Timor Leste : un petit pays en devenir

La construction démocratique

Le départ des Indonésiens n’a laissé que des cendres au Timor Leste. Le pays entier devait se reconstruire. Gouvernement transitoire composé par les Nations unies, armée et police, écoles et hôpitaux, réconciliations au sein des familles et des voisinages : tout était à faire.

La communauté internationale et divers organismes d’urgence et de développement (presque tous dirigés par des expatriés) sont arrivés nombreux au Timor, ce qui correspondait essentiellement à la distribution massive des fonds internationaux.

Les Timorais ont ainsi assisté, après cinq cents ans de colonisation portugaise et vingt cinq années d’occupation indonésienne, à la venue des Malay (les « étrangers »).

Construction politique et institutionnelle : la décentralisation un enjeu actuel

Le pays est en « voie de développement » et beaucoup reste à faire, à tous niveaux. Les enjeux politiques et économiques globaux paraissent les principales préoccupations d’un gouvernement dépendant des acteurs internationaux, et par conséquent peu à l’écoute des réalités locales. Les discours politiques reconnaissent et intègrent mal la diversité linguistique et culturelle du peuple timorais. On voit apparaître l’esquisse d’un discours national timorais venant du gouvernement et des partis d’opposition auquel, en réalité, le peuple ne participe pas et n’est pas intégré. Les identités locales et les identités culturelles peinent à être prises en compte.

Il ne faudrait pas que le Timor sacrifie les projets sociaux et culturels pour se focaliser sur une croissance économique inspirée de modèles exogènes qui pourrait devenir plus déstructurante que véritablement constructive. La croissance peut constituer un moyen d’amélioration des conditions de vie, mais n’est pas une fin en soi.

L’essentiel tient à ce que la population timoraise soit associée au processus démocratique et au développement et n’en soit pas dépossédée par d’autres acteurs.
Par où faut-il commencer pour reconstruire des structures institutionnelles ? Faute de structures suffisantes déjà existantes, dans ce contexte, les ONG et l’Eglise ainsi que les acteurs internationaux sont bien placés pour participer aux efforts de médiation et de réconciliation.
Cependant, ces mécanismes informels ne sauraient remplacer des institutions politiques efficaces, qui fonctionneront d’autant mieux sur la base d’une culture démocratique au sens le plus large, à savoir d’un mode de gouvernance fondé sur la transparence et la responsabilité. Sans une telle culture et les institutions qui l’expriment, la reconstruction risque de sombrer dans la violence.

À la fin de l’année 1999, l’ONU et la Banque mondiale ont organisé ensemble une « Mission commune d’évaluation » qui a tracé les grandes lignes d’un programme de reconstruction du Timor Leste.

Le rapport désigne huit domaines prioritaires, parmi lesquels la santé, l’éducation, l’agriculture ainsi que la décentralisation du pouvoir qui sera abordée ici. « Il y est recommandé à cet égard de mettre en place des « conseils de village », afin de poser les bases d’une gouvernance décentralisée à laquelle les populations puissent demander des comptes. Malheureusement, ni la façon dont ces conseils de village devraient aborder les problèmes relatifs aux sept autres domaines, ni les rapports de ces conseils avec les dynamiques plus larges de la société civile, ne semblent avoir fait l’objet d’une véritable réflexion. En cloisonnant ainsi la participation, distinguée des domaines concrets d’action publique, l’ONU et la Banque mondiale risquent de transformer la reconstruction en un processus hiérarchisé auquel les populations locales seront peu associées. »(MCGIBSON Rodd, BLAIKER Roland. Janv 2001. « Timor Oriental : le combat pour la paix et la réconciliation » in Culture et Conflits n°41).

En 2009, décentralisation et développement des zones ruralessont en effet devenus au Timor plus que jamais des concepts phares et des enjeux prioritaires. Ce qui signifie que le gouvernement transfèrera aux niveaux local et municipal des pouvoirs politiques et administratifs ainsi que des ressources financières. Bien sûr, la gouvernance locale devra être renforcée en conséquence, et ceci de diverses façons. Après des siècles de centralisation politique et socio-économique, ce changement vers la décentralisation est à la fois une chance et un défi.

La décentralisation va offrir aux ONG, au niveau local, un cadre de coopération avec le gouvernement en vue de l’élaboration et de la mise en œuvre des décisions politiques.

Le rôle des acteurs de la société civile

La « société civile » est ici entendue comme une participation populaire au processus de développement. Sans cette participation, le principe du contrôle exercé par le peuple sur le gouvernement ne peut se réaliser.

