Industrialisme et environnementalisme dans les élections brésiliennes

Bruno Rocha

, par OpenDemocracy

 

Ce texte, publié originellement en anglais par OpenDemocracy, a été traduit par Audrey Hiard, traductrice bénévole pour rinoceros.

 

L’environnementalisme jouera peut-être un rôle décisif dans les élections à venir, et pas seulement parce que le Parti des Verts risque d’influencer le résultat des élections

Ayant appris à lire et à écrire à l’âge de 16 ans, Marina Silva figure parmi les disciples les plus éminents, dans l’État amazonien de l’Acre, de Chico Mendès, syndicaliste-devenu-environnementaliste assassiné en 1988. Au cœur d’une joute électorale très serrée, il se peut que ce soit elle qui décidera du résultat des élections présidentielles brésiliennes en octobre, quand près de 136 millions de Brésiliens voteront pour choisir qui succédera au Président Luís Inácio Lula da Silva. Au moment où sont écrites ces lignes, les derniers sondages placent son successeur désigné, Dilma Roussef, en tête avec 5 points d’avance sur José Serra, le candidat du parti PSDB, le Partido da Social Democracia Brasileira. Techniquement, ils sont toujours au coude-à-coude, mais cela pourrait changer après le premier débat télévisé du 5 août.

Membre depuis peu du Partido Verde brésilien, Marina défend pourtant depuis longtemps les intérêts environnementaux. Elle fut l’un des membres fondateurs du Parti des Travailleurs. Élue sénatrice en 1994, elle est devenue ministre de l’environnement du gouvernement de Lula entre 2003 et 2008, avant de démissionner suite à des pressions, menées par Dilma elle-même, pour assouplir les lois environnementales.

L’adjoint de Marina, Guilherme Leal, qui figure à la 463e place dans le classement Forbes 2010 des plus grandes fortunes mondiales, est un homme d’affaires qui soutient depuis des décennies des causes sociales et environnementales. Son entreprise de cosmétiques, Natura, utilise dans ses produits des espèces natives brésiliennes cultivées et récoltées de façon durable par des communautés traditionnelles.

Dilma et Serra essaient tous deux de poursuivre les projets imaginés par Lula, qui bénéficie d’une extraordinaire popularité. Mais ils échouent misérablement : Dima était presque inconnue avant que Lula ne la choisisse pour lui succéder. Technocrate sans charisme, elle est en train d’être façonnée pour devenir une figure plus acceptable pour le grand public ; Serra est un personnage autoritaire, qui critique le gouvernement tout en nous assurant que non seulement il maintiendra les programmes sociaux de ce gouvernement, mais qu’il en amplifiera même la portée. Le mérite de Marina a été de mettre les problématiques environnementales à l’ordre du jour. Cependant, bien qu’elle ait pris des mesures pour apaiser ces peurs, elle a tendance à être perçue comme une candidate uni-thématique, dont les origines chrétiennes évangéliques font peur à de nombreux Brésiliens.
José Serra, le candidat du PSDB, est gouverneur de l’état de São Paulo – le poumon économique du pays – depuis 2006. Le PSDB, ou Parti Social-démocrate, avait auparavant dirigé le gouvernement fédéral brésilien au cours de deux mandats de quatre ans de 1995 à 2002, sous la direction du sociologue Fernando Henrique Cardoso, plus connu sous ses initiales FHC. Au cours de ces huit années, le PSDB a réussi à stabiliser l’économie brésilienne, mettant un terme à l’hyperinflation. Toutefois, leurs politiques néolibérales ont activement stimulé la privatisation des entreprises publiques.

Dilma, qui a rejoint, encore adolescente, l’un des groupes armés de gauche luttant contre la dictature militaire, puis a été arrêtée et torturée, n’a rejoint le Parti des Travailleurs ou PT (Partido dos Trabalhadores), vieux de 30 ans, qu’en 2001, avant d’occuper le poste de Ministre de l’Énergie et des Mines de 2002 à 2005. Elle a ensuite été nommée Premier Ministre du gouvernement. Quand Lula a lancé son Programa de Aceleração do Crescimento (PAC, ou Programme d’Accélération de la Croissance), il a décrit Dilma comme sa « mère ». Le PAC a pour but d’accélérer le développement des infrastructures brésiliennes et d’améliorer les conditions de vie dans les zones frappées par la pauvreté.

La grande majorité des medias généralistes aiment à décrire l’élection à venir comme un « plébiscite » entre deux leaders puissants, FHC et Lula, qui soutiennent leur dauphin respectif, Serra et Dilma. Le plus souvent, ils ne parlent pas du gouvernement ni des candidats de l’opposition, mais se réfèrent plutôt au « candidat du PT », au « candidat du PSDB », ou au « candidat du PV ». Ce scénario est démoralisant pour de nombreux Brésiliens, qui voient peu de raisons de s’enthousiasmer. Un facteur important dans la désillusion qui règne est la question des alliances politiques. Comme le temps d’antenne alloué gratuitement à chaque parti dépend de leur taille, les alliances semblent se baser plus sur le temps d’antenne que sur l’idéologie ou les programmes politiques.

