L’importance stratégique du lithium

Par Monica Bruckmann

, par ALAI

Cet article a initialement été publié en espagnol, et il fait partie d’un dossier intitulé Ressources naturelles et géopolitique de l’intégration sudaméricaine. Il a été traduit Aurélie Gasc, traductrice bénévole pour rinoceros .

Le lithium, essentiellement utilisé dans les batteries rechargeables de presque tous les appareils électroniques portables qui sont actuellement produits, comme les téléphones, les ordinateurs, les appareils photographiques et les caméscopes, etc., a une importance particulière dans l’analyse géopolitique des minerais dans le monde.

Selon un rapport réalisé par l’U.S. Geological Survey sur l’usage du cadmium cobalt, du lithium et du nickel dans les batteries rechargeables (WILBURN, 2008), le contenu de lithium dans les batteries rechargeables utilisées chaque année dans les appareils électroniques aux Etats-Unis a drastiquement augmenté entre 1996 et 2005. Le lithium utilisé dans les batteries de téléphones portables est passé de 1.8 tonnes en 1996 à 170 t. en 2005. C’est-à-dire qu’en dix ans, la consommation de lithium s’est multipliée par 94. La consommation de ce minéral pour la fabrication de batteries rechargeables d’ordinateurs portables a augmenté, durant cette même période de 3.3 t à 99 t., c’est-à-dire de 3000%. Si l’on considère que l’usage des téléphones portables est passé aux Etats-Unis de 340 000 unités en 1985 à 180 millions d’unités en 2004 et que l’importation d’ordinateurs portables a augmenté de 1200% de 1996 à 2005 au moment où l’importation de caméras numériques a augmenté de 5600% pour cette même période, nous aurons une idée plus claire de l’importance stratégique du lithium.

L’utilisation du lithium dans les batteries rechargeables a remplacé d’anciens matériaux comme le Nickel Cadmium (NiCd), le Nickel hydrure métallique (Ni-MH) pour réduire les coûts de production et pour représenter une technologie supérieure au modèle précédent. De plus, il est prouvé que c’est un matériel écologiquement plus pur et moins nocif pour la santé de l’usager (des recherches ont prouvé l’action cancérigène du Nickel et du Cadmium.)

Graphique 3 : Quantités estimées de Cadmium, de Cobalt, de Lithium et de Nickel contenues dans des batteries rechargeables d’appareils photographiques et caméscopes utilisées aux USA de 1996 à 2005. - Voir document Pdf.

Le graphique 3 montre la contenance de Cadmium, de Cobalt, de Lithium et de Nickel dans la fabrication de batteries rechargeables importées par les Etats-Unis entre 1996 et 2005. Alors que le nickel et le cadmium enregistrent une curbe décroissante, de plus 80% en 1996 à moins 10% en 2005, le lithium et le cobalt augmentent de moins de 5% a presque 100% sur cette même période. Comme nous pouvons l’observer, durant l’année 2000, un point d’inflexion apparaît, ce qui place le cobalt comme matière première la plus utilisée dans la fabrication de batteries rechargeables, et en 2004, la tendance se consolide quand le lithium devient plus utilisé que le cadmium. Le cycle technologique du lithium commence alors entre 2000 et 2005.

Graphique 4 : EU : Importation nette d’appareils photos par type de batterie (en million d’unités) - Voir document Pdf.

Le graphique 4 montre l’importation nette des Etats-Unis d’appareils photographiques par type de batterie utilisée. Depuis 1999, l’usage de batteries composées de lithium et de lithium/nickel enregistre une croissance soutenue dans la fabrication d’appareils photographiques importés par les Etats-Unis. En 2005, environ 95% des appareils photo importés par les USA avaient des batteries en lithium. Une progression similaire est observée dans le cas de caméscopes importés par les Etats-Unis, comme nous pouvons le voir dans le graphique suivant :

Graphique 6 : EU : Importation nette de caméscopes par type de batterie (en million d’unités) - Voir document Pdf.

Bien que les données présentées se réfèrent au cas spécifique d’appareils photos et vidéos importés par les Etats-Unis, l’importance stratégique du lithium, conséquence de son application dans l’industrie de batteries rechargeables de presque tous les dispositifs électroniques portables consommés dans le monde, est incontestable.

