L’effrayante contre-révolution civilisationnelle de l’Internationale Brune en gestation

, par CADTM , MITRALIAS Yorgos

L’intérêt étant focalisé -à juste titre- sur la guerre qu’il mène contre l’Ukraine et son peuple, on oublie souvent de reconnaître les « traits de caractère » fondamentaux du poutinisme, qui font de lui le fleuron d’une Internationale Brune en gestation. Et pourtant, ce sont exactement ces « traits de caractère » ultra-réactionnaires du poutinisme qui expliquent, non seulement ses propres penchants belliqueux mais aussi, le pourquoi du soutien à sa guerre ukrainienne offert par l’aile la plus dure de l’extrême droite internationale. Et ceci à une époque où malgré les importantes défaites électorales qu’elle vient de subir au Brésil (Bolsonaro) ou aux États-Unis (Trump), cette Internationale Brune en gestation continue de représenter la plus grande et la plus immédiate menace pour les droits et les acquis démocratiques et sociaux de par le monde !

Les coupes et la répression n’auront pas lieu
Photo de Juarkord (CC BY-SA 2.0) 13 Mai 2012

La première leçon qu’on peut tirer de ces constats devrait être que les soutiens internationaux à la guerre de Poutine ne sont ni accidentels ni éphémères, mais qu’ils sont très solides parce qu’ils correspondent aux profondes « affinités électives » idéologiques de leurs auteurs. C’est ainsi que l’apparent « mystère » qui enveloppe la collaboration plus qu’étroite entre deux régimes totalement dissemblables, comme ceux de la Russie laïque et de l’Iran théocratique, se dissout du moment qu’on tient compte du fait qu’ils partagent les mêmes « valeurs » liberticides et obscurantistes et qu’ils pratiquent les mêmes politiques profondément répressives et antidémocratiques.

Vues sous cet angle, tant la guerre ukrainienne de Poutine que la menace de « l’Internationale Brune en gestation » acquièrent une signification et un contenu beaucoup plus concret et redoutable, parce que ce contenu esquisse les contours d’un véritable programme de contre-révolution civilisationnelle et antidémocratique pour toute l’humanité ! Car, comme on l’écrivait dans un précédent article, ces autocrates ultra-réactionnaires et leurs régimes qui composent cette Internationale Brune « sont unis par leur racisme, leur xénophobie, leur autoritarisme, leur islamophobie et leur antisémitisme, leur rejet ouvert de la démocratie parlementaire (bourgeoise), leur misogynie, leur adoration des combustibles fossiles et leur climato-scepticisme, leur militarisme, leur mépris pour les droits et les libertés démocratiques, leur conception policière de l’histoire et leur complotisme, leur haine de la communauté LGBTQ, leur obscurantisme et leur attachement viscéral au triptyque « Famille-Patrie- Religion » [1].

Évidemment, ce n’est pas un hasard si la haine des femmes et de tout ce qui est différent imprègne en toute priorité l’idéologie et la pratique de tout ce beau monde fascisant. Des ayatollahs iraniens à Trump et Orban, et de Bolsonaro et Erdogan à Poutine, en passant par l’Indien Modi, l’Espagnol Abascal (Vox) ou le Français Zemmour, tous ces dirigeants d’extrême droite nourrissent un mépris et une haine viscérale proche de la misogynie, à l’égard des femmes qui n’acceptent pas « leur rôle traditionnel » et pour tous ceux qui contestent le virilisme agressif qu’eux-mêmes professent et exhibent ostensiblement. C’est ainsi que le droit à l’avortement se trouve dans la ligne de mire de la très trumpienne Cour Suprême des États-Unis qui l’attaque frontalement, tandis que le poutinisme se limite pour l’instant à interdire « toute forme de publicité pour l’avortement », tout en allant jusqu’à ressusciter l’idée de Staline de récompenser avec le titre de « Mère héroïne » et une consistante somme de roubles les femmes « qui donnent naissance et élèvent au moins 10 enfants ». D’ailleurs, ce n’est pas aussi un hasard si pratiquement tous ces dirigeants excellent en sexisme et vulgarité et n’hésitent pas à faire publiquement l’éloge du... viol. De Bolsonaro qui dit à une députée qu’elle « ne méritait pas qu’il la viole », à Trump (d’ailleurs accusé de deux douzaines de viols ou d’agressions sexuelles) qui déclare « quand tu es une star, elles te laissent faire. Tu peux les attraper par la ch…, tu fais tout ce que tu veux », et à Poutine qui se dit « jaloux » de la douzaine de... viols pour lesquels a été condamné l’ex-président d’Israël Moshé Katzav, et qui apostrophe l’Ukraine qui lui résiste avec la phrase si éloquente « Que ça te plaise ou non, ma belle, faudra supporter » !

Il va sans dire que toute cette avalanche de paroles et d’actes d’un sexisme horriblement grossier et agressif jouissent de la bénédiction des églises les plus rétrogrades, comme celle des évangélistes dans le cas de Bolsonaro et Trump, et des orthodoxes russes dans celui de Poutine. De ces mêmes églises qui se montrent pourtant très puritaines quand il s’agit de défendre bec et ongles la « famille traditionnelle » et de réprimer durement ce que ces dirigeants appellent « sexualité non-traditionnelle ». Voici donc l’oligarque et ancien agent des services secrets, le patriarche russe Kirill qui affirme que la guerre contre l’Ukraine a une signification métaphysique en tant que lutte pour la vérité divine contre le péché, ce péché suprême étant… l’homosexualité que l’Occident décadent voudrait imposer aux Russes ! Et Poutine qui enchaîne appelant l’Europe... « Gayropa », tout en sortant l’aphorisme suivant en défense de ses très chères « valeurs traditionnelles » : « Est-ce que nous voulons que notre Russie ne soit plus notre patrie ? Que nos enfants soient pervertis, qu’on leur dise qu’à part les hommes et les femmes, il existe d’autres genres ? Une telle négation de l’être humain ressemble à un satanisme ouvert ». Quant au premier propagandiste du poutinisme Vladimir Soloviev, lui proclame que la guerre contre l’Ukraine n’est qu’une « contre-attaque » lancée en réponse au « génocide de ceux qui refusent les valeurs LGBT-nazies-transgenres » !…

