L’accaparement des brevets menace la biodiversité et la souveraineté alimentaire en Afrique

Hope Shand

, par Pambazuka , ETC Group

 

La version originale de cet article a été publiée en anglais par Pambazuka. Il a été traduit par Charlotte Berthou, traductrice bénévole pour rinoceros.

 

« Sous prétexte de développer des plantes adaptées au changement climatique, les plus grandes entreprises semencières et agrochimiques mondiales font pression sur les gouvernements pour qu’ils autorisent ce qui pourrait constituer la plus vaste et la plus dangereuse accumulation de brevets de toute l’histoire de la propriété intellectuelle. » Hope Shand dévoile dans cet article les conclusions du nouveau rapport de l’ETC Group sur les demandes de brevets « sur des gènes, des plantes et des technologies censées permettre aux cultures biotechnologiques (génétiquement modifiées) de résister à la sécheresse et aux autres formes de stress environnemental ».

Sous prétexte de développer des plantes adaptées au changement climatique, les plus grandes entreprises semencières et agrochimiques mondiales font pression sur les gouvernements pour qu’ils autorisent ce qui pourrait constituer la plus vaste et la plus dangereuse accumulation de brevets de toute l’histoire de la propriété intellectuelle. Un nouveau rapport de l’ETC Group révèle une hausse spectaculaire du nombre de dépôts de brevets sur des gènes, des plantes et des technologies « adaptées au changement climatique » (climate-ready). Ces technologies sont censées permettre à des plantes génétiquement modifiées de résister à la sécheresse et aux autres contraintes environnementales (ou encore appelés stress abiotiques) associées aux dérèglements climatiques. L’ETC Group met en garde : la main mise de ces entreprises sur ces brevets leur permettra d’exercer un contrôle exclusif sur la biomasse mondiale et nos futurs approvisionnements alimentaires, menaçant de les étrangler. Dans de nombreux cas, un seul brevet, ou une seule demande de brevet, pourrait permettre de revendiquer la propriété de séquences de gènes modifiés qui pourraient être déployées dans pratiquement toutes les grandes cultures, mais aussi dans les aliments transformés et les produits animaux qui en sont dérivé.

L’accaparement de brevets sur les cultures « adaptées au changement climatique » est une tentative pour contrôler, non seulement la sécurité alimentaire mondiale, mais aussi la biomasse non encore transformée en marchandise. Dans le brouillard du chaos climatique qui nous attend, les Géants du Gène espèrent faciliter l’acceptation par l’opinion publique des cultures génétiquement modifiées, et de rendre ainsi leur mainmise sur les brevets plus acceptable. Ce sont de nouvelles variations sur un vieux thème vicié : des plantes transgéniques avec des gènes « adaptés au changement climatique » vont permettre d’augmenter la production agricole, et ainsi de nourrir la planète, nous dit-on. Des plantes conçues pour pousser sur des sols pauvres, avec moins de pluie et moins d’engrais, qui feraient la différence entre la famine et la survie pour les agriculteurs les plus pauvres.

Pour acquérir une légitimité morale, les poids lourd du génie génétique font équipe avec des philanthropes capitalistes en vue (les fondations Gates et Buffett), des gouvernements influents comme les USA et le Royaume-Uni, et des grands groupements d’Instituts de recherche agricole (comme le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale, CGIAR) pour faire don de gènes et de technologies libres de droits aux agriculteurs pauvres et sans ressources – en particulier en Afrique subsaharienne. En contrepartie, les gouvernements africains sont priés « d’alléger le poids des réglementations » qui pourraient entraver le développement commercial des cultures transgéniques, et d’adopter des lois sur la propriété intellectuelle qui soient favorables aux biotechnologies.

Revendications de brevets « adaptés au changement climatique »

Le rapport de l’ETC Group identifie 262 familles de brevets (sur un total 1663 dépôts et brevets dans le monde entier) publiés entre juin 2008 et juin 2010, qui font particulièrement référence à la tolérance aux stress abiotiques des plantes (telle que la tolérance à la sécheresse, la chaleur, les inondations, le froid et la salinité des sols). Seulement six sociétés (DuPont, BASF, Monsanto, Syngenta, Bayer et Dow) et leurs partenaires du secteur de la biotechnologie (Mendel Biotechnology et Evogene) contrôlent 201, ou 77%, de ces 262 familles de brevets (brevets publiés ou en attente de publication). Trois entreprises - DuPont, BASF, Monsanto - représentent 173, ou 66%, de ces brevets. Le secteur public en détient seulement 9%. Une liste détaillée de ces brevets est disponible ici (voir l’annexe A).