Cette tendance se vérifie avec l’analyse du graphique suivant, qui montre l’évolution du marché mondial de batteries rechargeables entre 1994 et 2008. Les batteries produites à base de lithium apparaissent en quantité assez modeste, moins de 5% en 1995, et connaissent une participation croissante qui atteint approximativement les 58% en 2008.

Graphique 7 : Marché mondial de batteries rechargeables 1994-2008 (données exprimées en million d’unité) - Voir document Pdf.

Peut être l’application la plus importante de lithium, du point de vue stratégique, se trouve-t-elle dans la production d’une nouvelle technologie de batteries rechargeables pour véhicules électriques : Hybrid Electric Vehicle (HEV). Ce type de véhicules combine le moteur à combustion interne d’un véhicule conventionnel à batterie avec un moteur électrique. Il s’agit d’une automobile capable de voyager de 64km à 350 km (selon le modèle) seulement sous l’impulsion de ses batteries de type lithium-ion. A partir de cette limite, un moteur à combustion à essence ou gaz s’active. Les batteries peuvent être rechargées en environ 6 minutes à n’importe quelle prise domestique de 220 v. ; l’auto peut atteindre une vitesse maximale de 180 km/heure et une accélération de 0 à 100 km/heure en moins de six secondes. L’entreprise General Motors, américaine, et Toyota et Nissan, japonaises, tout comme les européennes Porsche, Mercedes et Volvo, travaillent déjà sur de nouveaux prototypes de véhicules hybrides. En 2007, la française Dessault a signé un accord avec le gouvernement chinois pour développer un nouveau modèle hybride Clevanova [1]. Les recherches pour le développement de cette technologie ont commencé en 2005 et quelques modèles, comme Volt (General Motors), sont déjà sur le marché pour un prix de 41.000 dollars américains. Cependant, la CT&T coréenne promet de bientôt lancer son modèle Zone en Europe, pour un prix compris entre 16.0000 et 8.000 dollars américains [2]. Les principaux obstacles à la massification de cette nouvelle technologie de véhicules sont le prix, encore assez élevé, et la taille des unités, assez réduites. Pourtant, des recherches en cours prévoient que dans peu d’années, ces inconvénients seront surmontés.

La haute densité d’énergie est un autre des avantages de la nouvelle technologie des batteries de lithium-ion, qui leur permet une plus grande capacité de stockage d’énergie par unité de poids, ce qui réduit considérablement le poids total de ces batteries par rapport à celles produites à partir de NiCd ou de NiMH. En 1992, lorsque les batteries en lithium ont été introduites sur le marché, elles avaient une densité d’énergie d’à peine 10% de plus que les batteries de NiMH. En 2005, la densité d’énergie moyenne des batteries de lithium était de 80% de plus que les batteries de NiMH (PILLOT, 2005). L’accroissement de la densité d’énergie des batteries de lithium a permis la diminution considérable du poids total de ces dernières et en conséquence, la diminution du poids des appareils portables qui en contiennent. Dans le cas des véhicules électriques hybrides, la haute densité d’énergie des batteries de lithium est fondamentale. La nouvelle technologie de batteries lithium-ion, dans sa forme la plus avancée, pèse la moitié du poids de ses prédécesseurs (batteries de nickel) et stocke le triple d’énergie, générant le double de puissance, ce qui a permis la construction de certains modèles de véhicules de 450 km d’autonomie capables de développer une vitesse atteignant jusqu’à 100 km par heure (FONTANA DOS SANTOS, 2009, p.17).

Ceci nous met face à la possibilité d’un changement de gabarit énergétique dans le transport, avec l’usage de l’énergie électrique à travers les batteries de lithium dans la fabrication de véhicules à plus grande portée. La substitution de minerais combustibles par l’énergie électrique aurait un impact très grand sur l’environnement, réduisant significativement l’émission de gaz à effet de serre. Mais cela augmenterait aussi sûrement le conflit de l’eau comme principale ressource hydro-énergétique.

Selon l’analyse des cycles de minerais, utilisée pour cette recherche, il est estimé que le lithium débute son cycle en 2005 (voir données du graphique 7) et aura une perspective d’usage intensif jusqu’aux années 2035 – 2045. Bien que selon d’autres interprétations assez sérieuses (PEREZ, Carlota : 2000), la durée des cycles technologiques tend à se réduire progressivement, de quelque forme que ce soit, le cycle du lithium nous laisse une perspective d’usage dans le temps assez grande.

