La Chine est-elle en train de rendre l’Afrique plus verte ?

Stephen Marks

, par Pambazuka

 

La version originale de cet article a été publiée en anglais par Pambazuka. Il a été traduit par Virginie de Amorim, traductrice bénévole pour rinoceros.

 

La Chine serait-elle en train de soigner son action environnementale et sociale en Afrique ? C’est en tout cas ainsi qu’elle souhaiterait être perçue. Un exemple parlant a été le récent concours des « meilleures entreprises chinoises en Afrique » sponsorisé par le gouvernement chinois et remporté par la China Road and Bridge Corporation (CRBC).

Le but de cette récompense était officiellement de « mettre en valeur les contributions des entreprises chinoises en Afrique » ainsi que de « répondre par des faits aux critiques des pays occidentaux à l’encontre des entreprises chinoises ». Le concours, qui a été sponsorisé conjointement par l’Association de l’amitié des peuples chinois et africains (Chinese-African Peoples’ Friendship’s Association), Radio Chine Internationale et Africa magazine, a commencé le 22 octobre avec le lancement d’un site web de vote en ligne. Selon le site, les entreprises récompensées doivent « consacrer des ressources significatives au développement social et à l’économie locale des pays africains, respecter la responsabilité sociale des entreprises et apporter des contreparties positives aux populations locales d’Afrique ».

Une autre entreprise chinoise récompensée est la China Merchants Bank, qui a remporté le troisième « prix annuel de l’innovation bancaire verte » (Green Banking Innovation Award). Quinze des principales banques commerciales chinoises ont été jugées sur leurs investissements à l’étranger ainsi que sur les questions de gouvernance d’entreprise, telles que la transparence, les politiques environnementales et leurs mesures d’application de ces dernières. Neuf ONG écologistes chinoises se sont réunies pour organiser ce concours : Green Watershed, Friends of Nature, Institute of Public & Environmental Affairs, Green Earth Volunteers, Global Environment Institute, Civil Society Watch, China Development Brief, Green Volunteer League of Chongqing et Hengduan Mountains Research Society.

Cette tendance n’est pas nouvelle. En juillet 2009, dans ce qu’International Rivers, ONG internationale basée en Suisse, a appelé « le pas en avant le plus significatif à ce jour », les Ministères du commerce et de la protection de l’environnement chinois ont publié un avant-projet de « directives sur le comportement écologique des investisseurs chinois à l’étranger ». Ces directives insistent sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises et des banques chinoises à l’étranger, et prévoit la création de mécanismes d’appel pour « des projets locaux controversés ».

Mais jusqu’à quel point ceci indique-t-il un réel changement prometteur dans le comportement des entreprises chinoises, et jusqu’à quel point cela représente-t-il simplement une version chinoise de l’« écoblanchiment », ou greenwashing en anglais, pour lequel les entreprises et les gouvernements occidentaux se sont depuis longtemps rendus célèbres ?

L’incident du 15 octobre dernier dans une mine de charbon de Zambie, où des surveillants chinois ont ouvert le feu et blessé 11 ouvriers dans le cadre d’un conflit de travail, a rappelé l’explosion dans les mines de cuivre Chambishi en Zambie où 49 travailleurs ont été tués en 2005, suivi du meurtre de 5 travailleurs par des agents de sécurité au même endroit un an plus tard.

Bien sûr, les entreprises chinoises servent souvent de bouc-émissaires, rendues responsables de l’échec des gouvernements dans l’application de leurs propres règles. Un rapport publié en juillet 2010 par l’Institut Sud-Africain des Affaires Internationales (South African Institute for International Affairs, SAIIA), trois mois avant la fusillade, a mis en avant la défaillance du gouvernement zambien en matière de régulation, puisqu’il a placé sa confiance dans l’auto-régulation des entreprises, et l’influence des relations de connivence entre les investisseurs étrangers et les leaders locaux.

Des signes démontrant que les gouvernements africains ont tenus compte de telles critiques se sont fait jour. Pour le seul mois d’octobre, des infornations ont été publiées selon lesquelles le Nigéria a fermé la succursale de la China Civil Engineering and Construction Company (CCECC) à Abuja à cause de son palmarès médiocre en matière de sécurité et de santé (similaire à celui d’autres compagnies étrangères) et le Mozambique a retiré les permis de travail de trois Chinois reconnus coupables d’agressions de travailleurs et d’autres violations du droit du travail et des sociétés dans l’industrie de la construction.

