L’Armée de Résistance du Seigneur est-elle encore un facteur de déstabilisation du gouvernement ougandais ?

, par Forum Réfugiés

Présentation du mouvement

La naissance de l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA) est le résultat des divisions ethniques et politiques ougandaises, encouragées à l’époque coloniale, entre les populations du Nord (Acholi et Lang) qui constituaient le corps militaire et celles du Sud (région du Buganda) terre fertile où étaient recrutés les fonctionnaires et intellectuels. La prise de pouvoir de Museveni et de ses soldats originaires du Sud au milieu des années 80 a suscité l’émergence de groupes rebelles acholi.

C’est dans ce contexte qu’est apparu Alice Lakwena, une femme charismatique qui se disait posséder par l’Esprit Saint, elle commandait une unité rebelle « la Force mobile de l’Esprit Saint » dont les buts étaient de délivrer le peuple acholi de son mauvais passé et de renverser Museveni. Le groupe qui a connu dans un premier temps de grands succès militaires a été mis en déroute par Museveni Alice Lakwena s’est enfuie au Kenya. Le mouvement a été repris par le cousin d’Alice, Joseph Kony, pour devenir la LRA (Lord’s Army Resistance en français Armée de Résistance du Seigneur) peu après la victoire de Museveni (1986). Dès lors, la LRA est engagée dans une lutte armée de plus en plus meurtrière au nord de l’Ouganda contre le pouvoir central.
Conformément à ces buts initiaux, la poursuite des activités de ce mouvement rebelle constitue-t-elle toujours un facteur de déstabilisation réelle et permanent du gouvernement ougandais ?

Enfants soldats

Mémorial des enfants de la LRA
Photo de Joshua Zakary, 2010, Kitgum, Ouganda

Les campagnes militaires intenses menées par le gouvernement ougandais en 1988, 1991 et 1994-96 ont durement touché la LRA (Armée de Résistance du Seigneur) mais les rebelles se sont chaque fois ressaisis. L’intensification des activités militaires entre 2003 et 2006, probablement la période la plus violente de la guerre, n’a pas réussi à handicaper la LRA. Si le but de la LRA était en avant tout de renverser la régime de Museveni, son action militaire a surtout été et reste dévastatrice pour les populations civiles.

Ne disposant pas suffisamment de forces vives, Joseph Kony employa la force pour recruter des combattants principalement des enfants (garçons comme filles) en les enlevant dans leurs villages ou les écoles. Dans les camps, ces enfants sont soumis à un régime de terreur et d’endoctrinement ainsi qu’à une formation militaire intensive. Les jeunes filles sont les esclaves sexuelles de Joseph Kony et de ses commandants.

Depuis 2006, la LRA a progressivement pénétré les pays voisins (Soudan, République Démocratique du Congo et république Centrafricaine) pour y établir des bases supplémentaires : les enfants et leurs communautés sont devenus la cible d’attaques au cours desquelles des centaines de personnes ont été tuées et des centaines d’enfants ont disparu. Selon Human Rights Watch, entre le 1er décembre 2008 et le 30 juin 2009, le groupe ougandais aurait enlevé 233 enfants en République Démocratique du Congo dont 128 lors de violentes attaques de fin 2008. Du fait des attaques orchestrées par la LRA et de la poursuite des opérations militaires en RDC, 226 000 personnes ont été contraintes de se déplacer depuis le début de l’année 2009.

Négociations de paix et lutte contre l’impunité

À partir du milieu des années 1990, les dirigeants de l’église et les associations de la société civile du nord de l’Ouganda ont réclamé énergiquement des négociations politiques en vue de mettre fin au conflit. Après que l’un des pires massacres perpétrés par l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA) eut tué 330 personnes dans le camp de Barlonyo en février 2004, le gouvernement ougandais a engagé des pourparlers de paix qui encore une fois n’ont pu aboutir.