Qu’est-ce qu’une famille de brevets ?
Une famille de brevets est un ensemble de dossiers de dépôt de brevets et/ou de brevets acceptés et délivrés, qui sont ensuite publiés et valides dans plus d’un pays ou auprès de plus d’un office des brevets (y compris des offices de brevets nationaux et régionaux). On dit de brevets délivrés et/ou de demandes de brevets qu’ils appartiennent à la même famille s’ils ont le même inventeur et s’ils se réfèrent à la même « invention ».

Dans une récente interview accordée à Business Week, le PDG de Syngenta, Michael Mack, explique ainsi la ruée des entreprises pour obtenir le plus de brevets possibles sur les traits génétiques d’adaptation au changement climatique : « Les agriculteurs du monde entier vont payer des centaines de millions de dollars à ceux qui détiennent cette technologie, pour pouvoir utiliser cette caractéristique [du maïs résistant à la sécheresse]. » [1]. Le marché mondial de résistance à la sécheresse pour une seule culture - le maïs - est estimé à 2,7 milliards de dollars US, mais le Département de l’agriculture des États-Unis prévoit que le marché mondial des produits chimiques et plastiques destinés à l’agriculture atteindra les 500 milliards de dollars US par an d’ici 2025. Pour les Géants du Gène, l’objectif est de devenir « maîtres de la biomasse ». Pour ces entreprises, le but de la sélection végétale n’est plus de nourrir les hommes, mais de maximiser la biomasse.

Qu’est-ce que la biomasse ?
Le terme de biomasse se réfère à des matériaux provenant d’organismes biologiques vivants ou qui ont connu récemment un état vivant. Cela inclut : toutes les plantes, les arbres, les microbes, ainsi que leurs sous-produits tels que les déchets organiques provenant de l’élevage, de la transformation des aliments et les ordures. L’ETC Group prévient que la bio-économie est le catalyseur d’une mainmise des entreprises sur toutes les matières végétales et d’une destruction de la biodiversité à une échelle massive. On estime que 86% de la biomasse globale est située dans les régions tropicales et subtropicales. Poussant à l’extrême le génie génétique, les plus grandes sociétés du monde sont sur le point de fabriquer des composés industriels - carburant, nourriture, énergie, matières plastiques et plus – en utilisant la biomasse comme matière première.

Le profil des principaux acteurs

La mainmise sur les brevets de cultures adaptées au changement climatique ne se limite pas aux cultures vivrières et fourragères. Les principaux acteurs sont aussi très impliqués dans la recherche liée aux agrocarburants et aux matières premières industrielles (i.e. la biomasse).

En 2007, BASF et Monsanto ont lancé la plus grand collaboration internationale en matière de recherche agricole, investissant conjointement 1,5 milliard de dollars pour développer des variétés de maïs, de soja, de coton et de colza résistantes au stress climatique. En juillet 2010, BASF et Monsanto ont annoncé un investissement supplémentaire de 1 milliard de dollars - qui s’étend désormais à la tolérance aux stress abiotiques chez le blé, la deuxième culture la plus rentable au monde après le maïs. Monsanto et BASF soutiennent que la première variété au monde de maïs génétiquement modifié résistante à la sécheresse sera le premier produit de leur collaboration. Cette variété est prévue pour être lancée commercialement vers 2012. Monsanto est aussi en train de développer des variétés de coton, de blé et de canne à sucre résistantes à la sécheresse.

En janvier 2010, BASF a annoncé une nouvelle collaboration avec KWS (une entreprise semencière importante basée en Allemagne) pour développer des betteraves à sucre ayant une tolérance accrue à la sécheresse et un rendement augmenté de 15%. Les agrocarburants - y compris les arbres génétiquement modifiés - sont un autre de ses grands objectifs : BASF collabore avec le Centro de Tecnologia Canavieira (CCT) au Brésil pour développer une canne à sucre ayant une meilleure tolérance à la sécheresse et un rendement accru de 25% [2].

