L’épineuse question des réfugiés climatiques

Zoom d’actualité

, par CEDIDELP , MERVILLE Solène

Fuyant la montée des eaux, les sécheresses, les ouragans, les tremblements de terre, l’érosion des sols, les catastrophes industrielles et technologiques, les réfugiés environnementaux seront 200 millions d’ici 2050... On estime qu’en 2010, ils étaient 50 millions et en 2014, leur nombre a dépassé celui des hommes fuyant les guerres.

Les hommes se déplacent à cause des changements climatiques depuis la préhistoire, mais depuis quelques décennies ces changements s’accélèrent sous l’effet des activités humaines. Les premiers pays affectés sont les pays du Sud et il n’est pourtant pas facile pour les populations de ces pays de se déplacer car dans notre monde fortement inégalitaire, seule une minorité de personnes - généralement vivant dans les pays riches - peut circuler librement. Paradoxalement, ce sont les populations des pays du Sud qui ont le moins de droit à migrer et qui ont à souffrir le plus des conséquences du dérèglement climatique, alors qu’il est notamment le fait des pays du Nord. La question des migrations ne peut donc pas faire l’impasse sur ce contexte actuel où les droits et les richesses sont si mal répartis.

Dans l’urgence climatique qui est la nôtre, deux mois après la COP21, à l’heure de FRONTEX, où l’Union Européenne s’érige en forteresse et fait pression sur la Turquie afin qu’elle ferme ses frontières avec la Syrie quelques mois après l’émotion mondiale suscitée par les photos du petit Aylan Kurdi, où « l’invasion » d’une « horde » de migrants est fantasmée et créée de toutes pièces par les discours politiques et médiatiques, qu’en est-il du sort des millions de gens qui migrent et qui continueront de migrer à cause du dérèglement climatique ?

Réfugié climatique, une catégorie problématique

Le terme de « réfugié climatique » ne fait référence à aucun statut juridique défini par la communauté internationale. Les chercheurs et les fonctionnaires internationaux lui préfèrent celui de « déplacé environnemental », qui est plus adéquat pour caractériser des déplacements qui se font majoritairement à l’intérieur d’un même pays ou dans des régions voisines.

Réfléchir sur le statut de ces déplacés environnementaux dans un climat général peu favorable à l’accueil des réfugiés et des migrants, soulève un certain nombre de problèmes. Le chercheur Luc Legoux se demande si l’amalgame entre réfugiés et migrants climatiques peut réellement permettre la création d’un droit à l’immigration pour les victimes de l’environnement ou, à l’inverse, affaiblir leur protection et, dans le même temps, celle des réfugiés au seul bénéfice des pays riches qui souhaitent limiter l’immigration dite « subie ». On peut également craindre que s’établisse une hiérarchie entre d’un côté des personnes victimes de persécutions ou du dérèglement climatique qui seraient protégées, et de l’autre des personnes qui fuient la misère, jugées systématiquement indésirables.

A Samburu, Kenya, le changement climatique est à l’oeuvre. La sécheresse oblige les éleveurs à partir de plus en plus loin pour trouver des pâturages. Cette tension pour les ressources créé de la violence entre Samburu et Turkana, 2014. Photo Africa Progress Panel cc by

La question est d’autant plus délicate que c’est souvent un ensemble de facteurs - climatiques, économiques, politiques - qui poussent les gens à migrer et qu’il n’est pas toujours aisé de démêler des raisons qui sont parfois intimement liées. Dans le cas de la Syrie, sans évacuer les responsabilités politiques, la sécheresse qui a frappé la région de 2007 à 2010 a joué un rôle certain dans sa déstabilisation. Dans le dossier « Les crises climatiques et écologiques, conflits et tensions sociales » conçu par l’Assemblée européenne des citoyens, Bernard Dreano rappelle que « chaque conflit, chaque guerre ont des causes historiques et politiques, économiques et sociales particulières. Mais les effets des crises environnementales sont de puissants facteurs de déstabilisations et de tensions sociales, contribuant à la conflictualité ». La dégradation des terres et la raréfaction des ressources en eau, conséquences du changement climatique, obligent les hommes à se déplacer toujours plus loin, ce qui provoque des tensions autour des ressources disponibles entre les nouveaux arrivants et ceux qui vivaient déjà sur place. Au Tchad, Hindou Oumarou Ibrahim, coordinatrice de l’Association des femmes peules autochtones du Tchad, remarque que la disparition en dix ans de 80 % de l’eau du lac Tchad a provoqué de terribles tensions entre les fermiers venus du Nord du Nigeria et les éleveurs qui traditionnellement vivent autour du lac.

