Développement local et décentralisation au Togo : quels effets ?

La coopération décentralisée entre la France et le Togo : « de l’élucidation conceptuelle à la pratique »

, par IRFODEL

Le concept de coopération décentralisée est de plus en plus utilisé par les acteurs de développement, qu’ils soient publics ou privés du Nord comme du Sud. Son acception varie d’un espace à un autre en fonction des enjeux et des décisions politiques.
En France, les prémisses de ce mouvement remontent à 1956, suite à un décret publié sur l’initiative d’Edgard Faure, qui encourageait les collectivités territoriales à prendre des initiatives de jumelage mais leur imposait un accord préalable de la préfecture.

Le contexte socio politique du Togo et la lenteur de l’effectivité de la décentralisation au Togo, semble constituer un goulot d’étranglement, pour l’évolution de la coopération décentralisée, que le Togo a connu, avant l’indépendance, en 1958, à travers un acte de jumelage, qu’avaient signé les villes d’Atakpamé et de Niort.

Depuis lors, quel est le chemin parcouru, avec quels acteurs et quelle évolution, dans la perspective d’un développement humain durable réciproquement utile, pour les populations togolaise et française ?

L’objet de cet article est de contribuer à la compréhension du concept, de faire un bilan succinct de près de 54 ans de coopération décentralisée France -Togo.

1) Vers une traduction commune de la coopération décentralisée

La coopération décentralisée, de quoi parlons-nous ?

Le concept de coopération décentralisée, selon l’acception française, regroupe l’ensemble des actions de coopération internationale menées par une ou plusieurs collectivités territoriales françaises (régions, départements, communes et leurs regroupements) et une ou plusieurs autorités territoriales étrangères. Ces actions sont menées par convention, dans un but d’intérêt commun de développement social, culturel, institutionnel économique, et dans le cadre des compétences mutuelles des partenaires.

Il s’agit d’une coopération entre collectivités publiques qui, peut faire appel au concours d’autres acteurs (associations, ONG, entreprises, universités…) mais dont la pleine responsabilité appartient aux collectivités concernées. Elle peut viser, par exemple, les relations entre des collectivités territoriales française et togolaise.
Par contre, la définition du Conseil de l’Union Européenne de la coopération décentralisée, diffère de la française.

Suivant le Règlement N°1659/98 du Conseil du 17 juillet 1998, la coopération décentralisée ne se limite pas aux relations établies par les collectivités territoriales avec des homologues des pays en voie de développement, elle concerne non seulement toutes les relations nouées entre organismes du Nord et du Sud mais aussi, surtout, les relations de coopération qui s’instaurent entre organismes du Sud au sein d’un même pays entre « pouvoirs publics locaux, groupements ruraux et villageois, coopératives, syndicats, établissements d’enseignement et de recherche, ONG de développement, etc. ».

Pour le Conseil de l’Europe, la notion de coopération décentralisée, s’accorde avec la définition française. Cette notion est précisée dans le protocole adopté par le Conseil de l’Europe le 5 mai 1998 et entré en vigueur le 1er février 2001.

Dans le cadre de cet article qui porte principalement sur la coopération décentralisée France-Togo, nous adopterons la définition française, dont les acteurs sont les collectivités territoriales (régions, départements, communes) et leurs regroupements comme les communautés des communes ou les communautés d’agglomérations. Il est à noter que la définition togolaise est basée sur les mêmes principes que celle de la France.