Mendel Biotechnology, qui collabore avec Monsanto depuis 1997, est un acteur majeur dans le génie génétique de plantes cultivées adaptées au changement climatique. Monsanto détient des licences exclusives portant sur des technologies développées par Mendel sur certaines cultures de céréales et de légumes. Mendel a également établi des partenariats avec BP et Bayer. Depuis 2007, Mendel travaille avec BP sur les agrocarburants de deuxième génération.

DuPont (Pioneer Hi-Bred) présente ses travaux sur les technologies de tolérance à la sécheresse comme « la prochaine grande vague d’innovation agricole ». Pioneer met l’accent aussi bien sur les technologies de sélection conventionnelle que transgénique. Pioneer collabore également avec la société de biotechnologie israélienne Evogene sur le stress hydrique du maïs et du soja, ainsi qu’avec Arcadia Biosciences [3]. En août 2010, Evogene a rendu public Athlete 3.0, sa technologie exclusive de calcul qui permettra la « découverte inter-espèces de gènes, sur la base des données génomiques de plus de 130 espèces de plantes » [4]. L’entreprise affirme qu’elle détient plus de 1 500 nouveaux gènes portant sur des caractères clés de plantes cultivées.

Arcadia Biosciences (Davis, Californie), fondée en 2002, collabore avec certaines des entreprises les plus importants au monde pour développer des semences génétiquement modifiées tolérantes au stress. Bien qu’Arcadia soit une société privée autonome, le fonds de capital-risque détenu par BASF a investi dans l’entreprise depuis 2005. En 2009, Arcadia a conclu un partenariat avec Vilmorin (quatrième semencier mondial, propriété du Groupe Limagrain) pour le développement d’un blé qui utilise efficacement l’azote. Arcadia a conclu des accords avec Monsanto, DuPont, Vilmorin, Advanta (Inde) et l’Agence pour le développement international des États-Unis (USAID) sur des projets liés à l’utilisation efficace de l’azote, la sécheresse et la tolérance à la salinité.

Syngenta a dévoilé sa première génération de maïs résistants à la sécheresse (« hybrides optimisateurs d’eau ») en juillet 2010, résultat d’une sélection conventionnelle (non transgénique). Selon Syngenta, ce produit a « le potentiel d’augmenter de 15% le rendement préservé en cas de sécheresse ». Syngenta prévoit que ses hybrides de maïs de deuxième génération, génétiquement tolérant à la sécheresse, seront disponibles après 2015.

Revendications de brevets multi-génomes … et au-delà

De nombreuses demandes de brevets liées à l’ADN d’adaptation au changement climatique balaient très large. La plupart des Géants du Gène cherchent à faire valoir des droits sur des séquences nucléotidiques clés, en essayant de convaincre ceux qui examinent leurs demandes de brevets que les mêmes séquences d’ADN identifiées dans une plante ont la propriété de doter les génomes d’autres plantes de traits similaires à ceux observés dans la plante d’origine (aussi connus sous le nom d’ADN homologue). En raison de la similarité des séquences d’ADN entre les individus de la même espèce ou entre des espèces différentes (« séquences homologues »), les entreprises recherchent ainsi un monopole de protection, qui s’étend non seulement à la tolérance au stress chez une seule espèce végétale développée par elles, mais aussi à une séquence génétique sensiblement similaire dans pratiquement toutes les plantes transformées. Armés de l’information génomique, les Géants du Gène revendiquent des droits sur des espèces, des genres et des classes entiers du vivant.

Ce projet de mainmise sur des séquences de gènes clés dans les grandes cultures mondiales n’est ni négligeable ni théorique. Il y a dix ans déjà, les sociétés de génie génétique et les Géants du Gène déposaient régulièrement des demandes de brevets « en gros » sur un grand nombre de séquences d’ADN et d’acides aminés (c-à-d de protéines) - plus de 100 000 séquences dans certains cas – et ceci sans connaissances spécifiques de leurs fonctions.

