Agrocarburants, les choix aventureux de l’agrobusiness

L’énergie : un marché pour l’agriculture ?

, par CITIM

Des technologies de plus en plus sophistiquées

L’histoire des agrocarburants n’en est peut être qu’à ses débuts mais on parle déjà de trois « générations ».

La première génération, celle qui a été mise en oeuvre jusqu’à présent, comporte deux filières industrielles développées en France depuis la fin des années 80 :
 La filière « alcool » concerne la production de bioéthanol à partir de matières agricoles riches en sucre (betterave, canne à sucre...) ou en amidon (blé, maïs...) ; le bioéthanol est utilisé dans les moteurs à essence, généralement sous forme d’ETBE.
 La filière « huile » est celle qui produit du biodiesel à partir d’huiles végétales (colza, huile de palme, jatropha, ricin, soja, tournesol...). En France, la totalité des véhicules diesel roulent actuellement avec du diester (en mélange banalisé jusqu’à 5 % dans le gazole) et plusieurs milliers de véhicules de collectivités et entreprises l’utilisent en mélange à 30 % après adaptation du moteur.
L’huile végétale pure [1] constitue une filière parallèle, non industrielle, mise en place par les agriculteurs.
Dans l’une ou l’autre des filières « huile », les co-produits après extraction sont compactés sous forme de tourteaux, riches en protéines, destinés à nourrir le bétail pendant l’hiver.

En ce qui concerne la deuxième génération, il s’agit d’utiliser la biomasse non alimentaire (déchets agricoles et forestiers, débris végétaux, huiles usagées, cultures énergétiques...), ainsi que certains sous-produits d’origine animale, pour produire du bioéthanol et du biodiesel, au moyen de technologies complexes et coûteuses en investissement, qui ne sont pas encore disponibles à l’échelle industrielle.
Quant à la troisième génération, notamment à base d’algues, elle nécessite encore de nombreuses années de recherche.

Une énergie « propre » ?

S’il y a eu et s’il y a encore un tel engouement autour des agrocarburants, c’est parce qu’ils incarnent une énergie renouvelable propre et inépuisable, palliatif à des réserves pétrolières en voie d’épuisement. C’est pourquoi, jusqu’à une date récente, les promoteurs des agrocarburants n’avaient rencontré qu’un seul véritable obstacle : l’opposition des groupes pétroliers, peu désireux de voir leur monopole remis en question.

Au tout début de l’histoire fulgurante de ces carburants d’origine agricole, quelques voix avaient toutefois attiré l’attention sur de possibles dérèglements économiques et écologiques liés à leur production massive, qu’il s’agisse de bioéthanol ou de biodiesel. Mais elles étaient isolées et peu audibles, au milieu des applaudissements saluant l’émergence de substituts « propres » au pétrole.

En France, l’émergence d’un lobby agricole

Les agriculteurs, céréaliers et autres exploitants en grande culture, ont vite compris qu’ils avaient un rôle essentiel à jouer dans cette affaire. Cependant, les motivations à l’origine du développement des agrocarburants n’avaient rien à voir avec des considérations écologiques.

La décennie 80 a donc été celle de la gestation, tant scientifique et industrielle que politique. Au début des années 1990, alors que des technologies sont disponibles et que la guerre du Golfe a ravivé la crainte de la pénurie de pétrole, intervient la réforme de la politique agricole commune (PAC).La permanence d’excédents alimentaires chroniques conduit à l’obligation de mise en jachère de 15 % des terres de labour, compensée par des aides directes aux hectares gelés. Cette mesure, mal acceptée par le syndicat agricole majoritaire, va ouvrir définitivement la voie à la production d’agrocarburants.
Toutefois, cette orientation n’a pas fait l’unanimité. Compte tenu des données scientifiques et techniques souvent insuffisantes et de l’importance des intérêts financiers en jeu, elle a suscité interrogations et polémiques, notamment de la part de la Confédération paysanne, des mouvements écologistes et des associations énergies renouvelables. Une des craintes était celle de voir se poursuivre et s’amplifier un productivisme agricole ne prenant pas en compte les externalités, c’est-à-dire les retombées négatives directes et indirectes des agrocarburants, notamment dans les pays du Sud.

