Dans les années 90, la présence française reste largement acceptée par les Ivoiriens, mais l’élection de Laurent Gbagbo va mettre à mal un équilibre précaire. Le président ivoirien, élu en 2000, entame une politique de décolonisation économique pour s’émanciper du grand frère français et se lance à la recherche de nouveaux investisseurs, notamment chinois et américains. Ces derniers portent un grand intérêt aux champs pétroliers découverts dans les eaux territoriales ivoiriennes et aux plantations d’hévéas du nord du pays. Les grandes entreprises françaises comme Bouygues, Bolloré, Orange, EDF, BNP. … s’inquiètent de l’attitude du chef d’État ivoirien, d’autant plus qu’il entretient chez ses partisans un sentiment de rejet de la France. Les rapports entre Paris et Abidjan se durcissent.
Au lendemain du coup d’État raté de septembre 2002, L.Gbagbo s’attend à ce que les soldats français aident aussitôt les troupes gouvernementales ivoiriennes à reprendre les zones occupées par les rebelles, comme le voudraient les accords de défense et d’assistance militaire qui lient la France et la Côte d’Ivoire depuis 1961. Mais les militaires français se chargent d’abord de protéger les ressortissants français présents sur le territoire, pour ensuite se poser en force d’interposition entre les belligérants du Nord et du Sud. Par ailleurs, Paris dissuade les États voisins de la Côte d’Ivoire de lui venir en aide. Les 4000 soldats français de la force « Licorne », déployés pour séparer les combattants, coupent du même coup le pays en deux et attisent la haine de la France, perçue comme une force d’occupation.
Le président ivoirien est furieux du non-respect par la France des accords d’assistance militaire, tandis que les rebelles affirment que sans l’intervention française, ils auraient déjà pris Abidjan. Loyalistes et rebelles partagent le même sentiment de rejet de la France. Les efforts diplomatiques du gouvernement français pour rapprocher les belligérants sont perçus en Côte d’Ivoire, comme une ingérence insupportable.
La tension entre Paris et Abidjan atteint son paroxysme le 4 novembre 2004 avec l’attaque d’une base de l’armée française à Bouaké, au centre du pays, dans la zone rebelle bombardée par la flotte aérienne ivoirienne. Neuf soldats français et un agronome américain sont tués. En réponse, l’aviation française détruit la totalité de la flotte ivoirienne. Cet acte a été perçu par les Ivoiriens comme une déclaration de guerre en bonne et due forme, et il a presque immédiatement engendré une réaction virulente contre la France et ses ressortissants. Encore une fois, la première mission de l’armée française est alors d’assurer la protection et le rapatriement des 8000 ressortissants français ; mais elle doit faire face à des manifestations anti-françaises et des soldats français ouvrent le feu sur la foule des manifestants blessant plusieurs Ivoiriens.
Finalement, les relations économiques avec la France ne sont pas coupées, le chef de l’État ivoirien ayant renouvelé les contrats avec les grandes entreprises françaises pour endiguer la crise économique. Mais l’attitude ambiguë de l’Etat français lors des violences qui ont ravagé le pays marque une rupture des relations privilégiées de la France avec la Côte d’Ivoire, son plus proche partenaire en Afrique de l’Ouest et marque aussi sa perte d’influence dans la région.