En 2002, le riz (Oryza sativa) est devenu le deuxième génome de plante à être publié, et le premier génome d’une grande culture entièrement séquencé. Il est rapidement devenu la cible de revendications monopolistes. En 2006, Cambia, un organisme indépendant à but non lucratif qui favorise la transparence de la propriété intellectuelle, a lancé le projet « Patent Lens », qui consistait à analyser en profondeur les brevets et demandes de brevet américains revendiquant la propriété de séquences du génome du riz. L’étude a révélé, qu’entre 2002 et 2006, environ 74% du génome du riz (Oryza sativa) a été revendiqué dans des demandes de brevet aux États-Unis, en grande partie dans le cadre de demandes en vrac. Ils ont découvert que l’intégralité des séquences génétiques du riz, dont le génome comporte 12 chromosomes, a été cité dans des demandes de brevets, avec de nombreuses revendications se chevauchant. La remarquble présentation graphique des résultats du projet « Patent Lens » est disponible en anglais ici.

Heureusement l’analyse conduite par Cambia en 2006 concluait que la quête par les entreprises d’un monopole de brevets sur les séquences moléculaires de la plante alimentaire la plus cultivée au monde n’était qu’un succès partiel. En effet, la plupart du génome du riz restait dans le domaine public. Cela est dû en partie à de récentes décisions de justice et d’offices de brevet, qui tendent à restreindre le nombre de séquences d’ADN qu’il est possible de revendiquer dans une seule demande de brevet.

De nouvelles décisions qui tentent de prévenir les revendications monopolistiques sur des séquences d’ADN

En 2001 et 2007, l’Office américain des brevets a mis un frein aux « demandes en gros » en établissant de nouvelles règles qui exigeaient que les inventions revendiquées devaient avoir une utilité « bien établie », puis en limitant le nombre de séquences qu’il est possible de revendiquer dans chaque demande de brevet. En juillet 2010, la plus haute juridiction de l’Europe, la Cour européenne de justice (CEJ), a rendu une décision qui restreint considérablement la portée des brevets en biotechnologie agricole sur des séquences d’ADN, et plus particulièrement l’étendue du monopole de Monsanto sur le soja tolérant aux herbicides. La CEJ a affirmé que la fonction de la séquence d’ADN revendiquée, doit être divulguée dans le brevet, et que la protection de la séquence est limitée aux situations au cours desquelles l’ADN exerce la fonction pour laquelle il a été breveté.

Ces arrêts récents restreignant les revendications de monopole sur des séquences d’ADN sont importants, et constituent un échec majeur pour Monsanto. Mais cela n’a pas empêché la course au brevetage de gènes de continuer. D’après un avocat spécialiste du droit des brevets, « le défi pour les titulaires de brevets dans ce domaine sera de trouver d’autres moyens de protéger leurs produits. » [5]

Bien que quelques-uns des exemples les plus flagrants de revendications en gros identifiés par ETC Group concernent des demandes de brevet qui n’ont pas encore été publiés, il y a de bonnes raisons de s’inquiéter. Selon l’étude « Patent Lens », les brevets en attente de validation peuvent tout de même être utilisés pour effrayer les auteurs potentiels d’infractions, ou comme levier dans les négociations de licences. La simple désignation « en attente de brevet » est un puissant moyen de dissuasion, qui peut décourager les autres d’utiliser, de fabriquer ou de vendre une technologie déjà revendiquée dans une demande de brevet. La pratique des revendications en gros de brevets et des monopoles injustes est loin d’être terminée.

Partenariats public-privé pour le développement de cultures adaptées au changement climatique en Afrique

Pour gagner la légitimité morale qui leur manque cruellement, les Géants du Gène, à savoir Monsanto, BASF, Syngenta et DuPont, établissent des partenariats prestigieux avec des institutions du secteur public, visant à fournir leurs technologies brevetées à des agriculteurs pauvres, en particulier en Afrique subsaharienne. Les partenariats public-privé sont hébergés par un réseau croissant d’institutions à but non lucratif basées dans les pays du sud, dont l’objet principal consiste à faciliter et à promouvoir l’introduction de cultures génétiquement modifiées dans ces pays. L’impact immédiat de ces partenariats est, pour les Géants du Gène, d’améliorer leur image publique en donnant gracieusement à des agriculteurs démunis le droit d’utiliser certains de leurs gènes. Mais l’objectif à long terme est de créer un « environnement favorable » (réglementations sur la biosécurité, lois de propriété intellectuelle, couverture médiatique positive pour promouvoir l’acceptation par le public) qui permettra la mise sur le marché des cultures transgéniques et des technologies connexes. Il s’agit d’une « formule tout compris » - enveloppée dans un emballage philanthropique, et qui est livrée sous conditions.