Cadre légal de la coopération décentralisée France –Togo

  • En France :
    La loi ATR (Loi d’Administration Territoriale de la République), n° 92-125, du 6 février 1992, précisée par la circulaire du 20 avril 2001, fournit le cadre juridique aux actions à l’international des collectivités françaises. Elle autorise les collectivités territoriales à signer des conventions avec des autorités locales étrangères, dans le respect des engagements internationaux de la France. La loi dite Thiollière (Sénateur-maire de Saint Etienne), loi n°2007 du 2 février 2007, reconnaît aux collectivités territoriales, une compétence d’attribution en matière de coopération internationale et d’aide au développement.
  • Au Togo :
    En lien avec, de la Constitution Togolaise de la 4ème République, la loi 2007-011, promulguée en mars 2007, relative à la « décentralisation et aux libertés locales de la république togolaise », formalise les relations entre collectivités territoriales togolaises et leurs homologues étrangères dans ses articles 20 à 23.
    L’article 20 de la loi précise que : « Les collectivités territoriales peuvent conclure des conventions ou des accords de jumelage avec les collectivités territoriales étrangères dans les limites de leurs compétences et dans le respect des engagements internationaux de la République togolaise. Les collectivités territoriales, sous le contrôle de l’État, peuvent entreprendre des actions de coopération avec leurs homologues de pays étrangers ». Cette loi indique par ailleurs que « le territoire national est divisé en collectivités territoriales dotées de la personnalité morale et de l’autonomie financière ; ces collectivités territoriales sont la région, la préfecture, la commune ».

Malgré ces dispositions légales, il est à remarquer que les dernières élections locales ont eu lieu en 1987, les équipes municipales d’alors ont été dissoutes en 2001 et remplacées des Délégations Spéciales, le Président de la Délégation Spéciale faisant office de Maire. Si le droit togolais permet aux collectivités territoriales d’entreprendre des actions de coopération, le caractère inachevé de la décentralisation limite de fait la coopération décentralisée.

2) Les collectivités territoriales françaises et togolaises

Présentement, il existe en France : 22 régions, 100 départements et 36000 communes et au Togo : 5 régions, 35 préfectures et 21 communes. Si la communalisation intégrale est mise en œuvre, le Togo disposerait de près de 400 collectivités locales.

Panorama de la coopération décentralisée France-Togo

  • Bref rappel historique
    Une des plus anciennes relations de collectivité à collectivité France –Togo , a vu le jour en 1958 (avant l’indépendance), entre les villes de Niort (Département des Deux-Sèvres) et Atakpamé (Région des Plateaux) par la signature d’un cadre de jumelage, acte resté en veilleuse jusqu’en 1984, date à laquelle le jumelage se transforme en jumelage coopération, favorisant une intense activité de coopération décentralisée, qui a favorisé des partenariats similaires avec d’autres collectivités des Deux-Sèvres et de la Région des Plateaux.
  • Partenariats actifs et domaines de coopération
    En nous référant à l’état des lieux sur la coopération décentralisée France- Togo, en 2010, il ressort du tableau récapitulatif des partenariats, que 26 collectivités territoriales françaises sont engagées dans la coopération décentralisée avec le Togo. On y retrouve des communes (18), des communautés de communes (6), un conseil général et un conseil régional. Les partenaires togolais sont des villages, des cantons (18) des communes (8), des préfectures (2) et une région.

Les coopérations décentralisées engagées par les collectivités territoriales françaises, concernent entre autres : la région-Champagne Ardenne, le Conseil général des Yvelines, plusieurs communes des Deux-Sèvres (Niort, Bessines, Bressuire, etc.), Issy-les-Moulineaux, Bailleul et de nombreuses autres communes et communautés des communes.

L’on note également qu’une quarantaine de collectivités territoriales françaises sont engagées au sein de quatre-vingts projets de coopération décentralisée, totalisant une enveloppe globale d’environ 1million d’euros. Les secteurs prioritaires d’intervention sont l’eau et l’assainissement, le développement rural, la santé, la décentralisation, l’appui à la décentralisation, le développement social, l’éducation et la formation, les activités génératrices de revenus, la culture et la communication.

La plupart des partenariats de coopération décentralisée France – Togo sont pilotés par des comités de jumelage. L’existence de l’Association des Jumelages Franco-Togolais (AJFT), antenne au Togo du Programme concerté mis en place par le groupe - pays Togo à CUF (Cités Unies France) en est un reflet.