Mesurer l’efficacité énergétique des agrocarburants de première génération

Le critère du bilan énergétique est vite apparu comme fondamental. Ce bilan, qui du point de vue des promoteurs des agrocarburants est positif, s’appuie sur la mesure de l’efficacité énergétique, c’est-à-dire le rapport entre l’énergie restituée par l’agrocarburant lors de sa combustion et l’énergie fossile mise en œuvre pour le produire. Par ailleurs, sa combustion est censée dégager moins de gaz à effet de serre (GES) que celle du pétrole.

En France, l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), qui soutient le développement des agrocarburants depuis le début des années 90, a engagé plusieurs études visant à comparer les agrocarburants aux carburants pétroliers équivalents (essence et diesel). De vives polémiques en ont résulté quant à la méthodologie employée et aux pressions exercées par les lobbies agroindustriels et pétroliers. Le 7 octobre 2009, la synthèse d’une étude très attendue par les agriculteurs et les associations écologistes est publiée sur le site de l’ADEME. Réservée quant au développement intensif des agrocarburants, l’Agence y justifie néanmoins leur bilan écologique global, à l’exception du bioéthanol de la filière ETBE ; soulignons que celle-ci représente plus de la moitié du bioéthanol commercialisé en France.
Par ailleurs, la question du changement d’affectation des sols lié à la production des agrocarburants (déforestations et destructions de zones naturelles) n’est pas prise en compte dans l’étude. Commentant celle-ci, le directeur des énergies renouvelables de l’ADEME a déclaré que la seule solution était de diminuer la consommation de carburants, l’incorporation d’agrocarburants à hauteur de 7 % ne représentant qu’une réduction très faible (4 %) du taux de CO2 imputable aux transports.
Suite aux vives critiques émises par les ONG sur ce bilan environnemental tronqué des agrocarburants, le rapport de l’ADEME a dû être retiré dès le 2 novembre 2009.

Agrocarburants de deuxième génération : la tentation de la fuite en avant

Au moment même où est publiée la synthèse de l’étude sur les agrocarburants de première génération et avant qu’on ait eu le temps de prendre le moindre recul, l’ADEME a lancé la phase expérimentale des carburants de deuxième génération. Dans le cadre du Grenelle de l’Environnement, deux projets sont validés (à noter, dans les deux, la présence du Commissariat à l’énergie atomique) : l’un, porté par GDF-SUEZ ; l’autre, par l’ADEME, avec un budget de 30 millions d’euros et entre autres, comme partenaires, l’agro-industrie des oléagineux et le groupe Total, lequel doit recevoir 7 millions d’euros pour sa participation. Scandalisée par l’attribution de ce financement à une société aussi peu respectueuse de l’environnement, qui a réalisé 13,9 milliards d’euros de bénéfices en 2008, l’association France Nature Environnement demande au Gouvernement français de revenir sur sa décision.

Dans ces projets dont la taille ne cesse de croître, la grande culture (céréaliers, betteraviers et producteurs d’oléagineux) et les sociétés agro-industrielles demeurent des partenaires fondamentaux. L’invitation à un récent colloque (15 octobre 2009) sonnait pourtant comme un aveu d’échec : "Depuis la fin des années 60, les "problèmes agricoles" de la planète semblaient être en voie de résolution (intensification, « révolution verte », libéralisation). Aujourd’hui, leur retour brutal sur le devant de la scène en de nouveaux termes nous conduit à nous interroger sur nos certitudes et à proposer de nouvelles solutions. Répondre aux besoins alimentaires, fournir des énergies renouvelables, lutter contre le réchauffement climatique, l’agriculture est au coeur de ces défis majeurs du siècle. Pour répondre à ces missions, comment doit-elle surmonter le choc des cultures existant entre l’alimentation, l’énergie et le climat ?".

Notes

[1Biocarburant obtenu par pressage des graines oléagineuses (colza, tournesol...). En France, l’huile pure n’est pas autorisée à la commercialisation. Les agriculteurs sont seuls admis à l’utiliser dans les moteurs diesel des tracteurs.