La Chine et le pétrole du Nigeria

, par SHARIFE Khadija

 

Ce texte, publié originellement en anglais par Pambazuka, a été traduit par Sophie Daille, traductrice bénévole pour rinoceros.

 

Un projet d’une valeur avoisinant les 30 milliards de dollars destiné à augmenter la capacité de raffinage du Nigeria pourrait bien voir le jour. Mais y a-t-il un piège pour le principal producteur de pétrole africain ? Khadija Sharife mène l’enquête.

La Chine a longtemps été connue comme l’artisan se cachant derrière « les armes de construction massive » du continent. Jusqu’à aujourd’hui, la ligne ferroviaire « Tanzam » qui s’étend sur 1860 km entre la Tanzanie et la Zambie, construite entre 1970 et 1975 pour un coût s’élevant à 500 millions de dollars, en est le meilleur symbole.

Ce projet, un vecteur essentiel entre les pays de la SADC financé via un emprunt à taux zéro, fut achevé avant la date fixée et devait permettre de diminuer la dépendance de la Zambie par rapport à l’Afrique du Sud de l’apartheid et à la Rhodésie de Ian Smith (le Zimbabwe), et donc d’isoler encore ces dernières.

25 000 Chinois avaient travaillé aux côtés de milliers de Tanzaniens et de Zambiens à la construction de cette route alternative. Depuis, avant le « retour » officiel de Pékin à la fin des années 90, les infrastructures n’atteignaient en moyenne que 4% des investissements étrangers. Cela a changé avec la création de la Banque d’import-export de Chine (China Exim) en 1994, actuellement la troisième plus grande agence de crédit à l’exportation (ECA) au monde, avec plus de 23 milliards de dollars octroyés en crédits favorables en à peine plus de 10 ans. Environ 50% des prêts de la banque China Exim ont été investis en Afrique, avec 79% des fonds affectés aux infrastructures, principalement des grands barrages, des chemins de fer, des centrales électriques, des installations minières et de télécommunications.

Mais un autre projet pourrait faire de l’ombre à l’héritage de la Tanzam, tant par son importance que par son ampleur. Le Nigeria, le principal producteur de pétrole africain, à travers la compagnie pétrolière nationale la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), a signé un protocole d’accord avec la China State Construction Engineering Corporation (CSCEC), une société chinoise de construction parmi les géants mondiaux du secteur.

Pour le Nigeria, qui importe 85% de son pétrole raffiné par an (pour une valeur de 10 milliards de dollars), la proposition visant à construire trois raffineries et un complexe pétrolier fait la différence entre liberté et dépendance. Actuellement, parmi les quatre raffineries nigérianes (dont celles de Warri – 125 000 barils par jour-, Kaduna –11 000 bpj-, Port Harcourt Rivers State –150 000 bpj- et Port Harcourt Alesa Elemi –120 000 bpj), une seule serait opérationnelle.

Le pays génère en moyenne environ 2000 mégawatts (MW), tandis que la capacité en électricité s’élève à 3100 MW, ce qui oblige les entreprises du pays économiquement moteur de l’Afrique à recourir à des générateurs diesels très coûteux. Les fonds seraient financés par un consortium de banques chinoises, avec le soutien de l’Agence chinoise de crédit à l’exportation (SINOSURE). Le projet devrait être achevé en 5 ans, une fois les négociations sur les termes et conditions de l’emprunt terminées. La compagnie NNPC a déclaré que ce contrat est destiné à profiter non seulement au marché domestique mais également à permettre d’exporter des produits raffinés en Afrique de l’ouest et ailleurs sur le continent.

« Il faut encore trouver un financement, mais à part cela, ce contrat d’infrastructure, financé en échange de ressources, a déjà toutes les caractéristiques des plus grand succès chinois en Afrique. », déclare le professeur Deborah Brautigam, spécialiste des relations sino-africaines et auteur du livre La véritable histoire de la Chine en Afrique. « Du pétrole raffiné sera exporté vers la Chine en échange de la construction du projet. Cela aidera à tout mettre en œuvre pour garantir un emprunt sur le long terme. Le financement est toujours la contrainte majeure. »

Mais y-a-t-il un piège ?

Shehu Ladan, anciennement à la tête de la NNPC, a révélé que le consortium mené par la CSCEC serait dirigé par la Chine, qui détiendrait 80% des parts, jusqu’à ce que l’investissement soit récupéré. Vu l’opacité de la comptabilité, spécialement dans les méga-projets de développement, cela pourrait bien devenir un point conflictuel dans la longue histoire de corruption côté offre et demande qui a marqué le Nigeria. « Le public a besoin de savoir quelle date s’est fixée la CSCEC pour récupérer l’intégralité de son investissement. », confie dans une interview Nnimmo Bassey, directeur du mouvement nigérian pour l’environnement Environmental Rights Action (ERA). « Le projet, tel qu’il nous est présenté, semble être à durée indéterminée. Nous n’avons pas la date approximative à laquelle la CSCEC devra remettre les installations à la NNPC. ».

Le modèle de contrat (contrat build-operate-transfer) privilégié par les Chinois, qui va de pair avec son système d’échange de ressources contre infrastructures, est souvent appliqué avec succès dans les pays africains, bien que les gouvernements soient floués lorsque les appels d’offres (et les prêts) reviennent finalement à des opérateurs chinois. Le gouvernement nigérian ne détiendra aucune action et ne pourra apporter aucune contribution que ce soit en termes de financement ou durant la phase de construction et de gestion.

« En réalité, le Nigéria s’est montré incapable de gérer ses quatre raffineries. La production de produits pétroliers sera certainement une réussite, mais le Nigeria se retrouvera probablement plumé par cet accord potentiellement toxique. », ajoute Nnimmo Bassey.

Le coût (estimé par baril en relation au coût de construction) peut être comparé à celui envisagé l’année dernière entre PetroSA et la Chine pour la construction d’une raffinerie de 400 000 bpj pour 10 milliards de dollars.

Pourtant, ce marché, destiné à produire 750 000 barils de pétrole raffiné via des actifs matériels qui seront transférés au gouvernement, est-il préférable aux alternatives habituelles ?

Récemment, un accord secret de plusieurs milliards a été signé entre Trafigura, négociant en matières premières basé en Suisse et l’un des trois premiers négociants pétroliers du monde, également connu pour avoir honteusement déversé des déchets toxiques en Afrique, et la NNPC pour un montant supposé de 3 milliards de dollars, sous forme d’échange de 60 000 bpj (soit 27% de la production totale de la NNPC) contre des produits raffinés non finis. « Le contrat a été signé afin d’assurer aux Nigérians un approvisionnement adéquat et régulier face à la menace sécuritaire grandissante ; c’est pour faire face à la menace du Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger (le MEND) de s’attaquer au secteur en aval. », déclare la NNPC. L’accord, qui n’échapperait pas à de possibles erreurs grossières de prix et à la corruption, est décrit par Peter Esele, du Trade Union Congress, dans Newswatch comme étant la réponse d’un gouvernement qui n’attend plus rien des propres raffineries du pays.

« Aujourd’hui, les Nigérians n’obtiennent de toute façon rien en retour de leur pétrole. », pense Brautigam. « Si le gouvernement autorise une compagnie chinoise à construire et gérer ces raffineries pour un certain temps, il pourrait enfin dire adieu aux longues files d’attente devant les stations essence. »

Cet article a d’abord été publié dans le journal The New Age. Khadija Sharife est le correspondant en Afrique du Sud du magazine The Africa Report et chercheuse invités au Centre for Civil Society (CCS) basé en Afrique du Sud.