Développement local et décentralisation au Togo : quels effets ?

L’option d’un développement à la base, peut-elle aider l’Afrique à avancer ?

, par IRFODEL , FOLLY-NOTSRON Akuété

La notion de développement se présente comme « niveaumètre » de la croissance économique. Cette notion prend plusieurs connotations dans le temps et dans l’espace. Dans les pays pauvres et particulièrement en Afrique par exemple, les terminologies se succèdent : pays sous-développés, pays en voie de développement, pays très endettés, pays émergents. Et, aujourd’hui le développement durable semble être le maître mot qui n’aurait pas d’équivalent.

Dans tous les cas, l’impression de tourner en rond se confirme quelquefois, ce qui expliquerait le fait même que le développement est loin d’être un processus linéaire.

Quelle forme de développement avait la majeure partie de l’Afrique à la veille de la colonisation ?Qu’en est-il aux lendemains des indépendances jusqu’à la fin du siècle dernier ? Ce que nous vivons depuis une dizaine d’années peut-il nous permettre d’opter pour une voie quelque peu salutaire pour l’Afrique ?

Le développement dans l’Afrique précoloniale
L’Afrique précoloniale est considérée par les uns comme une période paradisiaque où l’ordre et la paix régnaient et par les autres comme une période sauvage où tout était désordre et misère. Débat inutile et même nuisible aujourd’hui !

Quelles réalités reconnaissent beaucoup de gens ? En Afrique les clans constituaient la base de la société. Le clan était un groupement de familles ayant le même ancêtre. Une économie « communautaire » basée sur la solidarité appelait tout un chacun à participer au travail dans une certaine harmonie. En général, chaque groupe se spécialisait dans un domaine précis : agriculture, élevage, chasse, pêche, forge. L’exploitation se faisait en fonction du milieu.
Aimé CESAIRE semble exalter cette économie ou mode de vie lorsqu’il écrit : « je parle d’économies naturelles, d’économies harmonieuses et viables, d’économies à la mesure de l’homme indigène… des sociétés communautaires, jamais de tous pour quelques uns … des sociétés démocratiques toujours … des sociétés coopératives, des sociétés fraternelles."

Pourrait-on assimiler ce mode de vie de la période précoloniale à ce que nous dénommons aujourd’hui le développement à la base ?

La colonisation a bouleversé ce mode de vie, mais il serait anachronique et nuisible de revenir sur le débat colonial. Aussi nous contenterons-nous de jeter un coup d’œil sur les lendemains des indépendances. Quelle sera la réaction de la plupart des pays africains aux lendemains de leur « libération » ?

La voie choisie aux lendemains des indépendances
Dans les années 1960, en Afrique plusieurs pays avaient initié un développement à la base. A Madagascar, c’était « Opération à Ras du Sol » « Commissariat Général à la Promotion Humaine » au Niger, « Community Development » au Ghana, « Animation Rurale » au Sénégal et au Togo « Jeunesse Pionnière Agricole ».
L’exemple du Togo serait assez édifiant pour ce qui concerne des choix de développement qui n’aboutissent pour des raisons politiques ou autres. En effet entre 1960 et 1964, un programme de développement à la base est initié par le gouvernement avec l’aide d’assistants coopérants israéliens : C’est le mouvement de la Jeunesse Pionnière Agricole.

Les activités de ce mouvement sont prévues d’échelonner sur trois étapes ou périodes :
1- Première étape : des écoles pilotes accueillent le mouvement pour enrôler les élèves des CM (Cours Moyens 5ème et 6ème année du cours primaire). Les activités du mouvement feront partie des matières obligatoires enseignées dans ces écoles pilotes.
2- Deuxième étape : Fermes Agricoles Préparatoires. Les jeunes initiés dans les écoles pilotes et d’autres seront admis dans ces fermes qui mettront l’accent sur l’élevage et la petite agriculture. La première de ces fermes est la ferme expérimentale de GLIDJI dans la région d’Aného. Aujourd’hui, les vestiges de cette ferme sont quelque peu utilisés par le Ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche.
3- Troisième étape : installation des jeunes dans les villages.
Après deux ans d’essai, le jeune pionnier s’installe à son propre compte et peut servir de relais pour le développement de son milieu. Malheureusement ce programme alléchant n’a pu faire longtemps son chemin.

L’égarement à partir des années 1970
Presque partout, en Afrique comme au Togo, le développement à la base a été abandonné au profit de l’industrialisation. Et quelle industrialisation ? Grâce à certaines exploitations minières et autres, des infrastructures et équipements lourds prennent le dessus. On parle de politique des grands travaux. C’est la concurrence pour les routes, les chemins de fer, les ports, les aéroports, les universités. On forme par exemple des spécialistes en médecine à coups de millions de francs au lieu de former des généralistes et des infirmiers pour la cause des besoins directs et ordinaires de la population. Manquant de moyens pour exercer les médecins spécialistes sont obligés de s’expatrier. Aujourd’hui, il est reconnu qu’il y a plus de médecins togolais en France qu’il n’y en a au Togo.

Après environ vingt ans de grands travaux, que de mirages ! On se pose beaucoup de questions qui sont quelquefois liées aux exigences du FMI (Fonds Mondial International) et de la Banque Mondiale à partir des années 1980.
L’enchantement avec les gros équipements n’a pas fait long feu et depuis les années 1980 presque toute l’Afrique tâtonne. Quelle voie prendre ?