« Ce dont nous avons besoin pour contribuer efficacement ... ce sont des environnements favorables aux entreprises. », a déclaré Gerald Steiner, Vice-Président exécutif délégué au développement durable de Monsanto, devant le Comité des affaires étrangères du Congrès des États-Unis, juillet 2010 [6]

La Fondation africaine pour les technologies agricoles (African Agricultural Technology Foundation, AATF), basée à Nairobi, est l’un des principaux intermédiaires au Sud. Lancé en 2003, l’AATF est un organisme à but non lucratif qui favorise les partenariats public-privé afin d’assurer un accès aux technologies agricoles sans droits à payer pour les agriculteurs pauvres d’Afrique, afin d’améliorer leur productivité. Les fonds de départ ont été fournis par la Fondation Rockefeller, USAID, et le Département pour le développement international britannique (DFID). Deux des cinq projets de l’AATF concernent le développement de la tolérance aux stress abiotiques dans les cultures :
 Maïs économe en eau pour l’Afrique (Water Efficient Maize for Africa, WEMA).
 Variétés de riz adaptées aux sols à faible teneur en azote, à la sécheresse et à la salinité.

En plus de son rôle d’intermédiaire de partenariats public-privé basé en Afrique, l’AATF a pour but de « surveiller en permanence et documenter l’évolution des cadres réglementaires pour les cultures GM dans les pays africains ». L’AATF joue un rôle majeur dans la promotion de cadres réglementaires favorables aux organismes génétiquement modifiés, en influençant l’opinion publique pour lui permettre de « surmonter les idées fausses sur les organismes génétiquement modifiés, qui ralentissent l’adoption des produits de la biotechnologie » en Afrique [7].

Le Maïs économe en eau pour l’Afrique (WEMA) est l’un des cinq projets de l’AATF. Ce partenariat public-privé implique Monsanto, BASF, le Centre International d’amélioration du maïs et du blé (CIMMYT, le centre de recherches phare du CGIAR), et les centres nationaux de recherche agricole du Kenya, du Mozambique, de l’Afrique du Sud, de la Tanzanie et de l’Ouganda. Lancé en 2008 avec 47 millions de dollars de la Fondation Bill & Melinda Gates et de la Fondation Howard G. Buffett, l’objectif de WEMA est de développer de nouvelles variétés de maïs résistantes à la sécheresse et adaptées aux zones agro-écologiques africaines, en utilisant la sélection conventionnelle ainsi que transgénique. En plus du matériel génétique propriétaire, des outils de sélection de pointe, et de leur expertise, Monsanto et BASF ont annoncé en mars 2008 le don des droits d’utilisation de transgènes de tolérances à la sécheresse. Monsanto décrit son don comme un « joyau » dans son portefeuille de technologies, et prédit qu’il pourrait se traduire par de nouvelles variétés de maïs blanc ayant un rendement accru de 20-35% pendant une sécheresse modérée [8]. Les variétés de maïs économes en eau sélectionnées de façon conventionnelle (non-transgénique) sont maintenant dans leur deuxième année d’essais en plein champs au Kenya et en Ouganda, et la Tanzanie a récemment planté des essais pour la première fois.

