L’énergie nucléaire nous conduira à la ruine

Par Glenn Ashton

, par SACSIS

Cet article a initialement été publié en anglais sur Sacsis, et il a été traduit par Emmanuelle Gibert, traductrice bénévole pour rinoceros.

Les technocrates sont en pleine ascension et l’énergie nucléaire est une fois encore remise sur la table en Afrique du Sud. Comment le moratoire de 2008 a-t-il pu être remis en question ? Comment le nucléaire, considéré jusque là comme une option bien trop chère, peut-il tout à coup devenir de nouveau accessible ? C’est une histoire pleine de rebondissements.

Le lobby nucléaire dispose, comme toute industrie majeure, de nombreuses ressources. Il a systématiquement réussi à répandre des idées qui paraissent logiques et raisonnables, selon lesquelles l’énergie nucléaire est sans danger, fiable, et réduit les émissions de gaz à effet de serre. Il soutient également que l’énergie nucléaire devrait faire partie intégrante des différents systèmes de production d’énergie, notamment si l’on considère le réchauffement climatique, car le nucléaire émet moins de CO2 que les énergies fossiles, comme le pétrole.

Il est facile de défendre le nucléaire face au charbon, l’énergie dominante dans le monde, et la plus dangereuse. Le charbon émet des gaz nocifs en grande quantité, libérant du mercure, à l’origine de pluies acides et du réchauffement climatique. L’extraction du charbon est néfaste pour l’environnement et dangereuse.

Cependant, lorsque l’on envisage le nucléaire, nous devons prendre en considération son caractère abordable par rapport à beaucoup d’autres alternatives. Pour commencer, laissons de côté la génération de l’énergie pétrolière. C’est tellement désuet, oublions.

L’énergie renouvelable devient de plus en plus compétitive. Les énergies éolienne et solaire sont en mesure de concurrencer directement les énergies fossiles et le nucléaire. Ce qui semble avoir changé la donne concernant l’énergie renouvelable en Afrique du Sud pourrait être l’énergie issue des courants océaniques, exploitée dans le courant des Aiguilles qui s’écoule le long de notre côte Est en direction du Sud-Ouest et dont la vitesse constante est de 5 km/h. Cela pourrait bien représenter l’insaisissable Saint Graal de l’énergie renouvelable, une source permanente d’électricité. Tout ce que nous avons à fournir, c’est l’usine, l’énergie, elle, est gratuite.

Il existe d’autres ressources d’énergie renouvelable alternatives. Les centrales solaires à concentration en est une, les centrales à tour en sont une autre. L’énergie houlomotrice dispose d’un potentiel extraordinaire. La conversion de la chaleur, la capture des thermoclines océaniques et les mines profondes sont également des ressources attractives.

Tandis que le nucléaire est présenté comme un secteur sans danger bien ancré sur le marché, la réalité est décevante. Tout d’abord, le coût total du nucléaire demeure flou. Chaque site nucléaire doit être entretenu pendant presque cent ans après sa cessation d’activité. Le démantèlement des installations, la maintenance, la gestion des déchets et le stockage, sans compter un certain nombre d’autres frais annexes, ne sont généralement pas inclus dans les estimations de coût faites au départ. Les frais réels de démantèlement des installations nucléaires augmentent sans cesse. A titre d’exemple, on peut citer l’expérience du Royaume-Uni, où le coût des démantèlements a été évalué à plus de 73 milliards de livres (environ 83 milliards d’euros).

Plus grave, toutes les affirmations concernant les preuves de sécurité de l’énergie nucléaire sont toutes discutables. C’est une question à laquelle on répond toujours par des platitudes. L’industrie nucléaire est exactement dans la même position que l’industrie agrochimique, qui a eu une influence indéniable sur l’augmentation des taux de cancers et de maladies graves dans le monde entier. Le problème, c’est qu’il est impossible de quantifier, d’isoler et de détailler les conséquences des divers impacts comme les particules radioactives et les polluants chimiques.

Ces secteurs industriels reposent sur le déni systématique de leurs impacts. Le problème, c’est que la science est incapable d’isoler les causes et les effets des dommages environnementaux ou sanitaires des produits chimiques et des radiations. Tout ce que l’on sait, c’est que les taux de cancers ont augmenté considérablement dès lors que ces deux technologies ont été introduites. Bien que les partisans prétendent qu’elles sont sans danger, on continue de constater les dégâts. Mais sans preuve, personne ne peut faire un procès. Ce manque de preuves permet à ces pratiques industrielles dangereuses, et à bien d’autres encore, de passer inaperçues. En réalité, une absence de preuves ne signifie en aucun cas une absence de dommages.