Une réponse fréquente aux mises en cause de certaines entreprises chinoises des secteurs concernés est de rappeler que les conditions au sein même de la Chine ne sont souvent pas meilleures, particulièrement dans le secteur minier. Mais là aussi les choses semblent être en train de changer. Le China Daily a rapporté que, dans le cadre d’un programme pilote, des refuges souterrains, des capsules d’évasion et d’autres installations d’urgence ont été installés dans sept mines de charbon de la province de Shanxi. Citant le China Youth Daily, l’article précise qu’une mine du groupe Lu’an dans la ville de Changzhi a été la première à installer ces équipements. L’article est paru peu âpres le décès de 37 mineurs le 16 octobre, pris au piège par une fuite de gaz dans une mine de la Pingyu Coal & Electric Company, dans le Henan.

International Rivers n’a pas ménagé ses critiques à l’encore des entreprises et du gouvernement chinois sur des problèmes comme la fusillade dans la mine de charbon. Son directeur Peter Bosshard a décrit les conditions à la mine de Collum comme « scandaleuses » et a fait remarqué que dans les investissements chinois à l’étranger, à la différence des conditions prévalant en Chine même, « museler l’opinion publique n’est généralement pas possible ».

« Si le gouvernement chinois pense sérieusement à blanchir la réputation de ses investisseurs à l’étranger concernant l’environnement, le travail et la sécurité, des recommandations et des appels ne suffiront plus. », a-t-il poursuivi. Soulignant que le gouvernement chinois est encore propriétaire des plus grandes entreprises, il a conclu « que celui-ci devrait rapidement adopter ses directives environnementales pour les investisseurs à l’étranger, qui sont restées à l’état d’ébauche depuis trop longtemps. Le gouvernement chinois devrait surveiller de plus près ses entreprises qui investissent à l’étranger, et sévir contre les investisseurs qui violent les directives chinoises et les lois locales. »

D’après ces déclarations, on pourrait penser qu’International Rivers est le genre « d’ONG occidentale » que la Chine adore détester. Mais comme Peter Bosshard l’a souligné lors d’un récent séminaire sur les aspects environnementaux de l’engagement de la Chine dans les pays à faible revenu, le gouvernement chinois souhaite que les entreprises chinoises à l’étranger soit des acteurs responsables et est à l’écoute des experts occidentaux sur les bonnes manières de mettre en œuvre des directives environnementales.

International Rivers a été invité à conseiller l’Eximbank et Sinohydro sur leurs politiques environnementales, et Sinohydroa adopté les recommandations soumises en matière de gestion des plaintes. L’ONG écologiste gabonaise Brainforest a enregistré une victoire lorsqu’en réponse à leurs inquiétudes, Eximbank a suspendu son soutien à un projet massif d’exploitation d’un filon de fer couplé à un barrage hydroélectrique, une ligne de chemin de fer et un port, qui aurait violé les directives environnementales et dévasté un parc national.

En revanche, Sinohydro continue à construire le très critiqué barrage Gibe 3 en Éthiopie qui, selon ses critiques, viole les lois locales, et la plus grande banque du monde, l’Industrial and Commercial Bank of China, vient d’accorder un prêt de 500 millions de dollars aux entreprises chinoises afin d’acheter des équipements pour ce projet.

Les pessimistes y verront une preuve de la théorie de « l’écoblanchiment ». Mais il pourrait être plus réaliste, et plus constructif, de voir cela comme un aspect de la lutte globale entre les acteurs qui, au sein des gouvernements et de la société civile, sont conscients de la nécessité d’appliquer des normes environnementales, et les entreprises axées sur le profit, qui qu’en soit le propriétaire, qui couperont toujours au plus court quand elles le pourront.

Comme l’a remarqué Peter Bosshard durant le séminaire de l’IDS, au moins le gouvernement chinois soutient les démarches des ONG écologistes chinoises pour encourager les entreprises chinoises à appliquer les lois et les normes chinoises dans leurs opérations à l’étranger : « Vous n’iriez pas bien loin en Suisse en essayant d’obtenir des entreprises suisses qu’elles appliquent la loi suisse à l’étranger, ni aux États-Unis. »

Stephen Marks est le coordinateur du projet de l’association Fahamu « Chine en Afrique ». Chercheur et écrivain spécialiste de l’impact du développement économique et des questions environnementales sur la société civile, il a travaillé comme consultant pour de nombreux projets internationaux.