En septembre 2010, l’Afrique du Sud est le seul des cinq pays du programme WEMA à mener des essais en plein champ de variétés transgéniques de maïs résistant à la sécheresse. Les premières variétés de maïs transgénique du programme WEMA ont été plantées en novembre 2009 à Lutzville, un site d’essais dans le Cap-Occidental en Afrique du Sud, pour contrôler leur performance en situation de sécheresse. Selon l’AATF, « dans les 12 prochains mois, en attendant les autorisations réglementaires nécessaires, les scientifiques prévoient de procéder à la plantation d’essais de cultures transgéniques au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda. Le Mozambique prendra des mesures pour achever le développement de sites d’essais et obtenir les autorisations réglementaires nécessaires, avec pour objectif d’en planter en 2011. » [9]

Le gène de résistance à la sécheresse de Monsanto introduit dans des lignées de maïs africaines adaptées fera l’objet « tests préliminaires » au Kenya et en Ouganda fin 2010 [10]. Selon l’AATF, les partenaires de WEMA sont parties au Protocole de Carthagène sur la Biosécurité et « ils se sont tous engagés à mettre en place des cadres nationaux et fonctionnels pour la gestion des OGM. » [11]. À ce jour, cependant, le gouvernement de l’Ouganda n’a pas encore approuvé son projet de loi sur la biosécurité.

Un autre projet de l’AATF dans le domaine des cultures d’adaptation au changement climatique vise à développer des variétés de riz adaptées aux sols à faible teneur en azote, à la sécheresse et à la salinité. Les porteurs du projet anticipent que les variétés de riz dotés de ces propriétés aideront les agriculteurs africains à augmenter leurs rendements jusqu’à 30%. Les partenaires sont l’USAID, Arcadia Biosciences (Etats-Unis), Le systèmes nationaux de recherche agricole au Ghana, au Burkina Faso et au Nigéria, le Centre international d’Agriculture Tropicale (Colombie), et le PIPRA (Etats-Unis) [12]. Arcadia s’engage à autoriser les petits agriculteurs africains à cultiver ses nouvelles variétés de riz sans payer de redevance.

En février 2010, Pioneer (DuPont) a annoncé sa participation au programme « Amélioration du Maïs dans les Sols Africains » (Improved Maize for African Soils, IMAS), un partenariat qui vise à accroître le rendement du maïs en Afrique de 30 à 50% par rapport aux variétés actuellement disponibles, et ce avec la même quantité d’engrais. Le projet est dirigé par le CIMMYT, et soutenu par 19,5 millions de dollars de la Fondation Bill & Melinda Gates et l’USAID. Les autres partenaires sont l’Institut de recherche agricole du Kenya (Kenya Agricultural Research Institute, KARI) et le Conseil de recherche agricole d’Afrique du Sud (South African Agricultural Research Council). Les variétés de maïs qui seront développées grâce aux technologies et aux droits de propriété intellectuelle offertes par Pioneer, à savoir les transgènes et les marqueurs moléculaires liés à l’utilisation efficace de l’azote, seront mises à disposition des semenciers locaux qui vendent aux petits agriculteurs sans qu’ils aient à payer de redevance. Cela signifie que ces semences seront accessibles aux agriculteurs au même coût que les autres semences améliorées de maïs. Le projet introduira d’abord des variétés conventionnelles de maïs (non OGM). Les variétés transgéniques seront disponibles dans environ 10 ans.

En avril 2009, la Fondation Syngenta pour une agriculture durable, et le Forum pour la recherche agricole en Afrique (Forum for Agricultural Research in Africa , FARA) ont signé un accord sur 3 ans d’un montant de 1,2 million de dollars « pour renforcer les capacités de gestion d’une biotechnologie sûre » en Afrique subsaharienne. Le projet est géré par le FARA et mis en œuvre par les systèmes nationaux de recherche agricole au Burkina Faso, au Ghana, au Nigeria, au Kenya, en Ouganda et au Malawi. Comme le rapporte Ghana Web, FARA exhorte les Ghanéens « à adopter l’utilisation et l’application de la biotechnologie moderne pour résoudre efficacement l’insécurité alimentaire et les impacts probables du changement climatique sur l’agriculture » [13]

Rhétorique d’entreprise versus complexité technique

L’extrême complexité de l’ingénierie des caractères abiotiques chez les plantes requiert une prouesse technique qui dépasse de loin celle que les ingénieurs génétiques ont atteint depuis plus d’un quart de siècle. Quatorze ans après la mise en vente des premières cultures génétiquement modifiées, les Géants du Gène n’ont mis sur le marché que deux grands caractères exprimés par un seul gène : la tolérance aux herbicides et la résistance aux insectes, et ceci dans une poignée de pays. Une étude parue en 2010 souligne : « L’acclimatation des plantes aux conditions de stress abiotique est une réponse complexe et coordonnée impliquant des centaines de gènes. » [Mittler, Ron et Blumwald, Eduardo, « Genetic Engineering for Modern Agriculture : Challenges and Perspectives », Annu. Rev. Plant Biol. 2010. 61:443–624.] Les auteurs soulignent que la réponse des plantes aux stress abiotiques est affectée par des interactions complexes entre différents facteurs environnementaux. Le calendrier, l’intensité, la durée des stress abiotiques, ainsi que l’apparition d’une multitude de contraintes dans les champs doivent tous être pris en considération.