Ces comités de jumelages et populations des territoires concernés au Togo comme en France sont appuyés par un réseau d’acteurs et organisations.

Les principaux acteurs de cette coopération décentralisée sont pour la France : la Délégation pour l’action extérieure des collectivités territoriales (DAECT / Ministère des Affaires Étrangères et Européenne), relayée au Togo par le Service de la Coopération et d’Action Culturelle (SCAC), qui met en œuvre la politique de coopération du MAEE, en concertation avec l’Agence Française de Développement (AFD), et en partenariat avec les acteurs nationaux. La Commission Nationale de la Coopération Décentralisée (CNCD), organe de dialogue entre les collectivités et l’État et le Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité Nationale et du développement Solidaire (MIIINDS) interviennent également. Au niveau des associations des associations des collectivités territoriales, il y a Cités Unies France (CUF) qui anime le groupe –pays Togo. Des dispositifs régionaux comme le RESACOOP, l’Agence régionale de Coopération et de Développement de Champagne-Ardenne interviennent également.

Au Togo, interviennent le Ministère de l’administration territoriale, de la décentralisation et des collectivités locales (MATDCL), l’Union des Communes du Togo (UCT) pour des appuis et mise en relation, d’autres structures, notamment la délégation de la Commission de l’Union européenne soutient des projets, par des appels à proposition, l’Association Internationale des Capitales et Métropoles Entièrement ou Partiellement Francophones (AIMF), France Volontaires (mise à disposition des volontaires de solidarité internationale, appuis aux chantiers jeunes).

3) Pour construire une coopération décentralisée France-Togo durable

De notre point de vue, la coopération décentralisée France-Togo a de beaux jours devant elle, car elle est inscrite dans un cadre légal qui évolue en fonction des enjeux des deux pays. Des acteurs organisés publics comme privés des collectivités territoriales du Togo et de la France sont mobilisés pour traduire dans les faits les accords de partenariat par des projets de développement et des appuis à caractère institutionnel.

Toutefois, il est vivement recommandé que le Togo fasse des sauts qualitatifs en matière de décentralisation par l’organisation des élections locales qui contribuera de libérer les dynamismes propres des collectivités togolaises, avec des élus locaux comme leurs partenaires français. En dehors des élections locales, il faudra compléter le dispositif juridique et réglementaire de la coopération décentralisée.
Les acteurs d’appui togolais pourraient gagner en efficience en mettant en place un cadre de concertation multi-acteurs, en vue de mutualiser les compétences pour faciliter le renforcement des capacités des collectivités locales togolaises et les comités de jumelages.

Des sauts qualitatifs sont à faire également par les collectivités locales togolaises pour accéder à un partenariat de coopération décentralisée durable. Il s’agira pour elles de prendre en compte les enjeux de leurs territoires, en réalisant un diagnostic, c’est- à dire : établir ce qu’il faut savoir pour agir sur ce territoire. Le diagnostic doit permettre d’identifier les personnes susceptibles de s’impliquer dans le partenariat de coopération décentralisée (personnes ressources), et de dégager les axes de travail sur lesquels les collectivités locales peuvent être amenées à collaborer. A partir des enjeux, elles devraient acter le partenariat sur les principes d’intérêt mutuel, d’engagement, de professionnalisme et dans un esprit d’ouverture sur le monde.

Nous notons enfin que le renforcement des capacités des acteurs du Togo et de la France, est la clé pour un partenariat de coopération décentralisée réussi.

Commentaires

La coopération décentralisée France-Togo : présentation et analyse, septembre 2010, SCAC, Union des Communes du Togo.

Bibliographie :
 Cinquantenaire des Indépendances Africaines, MAEE et Ministère de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration.
 La coopération des collectivités locales, une politique à construire, MMDDI 2001/2002, Bernard Husson.
 Présentation de la Coopération Décentralisée entre la France et le Togo, Décembre 2077,SCAC/Ambassade de France au Togo.