Lorsque l’on débat de la sûreté de l’énergie atomique, chaque partie peut trier les données comme elle le veut. Le plus important, c’est le volume et le pouvoir que chaque partie peut rassembler. C’est à ce niveau-là que l’industrie gagne toujours.

Toute industrie a comme principal objectif de soutenir ses propres perspectives dans le but de maximiser son succès et ses bénéfices. Cette ténacité institutionnelle a généralement le dessus sur les objectifs plus généraux et plus variés des opposants qui représentent les différents intérêts de la société. Dans un tel contexte, la politique joue un rôle clé en établissant les règles du jeu, avec le soutien inégalable des alliés riches et conservateurs. Par conséquent, les partisans ont plus de chance d’atteindre leurs objectifs avec succès.

Cette dynamique sous-tend la réussite de la plupart des lobbies industriels à influencer la politique. C’est ainsi que les industries agricoles et chimiques ont pu obtenir avec succès l’autorisation officielle d’introduire des centaines de produits chimiques nocifs dans notre chaîne alimentaire. Il en est de même pour les intérêts liés au nucléaire. Il ne faut pas oublier que l’industrie nucléaire a toujours été confortablement alignée avec le complexe militaro-industriel et ses relations de pouvoir, ce qui facilite le contact avec preneurs de décisions.

Certains partisans du nucléaire se font passer pour des responsables de l’industrie. L’Agence Internationale de l’Energie Atomique ne fait pas que réguler mais elle poursuit également les intérêts de l’industrie nucléaire. De grands groupes industriels tels que General Electric, Westinghouse et Alstrom, font ouvertement la promotion de l’énergie nucléaire par le biais direct du lobbying. Le secteur possède une longue expérience en ce qui concerne les tactiques sournoises de lobby et les jeux de pouvoir, ce qui le place au même rang que les industries de produits chimiques et d’armement.

En Afrique du Sud, les observateurs conservateurs du marché libre, tels que Kelvin Kemm et Andrew Kenny, sont les chiens d’attaque de l’industrie nucléaire. Il existe très peu d’analyse objective de l’énergie nucléaire émanant des dirigeants politiques. La technologie a été adoptée suite à l’idéologie et au réseau politique d’entreprise travaillant à travers des hiérarchies établies au niveau international et national.

En Afrique du Sud, l’alignement entre les centres de pouvoir militaire et politique ont été la clé de la réussite de l’énergie nucléaire pendant le régime de l’apartheid. Le lobby se concentre désormais sur les liens entre les technophiles et le BEE au sein et autour de ces mêmes structures dirigeantes.

Malgré son opposition initiale à l’industrie nucléaire, l’ANC s’est laissé courtiser par les aspects attractifs superficiels et les gros moyens du lobby nucléaire, qui a perpétué son influence aussi bien sur l’opinion publique que politique. Une des plus grandes failles, c’est la nature totalement opaque de notre régime politique de financement, qui offre un terrain fertile aux intérêts des industries nucléaires émergentes ayant des relations haut-placées.

Dans sa thèse de doctorat sur la politique énergétique de l’Afrique du Sud, Andrew Marquard met la réalité en évidence en déclarant que « … la politique nucléaire s’est développée en dehors du cadre d’une politique énergétique », et que « malgré une réforme institutionnelle importante, cette branche a survécu à la fin de l’apartheid et au processus de démocratisation. »

Ainsi, notre politique nucléaire est dictée moins par les décisions politiques transparentes que par des influences extérieures. C’est une évidence lorsque l’on regarde le soutien continu apporté par l’État à ce secteur, illustré par la saga de l’infortuné réacteur à lit de boulets et le soutien continu au centre nucléaire de Pelindaba.

Notre expertise nucléaire a été nuancée de façon stratégique, en étant présentée comme un programme de création d’emplois et une manière d’utiliser nos importantes réserves d’uranium. Le gouvernement Sud-africain a fini par accepter tacitement l’énergie nucléaire, à travers à la fois des lobbies internes et des influences extérieures comme les gouvernements français et américain. Ces relations exploitent les possibilités de commerce lié à l’expertise technologique et aux produits manufacturés, en échange d’approvisionnement en pétrole, perpétuant ainsi le modèle néocolonial.

Maintenant que le NERSA (National Energy Regulator) a été convaincu de l’opportunité que représente adopter l’énergie nucléaire - nous savons qu’au moins un membre est totalement indifférent à l’égard du potentiel des énergies renouvelables, alors que l’on s’engage dans le nucléaire – nous devons prendre en considération de manière attentive les coûts potentiels réels de la construction d’un ensemble de stations nucléaires.