Dans ce contexte, quelle est l’importance stratégique du lithium pour l’Amérique Latine ? Selon des données de 2009 [3], le Chili a une participation de 76% dans les réserves mondiales de ce minéral ; l’Argentine de 8% et le Brésil de 2%. La région dans son ensemble représente 92% des réserves mondiales. A partir des dernières découvertes [4] de grands gisements de lithium en Bolivie [5] dont les réserves avérées atteignent environ 100 millions de tonnes, les réserves mondiales se multiplient par 10 et la Bolivie devient la plus grande réserve du monde. Ceci signifie que presque toutes les réserves de lithium de la planète se trouvent sur le continent sud américain.

L’actuel gouvernement de Bolivie a récemment décidé la construction d’une usine pour la production de lithium dans le salar de Uyuni. Pour la première phase, on attend une production de 40 à 60 tonnes métriques de chlorure de lithium par an, et dans un second temps, on produira de l’hydroxyde de lithium, et dans une troisième phase, du lithium métallique, qui est la matière première pour la fabrication de batteries rechargeables [6]. L’Etat bolivien assume directement la gestion de l’exploitation et de la production de ce minéral, qui inclut la recherche scientifique en coopération avec plusieurs institutions du monde. Etant déclaré ressource naturelle stratégique par la constitution, l’Etat se réserve des droits inaliénables sur ce minérale. Récemment, la Bolivie a signé une convention avec le Venezuela qui établit, entre autres accords, la coopération entre les deux pays pour la production de batteries de lithium [7], ce qui prouve la préoccupation du gouvernement bolivien pour l’accélération du processus de gestion économique du lithium.

Comme le montre le Tableau 3, la consommation de lithium des Etats-Unis dépend à presque 50% d’importations, principalement de pays d’Amérique Latine. Le Carbonate de Lithium, qui représente presque 93 % du total de lithium importé, provient du Chili et d’Argentine. En 2008 il y a une croissance de 5,5% du volume de carbonate de lithium importé par les USA par rapport à l’année précédente. Pour les années à venir, on attend une croissance soutenue des volumes d’importation de ce minéral par les USA.

Tableau 3 - USA : importation de chimiques de lithium pour la consommation par composant et par pays. - Voir document Pdf.

La querelle mondiale pour le lithium, due à l’accroissement abrupt et soutenu de sa demande comme conséquence d’une innovation technologique dans la production de batteries rechargeables, tendra à créer de nouvelles tensions dans la région andine d’Amérique du Sud. Les intérêts en jeu sont colossaux…

Notes

[1SAGÁRNAGA, Rafael.. « Se viene la »Guerra del litio ? ». Sur http://www.eldeber.com.bo/extra/2007-10- 28/nota.php ?id=071024185421

[2In zone : An electric car really works, The Economist, 7 septembre 2010.

[3U.S. Geological Survey, 2010, Mineral commodity summaries 2010 : U.S. Geological Survey, p. 93.

[4Il y a quelques mois, la presse internationale a dévoilé la nouvelle selon laquelle de grands gisements de lithium auraient été découverts en Afghanistan. Cependant, nous ne disposons d’aucun source technique pour le moment qui nous renseigneraient de façon plus précise sur la dimension des réserves trouvées.

[5Voir : Minería al día. Boletín Minero, n° 133, Année 4, 1 avril 2010. Ministère des Mines et de la Métallurgie de Bolivie.

[6Voir : Minería al día.. Boletín Minero, n° 111, Année 3, 22 avril 2009. Ministère des Mines et de la Métallurgie de Bolivie.

[7Le 31 mars 2011, un accord a été signé entre le Vénézuela et la Bolivie pour la promotion de 18 projets d’intérêt commun parmi lesquels s’établit l’élaboration d’un « chronogramme de travail pour évaluer la faisabilité d’un projet de l’usine de piles et de batteries de lithium entre le Ministère du Pouvoir Populaire pour la Science, la Technologie et l’Industrie du Vénézuela et de Bolivie ». Voir : http://www.cambio.bo/noticia.php?fecha=2011-04-01&idn=42145