La communauté LGBTQIA+ rwandaise tire la sonnette d’alarme : il est dangereux d’envoyer ici des demandeurs d’asile en raison de l’orientation sexuelle

, par OpenDemocracy , ARCHER Nandini, LINDMANN Cendrine (trad.), SOITA WEPUKHULU Khatondi

Le Royaume-Uni a l’intention d’envoyer des demandeur.se.s d’asile dans ce pays d’Afrique de l’Est. Des groupes de défense des droits s’inquiètent particulièrement pour les personnes LGBTQIA+.

Kigali, Rwanda
Crédits : Guillaume Lederrey via Flickr(CC BY-NC-SA 2.0)

Gerald et son petit-ami ont fui le Rwanda en février de cette année, afin d’échapper aux persécutions de leur famille et de leur église. « Ils nous ont battus, affamés et ont refusé de nous héberger », a-t-il déclaré à openDemocracy depuis l’Ouganda, pays voisin.

Son témoignage nous est parvenu après l’annonce du gouvernement du Royaume-Uni de nouvelles propositions de réinstallation des demandeur.se.s d’asile au Rwanda.

Le projet de 120 millions de livres sterling sera financé par le contribuable britannique et visera principalement les hommes célibataires qui arriveront à bord de bateaux ou de camions. Le Premier ministre Boris Johnson a qualifié ce plan d’« humain et compatissant » et a déclaré qu’il permettrait de mettre fin aux activités des « passeurs infâmes ».

Cependant, les groupes de défense des droits affirment que cela portera préjudice notamment aux personnes LGBTQIA+ étant donné le bilan du Rwanda en ce qui concerne leurs droits.

« C’est terrible pour tout le monde, mais en particulier pour les personnes de la communauté LGBTQIA+ », explique Sonia Lenegan, directrice juridique et politique de l’ONG Rainbow Migration.

« Le gouvernement doit abandonner cet accord, qui ne peut que créer des problèmes juridiques ».

Le Rwanda est dangereux pour les personnes LGBTQIA+

« Le nouvel accord signifie que les personnes LGBTQIA+ qui ont été confrontées à un grave danger dans leur pays d’origine et ont cherché une protection au Royaume-Uni seront envoyées dans un pays où il est risqué de faire ouvertement parti de la communauté LGBTQIA+ », dit Lenegan.

« Le seul fait de parler de son orientation sexuelle mettrait une personne LGBTQIA+ envoyée du Royaume-Uni au Rwanda en danger. C’est justement une demande d’asile fondée sur l’orientation sexuelle dont il s’agit. »

Lenegan affirme que le Rwanda traite de manière ambiguë les demandes d’asile des personnes LGBTQIA+ et se demande s’il est en fait possible de faire une demande pour de tels motifs.

Un rapportde l’organisation non gouvernementale internationale Human Rights Watch de l’année dernière a révélé que les autorités rwandaises ont arrêté et détenu arbitrairement plus d’une douzaine de personnes homosexuelles et transgenres, de travailleur.se.s du sexe, d’enfants des rues et autres au cours des mois précédant une conférence internationale de haut niveau prévue en juin 2021.

Le même rapport a recueilli des témoignages de personnes de la communauté LGBTQIA+ au Rwanda qui prétendent que les responsables de la sécurité les ont accusé de « ne pas représenter les valeurs rwandaises ».

« Au Rwanda, il n’existe pas de lois interdisant le comportement homosexuel et l’expression du genre, mais cela ne signifie pas que c’est un pays sûr pour les personnes LGBTQIA+ », a remarqué un organisateur communautaire de Kigali, la capitale.

« L’homosexualité n’est pas un crime, même si ce n’est pas officiellement reconnu », a-t-il déclaré à OpenDemocracy sous condition d’anonymat. « Il n’y a pas de lois pour protéger les personnes LGBTQIA+ qui sont stigmatisées par leur famille, sur leur lieu de travail et à l’école ».