Le candidat à la vice-présidence de Dilma est Michel Temer, le leader du parti PMDB, le Partido pelo Movimento Democrático Brasileiro, principal allié du PT. Le PMDB est présent dans la plupart des quelques 5000 municipalités brésiliennes, et a remplacé le MDB, le mouvement d’opposition « parapluie » créé pendant la période militaire. Pourtant, ce passé honorable se reflète très peu dans le PMDB actuel, qui comprend une pléthore de différents programmes et intérêts représentant différentes nuances du spectre politique. Par conséquent, Dilma a dû édulcorer son programme de gouvernement pour le rendre acceptable aux yeux du PMDB.

Le PSDB de Serra a été créé par une aile dissidente du PMDB en 1988. Les principaux alliés temporaires du PSDB sont les récemment renommés Democratas, précédemment Partido da Frente Liberal, qui représentent parmi les intérêts les plus à droite du Brésil. Un député fédéral de Rio, jeune et relativement inconnu, Índio da Costa a été choisi à la dernière minute pour se présenter comme adjoint de Serra. Il a immédiatement accusé le PT d’avoir des relations avec le mouvement de la guérilla colombienne des FARC et avec les narcotrafiquants.

Il s’agit donc d’élections dominées par des alliances plus pragmatiques que de principe. Il est probable que les élections présidentielles ne seront déterminées qu’au second tour, ni Dilma Ni Serra n’obtenant les 50% des votes nécessaires au premier tour. Outre le président, les Brésiliens éliront de nouveaux gouverneurs d’Etat et des représentants fédéraux et d’Etat.

L’administration Lula a réussi à sortir des millions de Brésiliens de la pauvreté. Beaucoup plus de familles ont aujourd’hui accès à l’électricité, et l’économie brésilienne est en bonne posture – le Brésil est sorti pratiquement indemne de la récente crise mondiale. L’estime des Brésiliens pour eux-mêmes a augmenté et la politique étrangère du Brésil est largement appréciée, le pays se positionnant comme une nation indépendante qui ouvre la voie à un nouvel ordre mondial. En revanche, son modèle de développement s’est basé sur une matrice énergétique qui dépend de l’énergie hydroélectrique provenant des rivières amazoniennes ; la diversification des sources d’énergie n’a pas eu lieu. Ceci évoque les années militaires quand des projets ambitieux d’infrastructures, principalement financés par l’État, ont cherché à « intégrer » l’Amazonie dans le reste du pays. Plus les élections s’approchent, plus la pression pour l’aboutissement de ces projets est grande, que la société soit en leur faveur ou non, et peu importe si l’impact social et environnemental n’a pas été correctement évalué et pris en compte, comme cela est imposé par la Constitution de 1988.

Au cours des années Lula, cette législation a toujours été considérée comme un obstacle au progrès. Belo Monte est le nom d’un barrage hydroélectrique dont la construction est prévue dans l’état amazonien du Pará. Il approvisionnera en électricité subventionnée l’industrie hautement polluante de l’aluminium. Situé sur la rivière Xingu, l’un des principaux affluents de l’Amazone, le Belo Monte engendrera un déplacement de terre plus important que pour la construction du canal de Panamá. En plus des scientifiques, des environnementalistes et des communautés locales, des économistes ont également critiqué le projet comme étant non viable économiquement.

Des entreprises de construction brésiliennes majeures (Odebrecht et Camargo Correa) se sont même désistées comme investisseurs potentiels, mais Lula tient tellement à construire le barrage et à en faire un modèle de succès du PAC que des fonds de la banque du développement national, la BNDES, financeront cette construction. En février, des ministères publics ont été menacés de poursuites judiciaires s’ils remettaient en question l’autorisation de construire Belo Monte.

C’est ce qui inquiète de nombreuses personnes. Les années Lula ont été positives pour le Brésil sur de nombreux points, mais il semble qu’il y ait un mépris de base pour les institutions de régulation légales qui pourraient d’une certaine façon retarder les projets du gouvernement. Dilma a été décrite comme étant « la personne la plus démocratique au monde, tant que l’on est d’accord avec elle à 100% ».

S’il est élu, on suppose que Serra suivra le modèle développementaliste du gouvernement actuel. Grâce à son alliance avec les Democratas, il amènerait au gouvernement des intérêts fonciers parmi les plus réactionnaires du Brésil, et certains craignent qu’il reprenne la privatisation d’entreprises publiques, telles que Petrobrás, qui s’est énormément développé au cours des années Lula. Les antécédents du PSDB dans l’Etat de São Paulo, qui est gouverné par ce parti depuis 16 ans, est difficilement estimable. Il n’y a jamais eu d’investigation à proprement parler sur les “crimes de Mai”, quand près de 500 personnes ont été tuées en l’espace de 8 jours, en mai 2006, lors d’apparentes représailles policières suite à des attaques d’une faction criminelle organisée visant la police ; le salaire des enseignants dans l’éducation publique est parmi les plus bas du pays ; les péages routiers sont les plus chers du Brésil ; le système de métro n’a été étendu que de 11km en 15 ans de gouvernement du PSDB dans l’État.

Actuellement, le Parti des Verts est vaguement allié au PSDB. Leur soutien continu l’un pour l’autre au second tour, ou une transition vers le PT, voilà ce qui pourrait influencer les élections dans un sens ou dans l’autre.

Bruno Rocha travaille sur des sites archéologiques de l’Amazonie brésilienne