Le retour au développement à la base
Peut-on avancer sans reculer de temps à autre ou du moins regarder dans le rétroviseur ? Presque jamais. Tout développement serait un mouvement qui va et revient de temps à autre avec la certitude que le retour n’est en réalité qu’un recours pour mieux avancer.

Presque partout en Afrique aujourd’hui on revient sur le développement à la base. Des mesures concrètes conduisent à une mobilisation générale à la base. Les jeunes en général et les paysans comme les artisans sont en vedette pour sortir les pays du marasme économique. Des spécialistes réfléchissent sérieusement au problème.
Au Togo, comme ailleurs des ministères naissent spécialement pour mieux cerner le développement à la base : Ministère du Développement à la Base, de l’Artisanat, de la Jeunesse et de l’Emploi des Jeunes. N’est-ce pas un moyen efficace pour résorber le chômage avec des millions de jeunes diplômés en quête d’emploi ?

Plusieurs programmes et projets organisent les jeunes dans le domaine agricole et sur le plan entrepreneurial :
 Le CNJ (le Conseil National de la Jeunesse) a pour ambition de couvrir tout le territoire en prenant en charge la population à la base constituée essentiellement de jeunes. Ceci explique l’organisation du conseil qui part du plan national vers les villages : Conseil National de Jeunesse, Conseil Régional, Conseil Préfectoral, Conseil Communal, Conseil Cantonal, Conseil Villageois. Tous ces démembrements permettront de cerner les divers problèmes à la base. Aussi est il prévu d’initier les projets en fonction des réalités de chaque milieu. L’accent est ainsi mis sur le développement de la culture maraîchère dans les régions maritime et de la Kara et la pêche par exemple dans la préfecture des lacs.

 Le CNJ travaille avec tous les ministères puisque l’une des premières raisons de l’installation de ce conseil est que la jeunesse participe aux prises de décisions ;

 Le Ministère de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche associe étroitement les jeunes aux divers projets et programmes ;

 Le PNIASA (Programme National d’Investissement Agricole et de Sécurité Alimentaire) a pour objectif une croissance annuelle d’au moins 5% ;

 La plate forme multifonctionnelle.

Aujourd’hui, l’un des programmes les plus percutants est celui de la plateforme multifonctionnelle. Ce programme concerne une série de projets animés essentiellement par des groupements de femmes. Celles-ci bénéficient de financements de la part des autorités publiques qui leur installent un équipement constitué d’un moteur diesel entraînant divers outils tels que des moulins, des décortiqueuses, des égreneuses des alternateurs des chargeurs de batteries, des pompes, des postes de soudure, des machines de menuiserie et autres. Le programme permet aussi la distribution de l’eau et de l’électricité. Ainsi, les femmes sont soulagées de certaines corvées longues et pénibles (eau, pilage) et jouissent de revenus supplémentaires propres.

Le programme entraîne une certaine indépendance et une responsabilité sociale et économique plus accrue. La multifonctionnalité des plateformes permet de stimuler la création, le développement et la modernisation d’autres activités artisanales dans les villages et par ricochet la création d’emplois pour les jeunes : n’est-ce pas un sérieux coup de frein à l’exode rural ? Étant donné que ces plateformes multifonctionnelles sont fabriquées, installées et entretenues par des artisans privés et souvent du milieu, tout le monde à la base est mis à contribution.

L’objectif est d’atteindre 1000 plateformes d’ici 2016. A travers une série de programmes et de projets, le développement à la base s’insère progressivement dans le programme de décentralisation.

Conclusion
Aujourd’hui plus que jamais, le vrai développement exige une ouverture pour choisir ce qui est positif chez l’autre. Mao-Tsé Toung orientait sa philosophie dans ce sens : « si nous étudions ce qui est positif à l’étranger, ce n’est pas pour le copier, mais pour créer et compter sur nos propres forces ». Ceci suppose qu’il ne s’agit pas de s’accrocher à tout prix aux formules occidentales importées en Afrique avec la colonisation. Dans ce sens Serge LATOUCHE se pose la question dans un article « le développement est-il la solution ou le problème ? » Une déduction s’imposerait à nous : l’application systématique d’une forme de développement ne saurait construire une société.

Pour sa part LATOUCHE tire une conclusion que nous lisons dans Quel développement pour l’Afrique subsaharienne ? de William BOLOUVI : « notre mode de vie n’est pas convenable, il convient d’en changer. Cela signifie que l’ère du développement, cette période historique de la grandeur et de la prospérité de l’Occident est sur le point de s’achever. Il eut un avant, il y aura un après ».
Le développement (l’effort pour faire progresser chaque société) doit s’attacher avant tout à une analyse minutieuse qui prenne la mesure du milieu et chaque programme en tenant compte de la base qui devrait être axée sur le développement local. Ce développement suppose la prise de conscience des citoyens pour prendre leur sort en main. L’éducation, une éducation qui met l’accent sur le civisme participera largement à cette prise de conscience.

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Bibliographie
 "L’Afrique noire est mal partie"- René DUMONT
 "Les critères du sous-développement"-G. GAZES et J. DOMINGO
 "Le développement est-il la solution pour le Tiers Monde ou le problème ?" (Réflexion de Serge LATOUCHE dans un article)
 "Quel développement pour l’Afrique subsaharienne ?"- William BOLOUVI
 Annuaire du Togo, 1962.