Depuis février 2024, Rami Abou Jamous tient ce journal pour continuer d’informer aussi souvent qu’il le peut ses contacts francophones, tout en se battant pour sa survie et celle de sa famille. Il y raconte leur quotidien, nous confie ses réflexions politiques, sa difficulté d’exercer son métier de journaliste. Il y témoigne des changements de comportement des enfants, des adolescents, des femmes et des hommes.
Extraits.
21 février 2024 : "(...) Hier, on a reçu un beau cadeau d’un ami français : une tente de quatre places. C’est un très beau cadeau. Avoir une tente à Rafah, c’est un rêve. Parce qu’à tout instant, on peut être déplacés de force, comme ça a été le cas en octobre, sous les tirs des chars et des snipers. Cette tente, c’est notre roue de secours. Cet ami nous a aussi fait parvenir des vêtements et du chocolat pour les enfants. Walid, mon fils cadet, a sauté de joie. Il y avait aussi des médicaments et, surtout, des pastilles pour purifier l’eau. C’est très important car l’eau est salée. Recevoir des colis à Rafah, c’est exceptionnel. Cela tient du miracle, c’est extraordinaire. Il faut des connexions dont je ne peux pas parler, pour des raisons de sécurité (...)."
18 mai 2024 : "(...) On a parfois l’impression que l’histoire se répète, et qu’on revit les scènes de 1982 à Beyrouth. À l’époque, les Israéliens avaient encerclé la ville pour en chasser Yasser Arafat et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Au bout de 90 jours de siège et de bombardements, Arafat et ses combattants ont été évacués par la mer. Aujourd’hui une question circule à Gaza : les Israéliens se préparent-ils à laisser sortir les leaders et les combattants du Hamas par ce port flottant ? Les Égyptiens refusant que les Gazaouis se réfugient sur leur territoire, ils pourraient donner leur feu vert pour ce transfert maritime comme en 1982.
À l’époque, Arafat avait cru aux promesses des États-Unis de reconnaitre l’OLP comme représentant du peuple palestinien. Mais le président Ronald Reagan n’a pas tenu ses promesses. Après les accords d’Oslo aussi, il y a eu d’autres promesses, des garanties du Quartet (Russie, États-Unis, Union européenne et Nations Unies) et elles n’ont pas été respectées non plus. À la fin, les Israéliens ont fait ce qu’ils voulaient.
Je crois que cette fois, ce ne sont pas les combattants du Hamas qui vont sortir, mais toute la population de Gaza. Les gens pourraient l’accepter. Ils ont perdu l’espoir de vivre sur cette terre et on les comprend, parce que les Israéliens ont absolument tout détruit : les infrastructures, les nappes d’eau, les puits, l’infrastructure de l’électricité, les hôpitaux, les ateliers et les petites usines qui existaient, les universités, les écoles, même les jardins d’enfants. Il n’y a plus rien à Gaza. (...)"
21 juin 2024 : "(...) Dans la bande de Gaza, le journalisme est un métier dangereux. Plus d’une centaine d’entre eux ont été tués par l’armée israélienne depuis le début de la guerre, souvent dans des assassinats ciblés. Ils continuent pourtant à faire leur travail ; ce qui rend d’autant plus irritantes les affirmations entendues régulièrement dans des médias occidentaux, selon lesquels « il est difficile de savoir ce qu’il se passe à Gaza car les journalistes occidentaux ne peuvent pas y accéder ». Un mépris colonial exaspérant : comme si on ne pouvait pas être palestinien et journaliste. Les grandes agences internationales, l’AFP ou Reuters, sont bien présentes ici, représentées par des journalistes locaux, c’est-à-dire palestiniens ! (...)"
18 juillet 2024 : "(...) Il y a une autre pénurie, dont on parle peu. Au marché, j’ai croisé un ami, et j’ai été surpris de le voir avec la tête complètement rasée, alors qu’il portait d’habitude ses cheveux longs. Je lui ai demandé : « Mais pourquoi as-tu fait ça ? Il m’a répondu : « Parce qu’il n’y a plus de shampoing. » Et là, je me suis rappelé que depuis le premier jour de la guerre, les Israéliens ont interdit l’entrée de tout produit d’hygiène.
Une seule réponse : l’humiliation.
Cela fait neuf mois que pratiquement aucun de ces produits n’entre dans la bande de Gaza, à part une très faible quantité qui est entrée via les quelques camions d’aide humanitaire, à l’époque où le terminal de Rafah était encore ouvert. Et quand je parle de produits d’hygiène, ça concerne tout : savon, shampoing, gel douche, dentifrice, couches, papier toilette… mais aussi les produits ménagers, détergents, liquides vaisselle, lessive, etc. On trouve parfois au marché un petit savon, ou un flacon de shampoing, à des prix exorbitants. Le shampoing par exemple est passé de 10 à 100, parfois 120 shekels (30 euros). De toute façon, très peu de gens ont les moyens d’en acheter à ce prix. (...)"