Inde : un pays sur le long chemin de la lutte contre les discriminations

Introduction

, par CID MAHT

Longtemps repliée sur elle-même, l’Inde entend affirmer son statut de grande puissance et renforcer sa position sur la scène internationale.
Cependant, elle pratique une politique intérieure liberticide en réduisant l’indépendance des contre-pouvoirs, de la justice, des médias et en transformant les opposant·es en ennemis de la nation. Nombre d’observateur·rices et d’analystes s’inquiètent de la dérive de la démocratie indienne vers une autocratie nationaliste [1].

L’Inde, terre du sacré

L’Inde est un pays du multiple, un millefeuille de langues et de cultures. Dans cette diversité de croyances et de pratiques sociales, les religions jouent un rôle essentiel.
C’est à présent le pays le plus peuplé au monde, qui compte environ 80 % d’hindouistes, 14 % de musulman·es, mais aussi une myriade de membres d’autres religions, notamment des chrétien·nes, des sikh‧es, des jaïn‧es, des bouddhistes, des animistes.…
Tou·tes s’emploient à perpétuer leurs croyances, pensées et traditions sur la terre indienne.

Fêtes de Ganesh à Bombay, 2021

L’hindouisme, dont les origines remontent à 3000 avant J.C. et qui est originaire du sous-continent indien où il s’est développé et transformé au fil des siècles, est de loin la religion dominante du pays.
Mais avec 200 millions d’adeptes de l’islam, l’Inde est aussi le deuxième pays musulman du monde, après l’Indonésie, à égalité avec le Pakistan.

Cette richesse témoigne de ce que l’Inde, en dépit des invasions et conflits qui ont jalonné son histoire sans guère épargner aucune religion, a également été plus d’une fois terre d’asile pour des communautés persécutées. C’est ici que les parsi·es, adeptes du zoroastrisme (première religion monothéiste connue) fuyant les invasions arabes et l’imposition de l’islam en Perse, ont trouvé refuge au premier millénaire après J.C. C’est aussi sans doute le seul pays au monde à accueillir sur son territoire, depuis près de cinquante ans, un peuple et son gouvernement en exil : les Tibétain·es bouddhistes (100 000 réfugié·es). C’est enfin une terre d’accueil pour des expériences internationales originales et utopiques, telles qu’Auroville près de Pondichéry.

Cela ne va certes pas sans heurts ni résistances mais les faits sont là : l’Inde est le seul pays au monde à voir coexister et vivre autant de religions.

Un État laïque ?

Face aux violences entre hindou‧es et musulman·es suite à l’indépendance, les pères fondateurs de l’Inde (Gandhi, Nehru) ont décidé d’inscrire la république naissante dans une approche universaliste pour embrasser l’immense diversité qui caractérise la population du nouvel État... C’est de cette idée qu’est née la Constitution de 1950, l’une des plus longue du monde. Celle-ci prend notamment acte de la pluralité et de la liberté religieuses.

La Constitution indienne proclame l’Inde comme État laïque. Ici, la laïcité ne doit pas être entendue comme la séparation de l’Église et de l’État mais comme l’absence de religion officielle et le traitement égalitaire de toutes les religions.

La Constitution indienne est le premier instrument garant de cette laïcité, dont les articles 25 à 30 protègent la liberté religieuse des individus. La liberté de conscience et le droit de professer, pratiquer et propager librement sa religion sont proclamés par l’article 25 de la Constitution. L’article 26 ajoute que chaque confession religieuse a le droit de gérer ses affaires religieuses, de créer et de gérer des établissements à but religieux et caritatif, et de posséder, acquérir et administrer des biens. Selon l’article 27, nul·le ne peut être contraint·e de payer des taxes destinées à la promotion ou au financement d’une confession religieuse particulière. L’article 28 interdit par ailleurs l’instruction religieuse dans les établissements scolaires publics, tandis que l’article 29 protège les coutumes et langues individuelles des citoyen·nes indien·nes. Enfin, selon l’article 30, les minorités religieuses et linguistiques peuvent mettre en place et administrer des établissements d’enseignement.

L’Inde est ainsi bien loin de l’accalmie religieuse que sa législation prétend promouvoir. Cette laïcité dans les textes est grandement remise en cause par le poids de l’hindouisme, qui laisse peu de place à la pratique libre d’autres religions.

La jurisprudence est d’autant plus compliquée que l’Inde est un pays fédéral avec des États qui peuvent restreindre des pratiques religieuses.
À cela s’ajoute l’absence de code civil uniforme, puisque subsistent des statuts propres aux religions et aux castes, introduits par les Britanniques au XIXe siècle.
Ainsi, l’idéologie de l’hindutva (c‧a‧d. l’hindouité) considère que seule la culture hindoue définit la nation indienne et son identité.
Dans les faits, la limitation des conversions, l’application de régimes de droit privé différenciés, le contrôle et les financements des activités cultuelles, en fonction de l’appartenance religieuse, sont autant de discriminations.

En définitive, malgré la nature traditionnellement tolérante de l’hindouisme et la volonté des pères de l’indépendance indienne d’inscrire le sécularisme dans la Constitution de 1950, l’Union indienne est une société fracturée par l’instrumentalisation politique croissante des appartenances religieuses. La religion, élément essentiel de l’identité pour les nationalistes hindou·es, les islamistes musulman·es et les indépendantistes sikh·es, remet en cause l’expression d’un sentiment national dépassant les confessions [2]

Les persécutions visant les chrétien·nes et musulman·es sont nombreuses, tandis que le poids des traditions hindoues est source de conflits sociaux et violations des droits humains. L’étude de la société indienne se révèle bien trop complexe pour en évaluer tous les enjeux. Les conflits religieux en constituent l’expression la plus évidente, mais l’importance des traditions hindoues s’illustre dans d’autres aspects de la société, tels que le système des castes et la place des femmes.

Notes

[1L’ONG suédoise V-Dem (Varieties of Democracy) dans son rapport annuel sur la démocratie en 2021 a déclassé l’Inde dans la catégorie « autocratie électorale » et souligne, comme d’autres organismes indépendants, la multiplication des mesures déployées par son gouvernement pour museler la société civile et la liberté d’expression.