En effet, Museveni a déféré devant la Cour Pénale Internationale (CPI) les crimes de la LRA dans le nord du pays. Pour échapper aux poursuites, la LRA freine les négociations et invoque que la cour internationale fait obstacle à la paix.

Au cours des années 2007-2008 (voir la chronologie), Joseph Kony n’a cessé de repousser les négociations, entre temps, la LRA s’est installée dans les pays voisins (en République Démocratique du Congo principalement entre septembre 2005 et janvier 2007) et y a consolidé ses bases en recrutant des enfants et a poursuivi ses attaques à l’encontre des populations civiles.

De son côté le régime ougandais adopte une stratégie double dans la lutte contre ce mouvement : d’un côté il joue la carte des négociations de paix et de la lutte contre l’impunité, mais de l’autre la lutte contre la LRA permet de justifier la militarisation du régime qui constitue le fondement du régime de Museveni. L’instabilité chronique garantit également au pouvoir ougandais l’exploitation illégale des ressources naturelles importante dans cette région.

Une menace constante pour les populations soudanaises, centrafricaines et congolaises

De l’autre coté, fin 2007, Kony a apparemment cherché à consolider ses forces en enlevant d’autres civils. De janvier à avril 2008, les combattants de la LRA ont profité de la saison sèche pour mettre à exécution une série d’opérations bien organisées au cours desquelles ils ont enlevé 90 personnes au Sud-Soudan et 90 en RCA (République Centrafricaine). Alors que la LRA revenait de RCA, les rebelles ont également enlevé au moins neuf Congolais dans la zone frontalière autour de Doruma. Ils visaient les civils âgés de 25 ans et moins pour servir de porteurs et d’ouvriers agricoles. Certaines des personnes enlevées ont reçu un entraînement militaire ; d’autres ont été affectées à la culture des champs de la LRA. Beaucoup de femmes et de filles sont devenues des esclaves sexuelles ou ont fait l’objet d’autres types d’abus sexuels.

Les populations congolaises (RDC)

De mars à septembre 2008, la LRA a établi des camps baptisés Eskimo et Boo dans le domaine de chasse situé dans la partie ouest du Parc national de la Garamba, et d’autres à Pilipili, une zone juste au sud de la frontière soudanaise et à l’ouest du parc – où un grand nombre de femmes et d’enfants ont été hébergés – ainsi que plusieurs bases plus petites dans la zone. En septembre 2008, Kony a déplacé son quartier général dans le camp Kiswahili, dans le domaine de chasse situé à l’ouest du parc national.

Le 14 décembre 2008, les armées ougandaises et congolaises lancent l’opération Coup de Tonnerre pour combattre les bases de la LRA implantées en RDC. Le bombardement a détruit les camps, mais Kony et d’autres commandants supérieurs se sont échappés. Les combattants de la LRA se sont dispersés en plusieurs groupes et ont pu s’enfuir ou bien se cacher.

En réaction à cette opération Coup de Tonnerre, la LRA se livre à de terribles représailles en massacrant à l’arme blanche plusieurs centaines de villageois congolais du Haut-Uélé (RDC) en fin décembre 2008.

Conclusion

Depuis sa création, la LRA constitue une menace réelle bien plus importante pour les populations civiles que pour le gouvernement ougandais. Elle est devenue un facteur de déstabilisation de toute la région, au-delà des frontières ougandaises. Si au départ, elle a pu constituer une menace pour le pouvoir de Kampala ; elle représente plutôt un faire-valoir pour justifier sa militarisation. Certains analystes allant même jusqu’à parler d’une occupation « lucrative » pour les deux parties (PIQUEMAL Leslie, « La guerre au nord de l’Ouganda : une solution militaire » sans issue » in Afrique Contemporaine, n°209, printemps 2004 ; p. 152).

En août 2009, la LRA annonce avoir un nouveau chef en la personne de Justin Lebaja qui souhaiterait qu’un accord de paix déjà signé par Kampala soit révisé. Serait-ce une lueur d’espoir ou une nouvelle stratégie du mouvement ?