Pour commencer, quelques lignes pour comprendre le rôle de l’Église catholique au Timor oriental, identifiée, pendant l’occupation indonésienne, comme un des principaux bastions de la lutte pour le respect de la population timoraise. En effet l’institution religieuse était demeurée bien représentée et organisée sur le territoire en 1975, alors que les autres piliers coloniaux s’étaient effondrés (armée, administration coloniale). La population s’était donc naturellement tournée vers cette Eglise qui a fortement contribué à la médiatisation puis à la reconnaissance de la cause timoraise. Elle a de la sorte constitué un facteur unificateur et constitutif de l’identité timoraise (avec la résistance) en réaction à l’assimilation indonésienne.

Ainsi la grande majorité des Timorais appartient aujourd’hui à la religion catholique (contre à peine un tiers de la population au début de l’occupation). L’Eglise timoraise est de ce fait amenée à jouer avec d’autres acteurs un rôle de force mobilisatrice, qu’il s’agisse de la reconstruction de la nation ou de la mise en place d’un Etat démocratique.

Si le Timor Leste est un État séculier, le gouvernement reconnaît cependant le rôle identitaire de l’Eglise. Cette reconnaissance se traduit à deux niveaux : d’une part, la négociation d’un concordat avec le Vatican, et d’autre part, un support budgétaire, selon le principe de subsidiarité, aux activités sociales de l’Église. Par delà cette reconnaissance, il faut souligner que l’Église catholique joue un rôle dans le développement du Timor Leste, qui n’est pas un simple complément quantitatif à celui de l’État.

Face à l’arrivée massive d’associations et d’ONG après l’indépendance, l’Eglise perd cependant de sa prépondérance. Comme l’Église, les ONG sont une composante essentielle de la société civile et sont partie prenante d’un véritable Etat démocratique.

Les associations et ONG locales installées dans les régions sont des acteurs incontournables pour l’établissement d’un développement communautaire.

Ainsi, les acteurs locaux formés peuvent à leur tour devenir des formateurs par le partage issu de l’expérience. La démarche de développement participatif exige d’associer le plus grand nombre pour un impact significatif à l’échelle d’une ville, d’une région voire d’un pays…

Le soutien des partenaires financiers doit s’inscrire sur la longue durée et accompagner les initiatives locales en veillant à ne pas les étouffer par un cadre logique qui reflèterait davantage les priorités des donateurs.

Les limites de l’aide au développement

« Si les acteurs nationaux ont un rôle essentiel à jouer dans le processus de reconstruction, les forces internationales restent donc un soutien important. Les acteurs internationaux les plus influents sont le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, des ONG internationales, des institutions spécialisées de l’ONU et certains gouvernements étrangers.

Tous ont des intérêts divergents qui s’inscrivent dans un ensemble disparate de préoccupations nationales et internationales : les politiques étrangères, souvent peu compatibles, d’Etats tels que l’Indonésie, l’Australie, le Portugal et les Etats-Unis ; mais aussi les priorités organisationnelles des agences multilatérales et les objectifs commerciaux des détenteurs de capitaux étrangers. En fait, comme la société est-timoraise est fortement désorganisée, des intérêts étrangers financièrement puissants pourraient aisément prendre le pas sur les intérêts des populations, et, si elles sont mal contrôlées, contribuer de surcroît à aviver les rivalités en son sein. » (MCGIBSON Rodd, BLAIKER Roland. Janv. 2001. « Timor Oriental : le combat pour la paix et la réconciliation » in Culture et Conflits n°41).

Les premières années de l’indépendance ont été relativement difficiles ; bien que certaines associations se soient placées dans une approche d’appui au développement, la plupart ont dû se cantonner à répondre principalement aux besoins des gens et à tendre vers des actions d’urgence. Cette période est également celle où les Timorais et les Malay ont dû apprendre à se connaître, à se comprendre, à se faire confiance.

Cette période se comprend en raison de l’histoire du Timor Leste : la grande dévastation du pays au moment de l’indépendance, ainsi que la difficulté de la population à se projeter. Ainsi, une grande majorité de la classe active a vécu trois grands bouleversements politiques et socioculturels : la courte période d’indépendance après plus de 400 ans de colonisation portugaise, l’invasion indonésienne, l’indépendance en 2002. Chacun de ces changements est survenu de manière soudaine et brutale, souvent accompagné par la destruction des biens et la perte de proches.