Heureusement, la Russie actuelle n’est pas (encore ?) l’Allemagne de Hitler et Poutine se limite pour l’instant à interdire « la propagande LGBT » et à multiplier les tracasseries aux homosexuels russes. Cependant, il ne va pas de même partout dans la Fédération Russe, car en Tchétchénie, son vassale djihadiste Ramzan Kadyrov professe et pratique la liquidation physique des homosexuels, qu’il assimile à « Satan »…avec l’assourdissant assentiment tacite de Poutine !

On s’est arrêté sur les politiques des dirigeants de l’Internationale Brune en gestation concernant les femmes et les communautés LGBT+, pour deux raisons : d’abord, parce que ces politiques sont très représentatives de leur « idéologie » tandis qu’elles concentrent en elles presque tous leurs « traits de caractère », de la violation systématique des droits de l’homme les plus élémentaires et l’obscurantisme prononcé de leur « idéologie », à leur conception et mise en application de l’état policier antidémocratique et répressif. Et ensuite, parce que partout où se trouvent ces dirigeants, de l’Iran des ayatollahs aux États-Unis de Trump, et de la Russie de Poutine au Brésil de Bolsonaro, ce sont les femmes et les mouvements féministes et LGBT+, souvent de masse, qui sont à la tête des résistances les plus effectives et les plus radicales. Alors, ce n’est pas une surprise si les commentateurs et autres « analystes » occidentaux de la guerre de Poutine, s’en occupent en priorité sur nos écrans de télé, discourant à longueur de journée de la continuité qui existe entre ces politiques liberticides et barbares de Poutine et celles des...bolcheviks.

Le mensonge est énorme et la vérité historique diamétralement opposée. Poutine ne peut pas être « l’héritier des bolcheviks », pas seulement parce qu’il ne cesse de répéter qu’il... hait ces bolcheviks plus que tout autre [2], mais surtout parce qu’il est en train de faire tout le contraire de ce qu’ont fait ces bolcheviks en leur temps. Droit à l’avortement ? Poutine et ses amis le grignotent ou même l’abolissent, quand les bolcheviks ont été les premiers dans l’histoire de l’humanité à le dépénaliser et à l’instituer « à l’hôpital et gratuit », plusieurs décennies avant les autres pays dits « civilisés » (les États-Unis l’ont fait seulement en 1973 et la France en 1975 !). De même avec le droit de vote des femmes, l’égalité juridique hommes-femmes et le divorce institués bien avant les pays occidentaux. Ce n’est pas d’ailleurs le fruit du hasard que la première femme chef de gouvernement (Ievguenia Bosch en Ukraine) et ministre (Alexandra Kollontai) de l’histoire mondiale étaient... des bolcheviques.

Mais là où l’énormité de leur mensonge crève les yeux c’est quand ils se réfèrent au traitement de la communauté LGBTQ. Poutine réprime et abolit ses (maigres) droits existants quand les bolcheviks ont été les premiers au monde à dépénaliser l’homosexualité, seulement quelques semaines après la Révolution d’Octobre ! Et en plus, ils ont autorisé les personnes transgenres à occuper des emplois publics et servir dans l’armée, comme ils ont permis de changer de genre sur demande par une simple formalité administrative. C’est à-dire, ils ont accordé des droits qui continuent à être inaccessibles dans la plupart des pays même occidentaux, plus d’un siècle plus tard ! Et tout ça dans un pays arriéré et en ruines, gouverné par un parti (bolchevique) dont plusieurs dirigeants (p.ex. Lénine) et une grande partie de ses membres continuaient de considérer l’homosexualité comme une « maladie ». Ce qui n’a pas pourtant empêché le jeune état soviétique d’avoir, de 1918 à 1930, comme ministre (commissaire) aux Affaires étrangères Gueorgui Tchitcherine, un homosexuel qui ne se cachait pas…

Ceci étant dit, l’apparent « paradoxe » de l’unanime acceptation par la droite et par une certaine gauche de l’affirmation que le poutinisme plonge ses racines dans le bolchevisme, apparaît pour ce qu’il est : une monumentale escroquerie qui sert les intérêts tant des uns que des autres. Pourquoi ? Mais, parce que tant les uns que les autres ont tout intérêt à travestir la vérité historique pour pouvoir assimiler les bolcheviks, qui ont institué les premiers tous ces droits et libertés démocratiques, à Staline qui les a supprimer... d’ailleurs, ensemble avec leurs auteurs.

Notre épilogue est sans doute alarmant : Oui, elle est bien réelle, directe et cauchemardesque la menace que fait peser sur nos droits et nos libertés démocratiques et sociales cette Internationale Brune en gestation, qui plonge ses racines tant dans le fascisme que dans le stalinisme, tout ce qu’il y a eu de plus monstrueux dans le siècle passé. D’autant plus, qu’elle paraît de plus en plus armée d’un véritable programme de contre-révolution civilisationnelle pour toute l’humanité, au moment précis où cette humanité semble plus confuse et désemparée que jamais, étant au croisement de tant des crises cataclysmiques...

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