Certaines personnes de la communauté LGBTQIA+ au Rwanda ont fait une demande d’asile au Royaume-Uni en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, ce que les chiffres ne montrent pas.

« Coûteuse et cruelle »

Lenegan explique qu’un accord analogue passé entre l’Israël et le Rwanda a vu des milliers de demandeurs d’asile être transférés au Rwanda, mais presque tous ont immédiatement quitté le pays pour entreprendre à nouveau un voyage dangereux afin de rejoindre l’Europe.

Le Danemark a également adopté une loi similaire l’année dernière, permettant de traiter les demandes d’asile en dehors de l’Union européenne, même si ce n’est pas certain qu’elle ait déjà été appliquée. À l’époque, l’Union africaine a arrêté le projetde loi, parce qu’il ne répondait pas au principe de responsabilité.

Cependant, le gouvernement britannique envisage de telles dispositions de « délocalisation » et a proposé un projet de loi relatif à la nationalité et aux frontières qui sera renvoyé à la Chambre des communes du Royaume-Uni la semaine prochaine. Les défenseurs des droits ont prévenuque cette procédure risque de décourager les personnes ayant besoin de « prouver » leur orientation sexuelle ou leur identité de genre.

Ce modèle de délocalisation est originaire d’Australie. « Le coût que cela entraîne est choquant », a déclaré Lenegan. « L’Australie a dépensé plusieurs milliards pour mettre cette procédure en œuvre. Il est insensé de suivre l’Australie au vu de la situation géographique. »

« Il est peu probable que ce processus soit à même de dissuader les gens. Étant donné que tout cela est confus, je doute que la plupart des migrants comprennent vraiment l’immense risque qu’ils prendraient en partant au Rwanda. »

« Il s’agit de mettre les gens dans une situation très dangereuse et de dépenser pour celà beaucoup d’argent, alors que rien ne prouve que le gouvernement sera ainsi en mesure d’atteindre son objectif manifeste de dissuasion ».

« Une hausse du budget du ministère de l’Intérieur, ainsi qu’une amélioration du processus de prise de décision coûteraient moins cher. Le gouvernement a opté pour l’option coûteuse et cruelle, plutôt que celle moins chère et plus efficace. »

Le ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni a déclaré à openDemocracy ne pas croire que le nouveau plan en matière d’immigration puisse mettre les personnes LGBTQIA+ en danger. « Toute personne retenue dans le cadre du programme de réinstallation fera l’objet d’un contrôle et aura accès à des conseils juridiques », a déclaré un porte-parole. « Les décisions seront prises au cas par cas et aucun déplacement jugé dangereux ou inapproprié n’aura lieu. »

Il a ajouté : « Nous n’avons pas de commentaires à formuler sur les critères exacts et de base qui justifient le déplacement des personnes.

« Cela ne concerne pas seulement les homosexuels, mais également les enfants, les familles, ainsi que les besoins de santé, mais nous ne feront aucun commentaires sur le sujet pour ne pas potentiellement renverser des réseaux de contrebande au détriment de personnes vulnérables ».

Yolande Makolo, porte-parole du gouvernement rwandais, a déclaré qu’au Rwanda, « toutes les personnes, y compris celles et ceux qui s’identifient comme LGBTQIA+, peuvent se sentir en sécurité », puisqu’« l’un des principes centraux de la reconstruction du Rwanda a été de veiller à ce que chaque personne soit avant tout traitée comme un être humain » et le pays a été « hautement classé pour l’égalité des sexes et l’inclusion des groupes historiquement marginalisés ».

Voir l’article original an anglais sur le site d’OpenDemocracy

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Initialement publié le 16 avril 2022 sur le site d’openDemocracy, cet article a été traduit par Cendrine Lindman, traductrice bénévole pour ritimo.
Cet article est également disponible en anglais sur notre site