Face à la persistance des turbulences générées dans plusieurs pays en voie de développement par la dévaluation de la monnaie locale, la chute du marché boursier et la fuite des capitaux, il est intéressant de réexaminer les mesures de contrôle des changes prises par la Malaisie pendant la crise financière de 1997-1999.
L’un des facteurs de cette instabilité a été la décision adoptée la semaine dernière par la Réserve Fédérale des États-Unis de passer à la deuxième étape de son plan de tapering (réduction du montant des achats d’obligations effectués à partir de 2008 pour soutenir le système bancaire en crise) et de réduire de 10 milliards de dollars le montant des achats d’obligations chaque mois, qui est donc passé de 75 à 65 milliards de dollars mensuels.
L’achat d’obligations sert à injecter massivement de l’argent dans le système bancaire des Etats-Unis pour maintenir les taux d’intérêts bas
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Une partie de cet argent a été utilisée par les investisseurs pour acheter des actions et des obligations dans les pays en voie de développement. Avec l’élimination progressive de ce système et la perspective d’une augmentation des taux d’intérêt aux Etats-Unis, l’argent circule en sens inverse, des pays en voie de développement vers les Etats-Unis.
La Turquie et l’Afrique du Sud, dont les monnaies étaient en chute libre, ont été particulièrement touchées. En réaction, ces deux pays ont augmenté leurs taux d’intérêts la semaine dernière, mais la mesure n’a pas permis de réguler suffisamment la tendance à la baisse. Les monnaies d’autres pays, parmi lesquels la Russie, le Brésil et l’Argentine, se sont également affaiblies. Pendant ce temps, l’Inde a elle aussi augmenté ses taux d’intérêts et réussi à stabiliser la roupie.
L’an dernier, les cours des monnaies de pays comme l’Indonésie, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud et la Turquie ont chuté entre quinze et vingt pour cent par rapport au dollar. La perturbation de ces deux dernières semaines est venue renforcer cette tendance.
Les gouvernements doivent faire face à un dilemme : en effet, pour enrayer la chute des cours des devises et la fuite des capitaux, ils choisissent d’augmenter les taux d’intérêt avec l’espoir d’attirer les investissements étrangers et de favoriser l’épargne locale. L’augmentation des taux d’intérêt permet également de réduire les pressions inflationnistes.
Cependant, cette mesure est également un frein à la croissance économique, surtout si l’augmentation est significative. En effet, une augmentation des taux d’intérêt entraîne pour les entreprises une hausse du coût des prêts à l’investissement et pour les consommateurs une hausse du coût du crédit à la consommation.
La détérioration de l’économie réelle, ou la prévision de cette détérioration, peuvent contrecarrer les mesures visant à inciter les investisseurs à conserver leurs actifs dans le pays et favoriser du même coup la fuite de capitaux et la chute des monnaies. La fuite des capitaux peut être le fait non seulement des étrangers mais aussi des résidents, dont il est tout aussi important de conserver la confiance et les fonds.
Pour contrecarrer la chute de sa monnaie et la fuite des capitaux qui fait descendre ses réserves en devises à un niveau dangereusement bas, un pays peut envisager l’application d’un contrôle des changes.
Lorsqu’un pays reçoit des sommes trop importantes liées à la spéculation, il est courant que le gouvernement de ce pays applique un certain nombre de mesures pour réglementer les mouvements de ces capitaux. Mais lorsque le pays est, au contraire, confronté à des sorties excessives, comme c’est le cas actuellement, il serait peut-être nécessaire de contrôler –ou de restreindre- les sorties de capitaux. Mais il est plus rare que ces mesures s’appliquent.
La Malaisie est un bon exemple de l’application de contrôles sélectifs des sorties de capitaux appliqués avec succès pendant la crise de 1997-1999.
Le cas de la Malaisie est cité en exemple dans un document du FMI publié en janvier qui met en avant la réussite exceptionnelle de son contrôle des sorties de capitaux : « Après un durcissement des restrictions en septembre 1998, la fuite de capitaux s’est arrêtée, ce qui a permis un retour des réserves aux niveaux d’avant la crise, une stabilisation des taux de change et une baisse des taux d’intérêt », selon le document Effectiveness of Capital Outflow Restrictions (Efficacité des restrictions de sortie de capitaux).
Les pays qui aujourd’hui font face à une crise de ce type devraient analyser la politique monétaire de la Malaisie d’autant que leur important déficit courant les rend dépendants des investissements des capitaux étrangers pour financer ce déficit.
Lorsque les conditions mondiales sont favorables, les arrivées de capitaux se maintiennent élevées, ce qui augmente la dépendance du pays. Lorsque les conditions changent, comme à l’heure actuelle, le pays est vulnérable à une réduction ou une interruption des arrivées de fonds, ou pire encore, à une fuite des capitaux.
Les augmentations des taux d’intérêt peuvent ne pas suffire et pourraient par ailleurs mener à une récession. Dans cette situation, spécialement lorsque les réserves s’épuisent, il peut être nécessaire d’avoir recours au contrôle des changes.
Cependant, ces restrictions doivent être appliquées de façon adaptée et sélective, avec une politique d’accompagnement adaptée. D’autre part, le pays doit se préparer à avoir « mauvaise presse » dans les médias, et s’attendre à une réponse négative du marché pendant un certain temps.
Dans ces conditions, cette politique pourrait être efficace pour freiner la fuite de capitaux, stabiliser le taux de change des devises, éviter que le pays ne se retrouve sans réserves (et ne soit obligé de recourir à un plan de sauvetage international) et permettre l’établissement de taux d’intérêt à un niveau qui favorise la récupération et la croissance économiques.
C’est en tout cas ce que la Malaisie a fait, une expérience qui vaut la peine d’être prise en compte par d’autres pays, en particulier ceux qui doivent affronter un climat de turbulence économique ou une crise financière.