Innover autrement

Politis

, par BONNEUIL Christophe, GOUYON Pierre-Henri

Des pieds de vigne transgénique ont été arrachés le 15 août 2010 dans un champ expérimental de l’INRA à Colmar. Au-delà de la polémique sur la sécurité des OGM, l’affaire met aussi en lumière une politique de recherche publique tournée vers les agro-industries. D’autres façons d’innover existent pourtant.

Quand Internet s’est développé outre-Atlantique avec sa puissance de création décentralisée, nos ingénieurs de France Télécom avaient tout misé sur un Minitel bien plus fermé et hiérarchique. Quand Microsoft s’est affirmé comme géant mondial de l’informatique, notre gouvernement a soutenu Thomson, champion industriel national, en faisant acheter des TO7 qui croupirent dans les écoles, au lieu de prioriser la recherche et l’innovation sur le logiciel libre, seul concurrent mondial d’Apple et de Microsoft.

Aujourd’hui, face à la montée, à grands coups d’OGM et de brevets sur le vivant, d’un monopole mondial des firmes chimiques (Monsanto, DuPont et quelques autres) sur les semences et l’alimentation, faut-il croire qu’on va concurrencer ces géants avec « nos » OGM brevetés de l’Inra ou de Limagrain ?

La direction de l’Inra et le gouvernement défendent l’essai de vigne OGM arrachée à Colmar notamment au nom de la nécessité de « développer une capacité d’innovation [sous-entendu, transgénique] en France » (Marion Guillou, Présidente et directrice générale de l’Inra, dans Les Échos du 18 août). En termes de stratégie scientifique et de modèle d’innovation, n’y a-t-il pas meilleur usage de l’argent public pour la recherche que de développer des innovations génétiques monogéniques brevetées ?

Aujourd’hui, Monsanto et DuPont détiennent à eux deux plus de brevets sur les génomes végétaux que toutes les structures de recherche publique du monde réunies. Dans ces conditions, plutôt que de faire la course avec les Microsoft des semences brevetées, pourquoi ne pas mettre au moins la moitié des efforts de la recherche publique en génétique végétale sur une autre voie, qui s’apparente à celle du logiciel libre ?

L’urgence environnementale est là ; tout comme les bases scientifiques et les partenaires, producteurs et citoyens passionnés de biodiversité cultivée prêts à se lancer dans mille réseaux participatifs décentralisés de sélection et de science citoyenne. Il ne manque que l’investissement de recherche publique.

Saurons-nous, cette fois, prendre la voie de l’intelligence et de la durabilité en nous débarrassant des vieux démons de la technologie centralisée ?

Ce texte est paru initialement dans le numéro 1116 de "Politis", 2 septembre 2010, dans le cadre des débats qui ont fait suite au fauchage de plants de vignes transgéniques de l’INRA près de Colmar en août 2010