Du tapis rouge de l’Elysée aux bombardements de l’OTAN
Le début de l’année 2011 est marqué par les différentes révolutions arabes au Maghreb (Tunisie, Egypte) qui se sont étendues par la suite au Machrek et dans la péninsule arabique (Syrie, Yémen). Entre ces deux zones géographiques se situe la Libye en proie depuis mi-février à un conflit entre les fidèles du colonel Mouammar al-Kadhafi et les opposants au régime.
Au pouvoir depuis plus de quarante ans, après un coup d’état en 1969, le dirigeant libyen gère son pays d’une main de fer. Le pays, tantôt replié sur lui-même (suite aux embargos internationaux liés à l’anti-occidentalisme de Kadhafi) et tantôt ouvert à l’international (nombreux accords et contrats signés avec l’Italie, la France et les pays africains), présente de multiples facettes tout comme son chef d’État. La Libye a offert de nombreux visages : révolutionnaire, terroriste, accueillant ; mais elle est aujourd’hui en proie à un conflit de plus en plus violent. Une intervention militaire de l’OTAN a été ordonnée au nom de la protection des civils. Suite aux violents combats, de nombreux Libyens mais aussi des immigrés ont dû fuir le pays pour des raisons de sécurité. Ce flux massif s’accentue de jour en jour et amène à se demander quel rapport entretient la Libye avec ces flux migratoires avant et après le conflit.
Quelle immigration en Libye ?
En 1951 la Libye accède à l’indépendance mais reste un pays pauvre avec une démographie très faible (environ 1,09 millions d’habitants). Dans les années soixante plusieurs gisements de pétrole sont découverts et exploités ; la Libye devient alors un pays rentier grâce aux revenus pétroliers. Cependant la main d’œuvre manquant terriblement la Libye fait appel à des travailleurs immigrés (principalement des Egyptiens et des Tunisiens). La population passe alors à 1,5 millions d’habitants en 1963 avec un taux d’environ 17% d’immigrés. Ce solde migratoire ne cessera d’augmenter jusqu’en 1989 (date de la crise pétrolière qui déclenchera le renvoi massif de travailleurs immigrés) pouvant atteindre jusqu’à 30%. L’économie libyenne dépendante de cette main d’œuvre « bon marché », ouvrira ses frontières aux pays voisins et ira même jusqu’à faire de la publicité en Irak pour attirer les travailleurs en Libye.
Le flux migratoire varie en fonction des relations internationales qu’entretient Mouammar Kadhafi. Ainsi commence les « ballets diplomatiques », pour reprendre l’expression de Delphine Perrin (Maghreb-Machrek n°181, 2004), qui auront de fortes répercussions sur les droits des étrangers en Libye, sur les conditions de vie des migrants et aussi sur le statut du pays : la Libye passe de pays de destination à pays de transition car de plus en plus de travailleurs immigrés, clandestins, réfugiés voient la Libye comme une « antichambre de l’eldorado européen ». Ils sont considérés comme des instruments de la politique étrangère et nationale de Kadhafi.
Quelles(s) condition(s) pour les migrants ?
La Libye, qui n’est pas signataire de la convention de Genève sur les réfugiés de 1951, ne distingue pas les demandeurs d’asile en provenance de pays où ces personnes risquent leurs vies (Soudan, Erythrée) des migrants économiques. La Libye ne possède pas de lois concernant les demandeurs d’asile car selon certains officiels « il n’y a pas lieu d’avoir recours à de telles lois puisqu’il n’y a pas de demandeurs d’asile sur le sol libyen ». Cependant, la Libye s’engage à ne pas extrader les personnes courant un risque dans leur pays d’origine mais sans texte de loi probant sur le statut des migrants, refugiés et demandeurs d’asile, tout ceci reste très flou et surtout très contradictoire.
Ce manque de considération des personnes migrantes reflète aussi leurs conditions de vie. Les personnes arrivant sur le territoire libyen, de manière illégale, vivent un enfer : entre la corruption, les maltraitances, les abus de pouvoirs et les persécutions, certains se retrouvent contraints de retourner dans leur pays et d’autres veulent fuir coûte que coûte. Ceux qui restent subissent ces actes quotidiennement. C’est ce que révèle le rapport d’HUMAN RIGHTS WATCH (Stemming the flow, paru en septembre 2006).