Féminismes ! Maillons forts du changement social

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L’Histoire ne peut être effacée comme on efface une page Web

, par DAVIS Angela

La Marche des femmes a répondu hier, en six cents points du globe, à l’investiture du 45e Président américain, Donald Trump, par la mobilisation d’une foule écrasante. Aux États-Unis, des rues de Chicago à celles de Portland, des squares de New York aux places de Boston, on a dénombré plus de deux millions de manifestant.e.s : le milliardaire fait en effet l’objet de plusieurs accusations d’agression sexuelle et s’est vanté de pouvoir « tout faire » aux femmes, sans se soucier de leur consentement, du fait de sa célébrité médiatique. La militante féministe Angela Davis, figure du Mouvement noir de libération des années 1970 et candidate par deux fois à la vice-présidence des États-Unis en tant que membre du Parti communiste, faisait partie de cette Marche des femmes. « Les prochains 1 459 jours de l’administration Trump seront 1 459 jours de résistance », a-t-elle lancé. Nous publions ici la traduction du discours qu’elle a prononcé à Washington.

Marche des femmes sur Washington, 21 janvier 2017.
Crédits : Mobilus In Mobili / Flickr (cc by-nc)

À ce moment décisif de notre histoire, rappelons-nous que nous toutes et tous qui sommes ici — des centaines de milliers, voire de millions, de femmes, de personnes transgenres, d’hommes et de jeunes —, à la Marche des femmes, représentons les puissantes forces du changement : nous sommes déterminé.e.s à empêcher que ces cultures racistes et hétéro-patriarcales sur le déclin ne reviennent sur le devant de la scène.

Nous sommes conscient.e.s d’être les agents collectifs de l’Histoire et que celle-ci ne peut pas être effacée comme on efface une page Web. Nous savons que nous nous rassemblons cet après-midi sur des terres autochtones et nous suivons l’exemple des peuples des Premières Nations qui, malgré la violence génocidaire et massive qu’ils ont subie, n’ont jamais renoncé à la lutte pour leur territoire, pour l’eau, pour leurs cultures et pour leurs peuples. Nous saluons particulièrement aujourd’hui les Sioux de Standing Rock.

Les luttes pour la liberté des Noirs, qui ont façonné la nature même de l’histoire de notre pays, ne peuvent être supprimées d’un simple revers de la main. On ne peut pas nous faire oublier que les vies des Noirs comptent réellement [référence au mouvement Black Lives Matter, ndlr]. Ce pays s’est ancré dans l’esclavagisme et le colonialisme — ce qui implique, qu’on le veuille ou non, que l’histoire des États-Unis est une histoire d’immigration et d’esclavage. Propager la xénophobie, crier au meurtre et au viol et construire des murs n’effaceront pas l’Histoire.

Aucun être humain n’est illégal. 

La lutte pour la planète — contre le dérèglement climatique, pour garantir l’accessibilité à l’eau des terres sioux de Standing Rock, de Flint, du Michigan, de la Cisjordanie et de Gaza, pour sauver notre faune, notre flore et l’air — est le cœur de la lutte pour la justice sociale. Ceci est une Marche des femmes et cette Marche des femmes représente la promesse d’un féminisme qui se bat contre les pouvoirs pernicieux de la violence étatique. Un féminisme inclusif et intersectionnel qui nous invite toutes et tous à rejoindre la résistance face au racisme, à l’islamophobie, à l’antisémitisme, à la misogynie et à l’exploitation capitaliste. Oui, nous saluons la lutte pour un salaire minimum à 15 dollars. Nous nous consacrons à la résistance collective. Résistance aux millionnaires qui profitent des taux hypothécaires et aux agents de la gentrification. Résistance à ceux qui privatisent les soins de santé. Résistance aux attaques contre les musulmans et les migrants. Résistance aux attaques visant les personnes en situation de handicap. Résistance aux violences étatiques perpétrées par la police et par le complexe industriel carcéral. Résistance à la violence de genre institutionnelle et intime — en particulier contre les femmes transgenres de couleur.
Lutter pour le droit des femmes, c’est lutter pour les droits humains partout sur la planète ; c’est pourquoi nous disons : liberté et justice pour la Palestine ! Nous célébrons la libération imminente de Chelsea Manning et Oscar López Rivera. Mais nous disons aussi : libérez Leonard Peltier ! Libérez Mumia Abu-Jamal ! Libérez Assata Shakur ! Au cours des prochains mois et des prochaines années, nous serons appelé.e.s à intensifier nos demandes de justice sociale, à devenir plus actif.ve.s dans notre défense des populations vulnérables. Que ceux qui prônent encore la suprématie de l’homme blanc hétéro-patriarcal se méfient de nous. Les prochains 1 459 jours de l’administration Trump seront 1 459 jours de résistance. Résistance sur le terrain, résistance dans les salles de classe, résistance au travail, résistance par notre art et notre musique. Ceci n’est que le commencement, et, pour reprendre les mots de l’inimitable Ella Baker, « Nous qui croyons en la liberté, nous ne nous reposerons pas avant qu’elle n’advienne ». Je vous remercie.

Intervention traduite de l’anglais par Julie Paquette et Cihan Gunes pour Ballast et publiée le 22 janvier 2017 : http://www.revue-ballast.fr