AMMAN, 13 décembre 2013 (IPS) – Des fleurs poussent dans de vieux pneus, des plants de piment s’épanouissent dans des récipients en plastique recyclés et des herbes s’échappent d’anciennes canalisations. Cette terrasse, qui joint l’utile à l’agréable, est l’un des nombreux projets d’agriculture urbaine améliorant de manière significative l’ordinaire des habitants pauvres de la capitale jordanienne.
Phénomène qui s’étend lentement mais sûrement en Jordanie, l’agriculture urbaine joue un rôle important en termes de réduction de la pauvreté et d’amélioration de la sécurité alimentaire. Elle permet aussi de reverdir et raviver les quartiers les plus dégradés.
Mais son succès dépend d’éléments-clés qui sont de plus en plus difficiles à garantir : la terre et l’eau. Les surfaces cultivables se réduisent de jour en jour dans un pays en perpétuel manque d’eau.
Bien que ces difficultés soient considérables, elles ont néanmoins obligé ceux qui pratiquent l’agriculture urbaine à Amman à recourir à des solutions innovantes et efficaces.
Plus leur succès est grand, plus ces solutions font de l’agriculture urbaine une ressource précieuse en Jordanie, où deux tiers des 160 000 habitants qui souffrent d’insécurité alimentaire vivent en ville et 13 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Si l’agriculture urbaine ne permet pas à ces derniers de répondre à tous leurs besoins, elle diminue néanmoins la pauvreté et, à long terme, ses bienfaits indirects pourraient se généraliser.
Un environnement idéal
Une démographie galopante et un développement urbain à peine planifié ont transformé le village qu’était Amman dans les années 1940 en une vaste métropole de 1 000 kilomètres carrés au XXIe siècle. Avec ses 2,3 millions d’habitants, la capitale présente une densité de 312 habitants au kilomètre carré, plus de quatre fois la moyenne nationale.
L’urbanisation chaotique n’en fait pas une ville des plus fonctionnelles mais finalement, son expansion incontrôlée s’accorde de manière relativement harmonieuse avec le concept d’agriculture urbaine. Elle permet en effet de tirer parti des espaces vides laissés entre les maisons et les rebords de fenêtres, ainsi que des balcons et des terrasses, en y cultivant légumes, herbes et autres plantes que les familles peuvent utiliser pour leur propre consommation ou vendre pour augmenter leurs revenus.
Le programme officiel d’agriculture urbaine a débuté en 2006, selon Hesham Al Omari, ingénieur à la tête du service qui lui est dédié à la municipalité du Grand Amman et fait partie d’un projet initié par une structure internationale, le Centre de ressources pour l’agriculture urbaine et la sécurité alimentaire (Voir le site du Centre en anglais).
Si en Jordanie, les potagers ne datent pas d’hier, le programme mis en place par la municipalité cherche cependant à les multiplier et à les optimiser en apportant un soutien à la population sur le plan matériel afin qu’elle puisse commencer à cultiver à la maison et en organisant des cours pour lui apprendre à produire le plus possible à moindre coût.
« Nous choisissons du matériel peu onéreux », déclare M. Al Omari. Pendant les cours, on apprend à réutiliser boîtes de conserve, sacs en plastique et vieux morceaux de bois pour en faire des bacs de plantation. Les premiers projets ont consisté à planter des caroubiers et des oliviers dans un secteur défavorisé de l’est d’Amman pour empêcher la désertification [1]/ et à enseigner à des femmes d’un autre quartier à cultiver des plantes aromatiques et résistantes à la sécheresse.
Dans les pays arabes, qui importent la plus grande partie de leur nourriture - phénomène qui continuera à se développer au cours des prochaines décennies selon les estimations -, la sécurité alimentaire est soumise à l’augmentation constante du prix des aliments. Une étude du Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes (Ciheam pour son sigle en anglais) montre que l’agriculture urbaine est un moyen de faire face à cette situation.
« Bien que l’agriculture urbaine soit pratiquée depuis longtemps, elle est peu reconnue par la communauté scientifique agricole, les hommes politiques, les chercheurs et même par ceux qui y recourent » souligne le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) qui a financé le rapport du Ciheam.
Surmonter les obstacles
Dans le troisième pays du monde le plus touché par la pénurie de l’eau, gâcher cette eau si précieuse pour arroser des jardins est un luxe que les Jordaniens semblent ne pas pouvoir se permettre. La municipalité du Grand Amman enseigne donc aux agriculteurs citadins d’en faire un usage parcimonieux grâce à des systèmes de recyclage des « eaux grises » (eaux résiduelles des foyers peu chargées en matières polluantes), des techniques d’irrigation et la collecte des eaux de pluie.
« En été, l’eau est rare », déclare Jawla Al Amayra, habitante du quartier d’Iraq al Amir, dans la banlieue ouest d’Amman, où la municipalité a mis en place un projet de formation.
Le morcellement des terres agricoles et l’urbanisation affectent largement le secteur agricole dans le pays. Dans les départements où la réduction des terres cultivées a été particulièrement critique, notamment à Amman, la terre destinée à la culture des céréales a diminué de 65 % et celle destinée au maraîchage de 91 % entre 1975 et 2007, selon une enquête du Programme alimentaire mondial des Nations Unies pour le développement.
« Le prix de la terre ne cesse d’augmenter, et donc pour quiconque possède un terrain inutilisé, la tentation de le vendre est beaucoup plus grande que l’envie de le travailler », ajoute M. Al Omari.
Malgré ces obstacles, le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) a choisi Amman où « le soutien inconditionnel de la municipalité a encouragé le développement » de l’agriculture urbaine.
« D’autre part, les connaissances acquises au cours de la formation dispensée par la municipalité sont ensuite transmises par les participants eux-mêmes aux voisins et amis qui n’y avaient pas assisté », explique M. Al Omari.
Une portée nationale
Le succès rencontré à Amman a ouvert la voie à d’autres villes qui se sont depuis investies dans des projets similaires. 82 % de la population jordanienne vit en ville, ce qui signifie qu’une grande majorité peut s’approprier ce type d’agriculture et en retirer les mêmes avantages : complément de revenus, plus grande sécurité alimentaire et accès à des produits frais.
Un rapport final du Centre de ressources sur l’agriculture urbaine et la sécurité alimentaire, au sujet d’un des projets de la municipalité du Grand Amman qu’il a financé, se montre optimiste sur l’avenir de ce phénomène, non seulement dans la capitale mais également dans le reste du pays.
L’agriculture urbaine « fait à présent partie intégrante de l’agenda municipal » est-il précisé et « la loi s’est assouplie » envers cette pratique.
Il observe que grâce à la municipalité, l’agriculture urbaine a obtenu le soutien des hautes sphères du gouvernement. La semaine dernière, le ministère de l’Agriculture a pris la décision de vendre de jeunes arbres fruitiers à des prix dérisoires, « dans le but d’étendre les espaces verts en Jordanie, en particulier avec des cultures et des arbres économiquement viables » a déclaré son porte-parole, Nimer Haddadin.
Néanmoins, M. Al Omari considère que le gouvernement ne peut pas se charger seul de sa diffusion, même si de nouveaux projets ont démarré à Jerash, au nord d’Amman et à Ain Al Basha, au nord-ouest. « Il a besoin de l’aide du peuple », ajoute-t-il avec un sourire.