Les coûts réels liés à l’adoption de l’énergie nucléaire comme principal composant de notre nouvel Integrated Electricity Resource Plan (IRP, Programme Intégré des Ressources en Electricité) pourraient sérieusement ébranler l’intégrité de nos structures financières nationales et de notre balance des paiements. Si nous contractons les 9 600 mégawatts avec la construction de nouvelles structures nucléaires (l’équivalent de plus de cinq centrales de Koebergs), nous pourrions réellement ruiner le gouvernement. Notre ratio d’endettement s’aggraverait et se rapprocherait du statut catastrophique de la Grèce et du Portugal. Cela nous coûterait notre indépendance financière. Nous serions alors régis par le Consensus de Washington. Les vautours des finances internationales se frotteraient les mains en voyant la grande richesse d’Afrique du Sud finalement arriver dans leur ligne de mire. Notre devise serait déstabilisée, nos réserves de minerai vendues à n’importe qui, et notre réputation pour notre responsabilité fiscale serait anéantie. L’Afrique du Sud deviendrait tout simplement une autre victime du capitalisme prédateur.

Est-ce une exagération ? Examinons quelques chiffres. L’installation des structures nucléaires prévues par l’IRP nous coûterait environ 300 milliards de rands (environ 31 millions d’euros), si l’on compare avec des centrales similaires déjà construites ou prévues de l’être aux États-Unis et en Finlande. Cela représente environ un tiers du budget annuel total de 2011. Même étalés sur cinq ou dix ans, nos niveaux d’endettement monteraient en flèche. Ajoutez à cela les coûts de Medupi et Kusile et la situation explose.

Etant donné l’histoire de la façon dont l’industrie nucléaire opère dans le monde, les vendeurs douteux et les preneurs de décisions salivent à l’idée de se jeter sur la meilleure part du gâteau. Les sommes concernées feraient du marché d’armes évalué à 40 milliards de rands (environ 4,146 milliards d’euros) un jeu d’enfants. Pourquoi même poursuivons-nous l’option du nucléaire après qu’elle ait été déclarée trop chère en 2008 ? Pouvons –nous remercier les lobbyistes ? Qu’est-ce qui a fait changer d’avis les politiques ? Je suppose que c’est tout bonnement l’argent, aussi sordide que cela puisse être.

Tandis que la catastrophe de Fukushima a entraîné de graves répercussions sur la perception internationale de l’énergie nucléaire et sur l’économie japonaise, nos politiques non-consultatives nous placent dans une situation financière dangereuse avec une telle décision. Si un accident comme celui de Fukushima arrive ici (et oui, c’est possible), les répercussions économiques seraient dramatiques. Pouvons-nous nous permettre de prendre de tels risques ? N’oubliez pas, le nucléaire est inassurable, tous les frais seront à la charge de la nation.

Les coûts estimés de notre nouvelle structure nucléaire sont bien loin des frais réels, même si les choses se passent pour le mieux. Les coûts de construction se situent à la moitié, ou même moins, du coût total de l’énergie nucléaire. La maintenance (une fuite au niveau des turbines, ça ne vous dit rien ?), le ravitaillement, le déclassement et la gestion des déchets ne sont pas inclus dans ces coûts. Les prix de l’uranium sont sur le point de grimper en flèche. Le fait est que personne ne sait ce que le nucléaire coûte réellement. Les solutions concernant la gestion des déchets nucléaires sont loin d’être établies. Ce sont nos enfants qui devront payer la facture.

Alors, pouvons-nous nous offrir ce projet ? A l’heure où nous devrions sans aucun doute nous détourner du désastre imminent des carburants fossiles, pouvons-nous croire que le nucléaire soit vraiment aussi attractif que ses partisans l’affirment ? Leurs promesses peuvent-elles être tenues ? Si nous investissons de telles sommes dans les énergies renouvelables, ne pourrions-nous pas être les meilleurs au monde ?

Contrairement à ce que clament nos principaux décideurs en matière de politique énergétique, nous pouvons fournir l’énergie nécessaire à travers les énergies renouvelables. Nous pourrions aisément devenir le premier pays du monde à approvisionner la totalité de nos réserves en énergie à partir de l’énergie générée par les courants marins. En construisant une toute nouvelle structure industrielle, nous pouvons offrir bien plus d’opportunités de travail, ouvrir des zones du pays non-développées à la production d’énergie et nous éloigner de la technologie importée au profit de solutions nationales.

Au vu du manque de participation publique au développement de notre politique énergétique nationale, et, plus important encore, notre plan de ressources électriques et sa forte dépendance sur l’option nucléaire, il est temps de regagner du terrain en termes de démocratie et de rendre réellement le pouvoir au peuple, pour le bien du peuple.

Notre incapacité à agir réduira nos enfants à l’esclavage sous le joug des intérêts financiers. Si vous trouvez que l’électricité est chère de nos jours, attendez, vous n’avez encore rien vu.