plus supporter les conditions de travail accompagnées assez souvent de brutalités commises par l’employeur, s’enfuient et vont grossir le flot des "enfants des rues" issus de familles pauvres déstructurées, enfants de mères célibataires, enfants abandonnés.
Ces enfants, certains très jeunes, vivent dans l’insécurité totale de la rue, sans aucune hygiène, mal nourris, exposés à l’exploitation sexuelle dès dix ans, aux rafles de la police, emprisonnés souvent puisque le vagabondage est un délit...

Ces enfants ont été longtemps ignorés par la société, non recensés puisque totalement en marge mais une sensibilisation du public, grâce au travail des associations et des spécialistes de l’enfance, commence à changer le regard des citoyens sur ces "parias" et à mobiliser des gens très divers en faveur de ces enfants dans des structures qui tentent de pallier les carences de l’État. L’État lui aussi commence à s’inquiéter : les kamikazes de ces dernières années avaient vécu leur enfance dans ces quartiers misérables, sans infrastructures d’éducation et de soins...

Liberté d’expression sous surveillance

Sous le règne de Hassan II, aucune presse indépendante n’avait pu survivre même si les journalistes avaient appris à faire preuve d’une grande prudence dans leur expression. C’est pourquoi l’avènement de Mohamed VI et l’ouverture qui s’est ensuivie, ont donné lieu à l’éclosion d’une presse libre, en arabe et en français, qui a d’emblée trouvé de nombreux lecteurs malgré le fort taux d’analphabétisme et le faible pouvoir d’achat.

Tous les problèmes, les débats qui traversent la société marocaine ont été abordés, traités avec sérieux mais aussi avec une liberté de ton qui tranchait avec les autres pays arabes.
Mais l’embellie a été de courte durée. Dès 2001, trois publications sont frappées d’interdiction au motif qu’elles ont d’une façon ou d’une autre empiété sur des domaines "réservés" : le respect dû au Roi et à sa famille, la religion islamique, l’unité territoriale du Royaume (voir la question du Sahara occidental) et le régime monarchique. La tendance autoritaire se renforce en 2OO3 avec l’adoption des lois sécuritaires antiterroristes. L’emprisonnement d’un journaliste connu, Ali M’Rabet, attire l’attention des ONG de défense des droits de l’Homme sur les atteintes contre la presse. Aussi le pouvoir ces dernières années a-t-il changé de méthode : plus d’atteintes frontales contre les journaux connus mais à la suite de procès en diffamation traités avec beaucoup de complaisance par une justice aux ordres, des amendes exorbitantes asphyxient la presse critique. "Tel Quel" et Le "Journal Hebdomadaire" font les frais de cette nouvelle politique. Par ailleurs, le nombre d’internautes est en pleine extension mais ils sont aussi soumis aux mêmes risques que les journalistes et pour les mêmes pseudo-délits.

A l’occasion du premier sommet entre le Maroc et l’Union Européenne à Grenade, le 7 mars 2010, l’association Amnesty International a publié un communiqué significatif : "Ces dernières années, plusieurs journalistes et défenseurs des droits humains ont été poursuivis au Maroc et parfois condamnés à des peines de prison pour avoir critiqué sans violence la monarchie, ce que la famille royale a jugé injurieux...
La situation pénible qu’endurent les défenseurs des droits humains et les citoyens qui critiquent le régime marocain doit être prise en compte dans les relations entre l’UE et le Maroc, à Grenade et par la suite
."

Ainsi, alors que le discours officiel se déclare toujours partisan de l’État de droit et de la démocratie, les pressions se multiplient. Le nouveau code de la presse en préparation depuis des années inquiète particulièrement le Syndicat national de la presse marocaine par la formulation floue de certains articles et par la marge laissée à la justice pour caractériser et sanctionner les délits de presse. Cette régression est également dénoncée par le Comité pour la Protection des Journalistes, une ONG internationale.

La question Amazigh

Cette question, qui remonte à plusieurs siècles, doit être appréhendée dans ses dimensions culturelles et linguistiques : le tamazight, langue parlée par une forte minorité, comporte trois variantes en fonction de l’aire géographique (nord, centre et sud du Maroc) ; elle possède une écriture originale : le tifinagh.

Sous prétexte de reconnaissance de la culture berbère, le Protectorat français a adopté une série de mesures en 1930, le Dahir Berbère, qui accentuait les différences entre la partie berbère de la population, supposée moins indocile, et la partie arabe de la population. Il voulait ainsi approfondir les clivages mais cette politique a échoué car le peuple marocain était uni dans sa volonté d’indépendance. Dès les débuts de l’Indépendance, le pouvoir a encouragé la formation d’un parti berbère qui pourrait faire contrepoids au mouvement national et il y a partiellement réussi. Au cours des années 70, des militants de la gauche marxiste ont contribué à l’émergence d’un mouvement Amazigh qui s’est organisé en associations à travers tout le Maroc.

Actuellement plusieurs tendances coexistent dans le mouvement. Certaines, engagées à gauche, militent pour la démocratie, pour une séparation des pouvoirs. D’autres sont plus proches du Maghzen. Quelques partis essaient d’instrumentaliser certaines associations. Mais la revendication identitaire a fait sortir la culture Amazigh du ghetto des manifestations folkloriques destinées aux touristes. Ainsi, un Institut Royal de la Culture Amazigh a été mis en place par Dahir avec pour mission d’introduire la langue dans le système éducatif et de promouvoir la culture berbère. Mais cet Institut ne fait pas l’unanimité, certaines associations le trouvant trop inféodé au Pouvoir. L’enseignement du tamazight est mis en place actuellement dans le primaire. Officiellement plus de 1000 écoles sont mobilisées pour l’enseignement du tamazight. Mais la réalisation s’avère très difficile faute de moyens et de personnel enseignant et peut-être aussi d’une volonté politique. Il en est de même pour la promotion d’émissions télévisuelles. Les conventions sont signées mais les productions en tamazight sont manquantes.
Le problème Amazigh actuel résulte historiquement de l’absence de démocratie aussi bien de la part du Maghzen [1], qui a toujours marginalisé la spécificité Amazigh tant sur le plan géographique que sur le plan économique et socioculturel, que du fait des composantes du mouvement national au début de l’Indépendance.

L’identité du peuple marocain est caractérisée par sa diversité : amazigh, arabe, juif, musulman, africain, méditerranéen. Le problème amazigh ne peut être envisagé que dans le cadre d’une société démocratique et moderne. Cependant, quand on fait le bilan des actions du mouvement Amazigh, il faut reconnaître qu’il a rendu visible la richesse de la culture berbère, qu’il a redonné aux populations berbères la conscience de leur dignité de citoyens à part entière, tournés vers la modernité par les valeurs défendues : droits de l’Homme, richesse du pluralisme linguistique, revendication de la démocratie. Il faut souligner que ce mouvement a pris une envergure internationale en tissant des liens avec ceux qui sont apparus et qui se renforcent également en Algérie et dernièrement en Tunisie et en Libye.

Notes

[1Makhzen : Ce terme désignait à l’origine le lieu où était cachées les victuailles communes d’un village ou d’une tribu (il a donné le terme magasin en français). Ensuite à partir du XVIIe siècle, le développement de l’administration aidant, il a commencé à désigner le Trésor, puis ceux qui en régissaient l’emploi. Avec le temps, il finit par s’appliquer à l’ensemble du personnel gouvernemental et de l’administration centrale qui secondait le souverain. Il représente pour les Marocains, le véritable principe d’autorité.