Quelles réponses politiques ?

S’il y a un vide juridique sur les déplacements environnementaux, une réflexion a cependant été engagée dans de nombreux pays. Cuba, l’Argentine, le Venezuela accueillent les victimes de catastrophes naturelles. La Finlande et la Suède prévoient un mécanisme de protection dans leur législation. En Bolivie, les migrations environnementales sont prises en compte dans la politique nationale d’immigration. Le Brésil a accueilli des Haïtiens jusqu’en 2011 et 40 000 y ont obtenu la résidence permanente. La Convention de Kampala sur la protection et l’assistance des personnes déplacées en Afrique est entrée en vigueur en 2012. Un article concerne les déplacements liés au climat. Quelques semaines avant le début de la COP21, 110 États, réunis à Genève, adoptent un agenda – instrument non contraignant, « pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières en contexte de catastrophes et du changement climatique ». Une résolution adoptée à l’unanimité par le Sénat invite la France « à promouvoir, dans le cadre de la COP21 ainsi qu’au sein des institutions européennes et internationales, la mise en œuvre de mesures de prévention et de protection des déplacés environnementaux présents ou à venir, qui ne bénéficient aujourd’hui d’aucune reconnaissance », selon Esther Benbassa, qui a déposé la demande de résolution.
Les migrations environnementales sont donc à l’ordre du jour mais le seul texte contraignant est, jusqu’à ce jour, la convention de Kampala. L’Observatoire des situations de déplacement interne en dresse un premier bilan, un an après sa ratification et témoigne du « long chemin à parcourir pour répondre aux besoins des personnes déplacées par des conflits et des catastrophes ».

Marche pour le climat, New York, 2014. Photo Joe Brusky cc by-nc

Alors que ce devait être le lieu approprié pour prendre des mesures concrètes de protection, la COP 21 a conclu à Paris un accord très insuffisant, faisant seulement mention de la création d’un groupe de travail qui développerait des recommandations sur les déplacements provoqués par le changement climatique. Le mécanisme international pour les pertes et dommages instauré à la COP19 de Varsovie, qui garantissait une aide pour les victimes de catastrophes climatiques, se voit donc considérablement affaibli.

Organisation et résistance des populations affectées

Les populations concernées n’ont pas attendu passivement qu’un accord international voie enfin le jour pour s’organiser et lutter contre le dérèglement climatique, que ce soit par la prévention, l’adaptation ou la migration.

En Haïti, la société civile tente de pallier l’absence de réelles solutions de la part du gouvernement et des institutions publiques face au changement climatique : une association locale, OTADES, combat les effets du changement climatique par la reforestation, pour améliorer les conditions environnementales ainsi que les conditions de vie des habitants de la zone de Milery-Ouandegras. Parallèlement à la COP21 s’est tenue à Paris la troisième édition du Tribunal international des droits de la nature. Ces tribunaux citoyens ont pour but de dénoncer les atteintes dramatiques qui sont faites à la Terre Mère et ses conséquences pour les populations, ainsi que d’instaurer un cadre juridique international pour protéger les écosystèmes. Si les jugements rendus sont purement symboliques, ils permettent cependant aux populations de faire entendre leur voix et de porter leurs revendications sur la scène internationale.

En Louisiane, sur l’île Saint-Charles, les habitants appartenant à la nation indienne biloxi-chitimacha-chocta ont obtenu en janvier 2016, grâce au combat incessant de leur chef Albert Naquin, une aide financière fédérale 52 millions de dollars pour le relogement de leur communauté [1]. Leur territoire actuel a perdu 98% de sa surface par rapport à 1950. Albert Naquin se félicite que sa communauté ne soit pas dispersée, ce qui aurait signifié une disparition de leur culture. Car dans les migrations environnementales, ce qui est en jeu ce n’est pas seulement la mise à l’abri des personnes victimes mais aussi la sauvegarde de l’identité d’un peuple ou d’une communauté.

A voir

Collectif Argos, Les Réfugiés climatiques

Le travail du photographe Allesandro Grassani