Même en mettant de côté les effets négatifs sociaux et environnementaux de ces produits, les avantages des cultures génétiquement modifiées, et cela s’applique aussi aux agriculteurs industriels du Nord, sont indéfinissables. En octobre 2010, le New York Times a publié un article montrant que les analystes de cette industrie se demandent si « la série de victoires qui ont permis à Monsanto de créer des semences génétiquement modifiées de plus en plus couteuses touche à sa fin » [14]. Le dernier produit en date de la société, le « Maïs SmartStax », qui comprend huit gènes étrangers de résistance aux insectes et de tolérance aux herbicides a été considéré comme un flop commercial. Mais ce n’est pas tout. Un énorme pourcentage de la superficie mondiale consacrée aux cultures transgéniques contient au moins un transgène de tolérance au Roundup de Monsanto, l’herbicide blockbuster de l’entreprise. Mais les mauvaises herbes résistantes au Roundup se développent un peu partout dans le monde, une réalité qui est en train « d’obscurcir l’avenir de la totalité de la franchise Roundup Ready »[Ibid.]

Voies possibles de résilience au changement climatique

Le monde ne peut pas compter sur des solutions technologiques pour résoudre les problèmes systémiques de la pauvreté, la faim et la crise climatique. Un système alimentaire agro-industriel fortement concentré et contrôlé par une poignée de Géants du Gène est incapable de fournir les changements systémiques nécessaires pour restructurer la production agricole, et pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. La recherche propriétaire sur la tolérance aux stress abiotiques par modification génétique est déjà en train de détourner les ressources limitées d’adaptation au changement climatique d’approches plus accessibles et décentralisées. Pendant ce temps, les paysans, la société civile et les mouvements sociaux construisent activement des systèmes d’alimentation alternatifs basés sur la résilience, la durabilité et la souveraineté.

La résilience au changement climatique dépend en dernier ressort de la biodiversité agricole, des systèmes locaux de circulation des semences et des processus agro-écologiques organisés par les communautés agricoles. Un soutien est nécessaire pour le travail de reproduction, notamment pour les cultures sous-utilisées et la diversité végétale naturelle, qui offrent une tolérance naturelle à des conditions difficiles. Les communautés autochtones et les groupes locaux d’agriculteurs ont développé et géré cette diversité, et leur rôle dans l’élaboration de stratégies d’adaptation au changement climatique doit être reconnu, renforcé et protégé. Au lieu d’être en bout de chaîne les réceptacles des oeuvres de charité des entreprises hi-tech, les communautés agricoles doivent être directement impliquées dans la définition des priorités et des stratégies d’adaptation et d’atténuation du changement climatique.

Conclusion

Les Géants du Gène profitent de la crise climatique pour gagner le contrôle monopolistique des gènes des cultures clés, et obtenir l’acceptation publique de semences génétiquement modifiées. Les grandes entreprises mettent la priorité sur les semences propriétaires de haute technologie qui ne seront pas accessibles, ou susceptibles de l’être, à la grande majorité des agriculteurs du monde entier. Il n’y a pas d’avantages sociétaux lorsque les gouvernements permettent à une poignée de sociétés de monopoliser les gènes et les caractères liés à l’adaptation au changement climatique. Les plantes génétiquement modifiées d’adaptation au changement climatique sont de fausses solutions, et la main mise sur les brevets doit être arrêtée.

Hope Shand est une ancienne directrice de recherche de l’ETC Group. Elle écrit sur le thème des technologies, du développement et de la biodiversité. Elle continue de collaborer régulièrement avec l’ETC Group sur certains projets.