La Bolivie en crises : quel espoir ?

Histoire et chronologie de la Bolivie

, par CDTM 34, RECIDEV

Chronologie

5000 ans avant J.C. :
Premiers établissements humains sur l’Altiplano.

1er siècle avant JC jusqu’au XIIIème siècle
Empire de Tiahuanaco.

1300 – 1532
Développement de l’Empire inca (Pérou, Bolivie, Équateur, Nord de l’Argentine et du Chili).

1532
Début de la conquête espagnole.

1780-1781
Soulèvement indien dirigé par Túpac Katari contre la tutelle espagnole, avec le siège de La Paz, et son écrasement.

1808
Début des guerres d’indépendance.

1825
Proclamation d’indépendance de la Bolivie.

1879 à 1935
Guerres ou conflits avec le Chili, le Brésil, le Paraguay : la Bolivie perd chaque fois une partie de son territoire.

1967
Mort du Che Guevara qui avait tenté d’ouvrir un foyer révolutionnaire en Bolivie.

1971 à 1980
4 coups d’État militaires.

1982
Retour à la démocratie. Différents présidents se succèdent et mettent en place des réformes néolibérales.

2000
Guerre de l’eau : séries de grandes manifestations qui se déroulent à Cochabamba, la quatrième ville de Bolivie, suite à la privatisation du système municipal de gestion de l’eau qui augmente le prix de l’eau de plus de 50 %.

2003
Guerre du gaz : des milliers d’habitant·es manifestent contre l’exportation de gaz bolivien vers les États-Unis au départ de ports chiliens. Ce mouvement social ouvre la voie au socialiste d’origine indienne Evo Morales.

2005
Élection d’Evo Morales, du MAS (Mouvement vers le socialisme).

2006
Début des réformes et de ce qui est souvent considéré comme une « révolution culturelle ».

2009
Nouvelle constitution instituant un « État plurinational » qui octroie la faculté aux habitant·es d’une commune de la convertir en une AIOC (Autonomie indigène originaire paysanne). 36 langues autochtones ainsi que l’espagnol sont déclarées langues officielles.

2010
Décembre : lors de la Conférence mondiale des peuples contre le changement climatique de Cochabamba (Bolivie), adoption de la loi sur les droits de la Terre Mère (Ley de derechos de la Madre Tierra ).

2011-2012
Conflit du TIPNIS (Territoire indigène et parc national Isiboro-Sécure). Après des mois de marche depuis les plaines amazoniennes, des communautés autochtones protestant contre la construction de la route panaméricaine qui devait passer par le parc naturel du TIPNIS sont reçues à coups de matraque à La Paz.

2016
Rejet de la révision de la constitution sur le nombre de mandats possibles par un référendum

2017
8 mars  : Le Parlement bolivien, appuyé par le président Evo Morales, promulgue la Loi générale de la coca.

2019
 Démission d’Evo Morales suite aux soupçons d’irrégularité au 1er tour des élections et à la pression de groupes militaires et d’extrême droite comme celui mené par Luis Fernando Camacho (président du Comité Cívico Pro-Santa Cruz, connu pour ses liens avec l’oligarchie économique raciste de cette ville et proche des groupes chrétiens fondamentalistes).
 Jeanine Añez (deuxième vice-présidente du Sénat) est proclamée présidente par intérim le 12 novembre 2019. La répression contre les soutiens au MAS est sanglante, et les insultes envers les symboles des peuples autochtones (qui étaient célébrés par le gouvernement de Morales) se multiplient. Les nouvelles élections exigées par la population sont systématiquement reportées par le gouvernement d’Añez au motif de préoccupations sanitaires pendant la pandémie de Covid.

2020
18 octobre : Élection de Luis Arce du MAS comme président de la République

2024
26 juin : tentative de coup d’État par le chef des armées qui avait été démis de ses fonctions la veille. La situation rentre rapidement dans l’ordre par l’intervention du président Arce.
Fin août  : publication du recensement national de la population, dont les résultats contestés provoquent un tollé en prévision des élections 2025. Les tensions entre Evo Morales, qui cherche à revenir au pouvoir, et le président Luis Arce, dont la popularité reste médiocre, mène à une certaine instabilité politique, des manifestations et des blocages, dans un contexte de fragilité historique des droites boliviennes.

Une histoire longue, brillante, violente

L’histoire précoloniale des Andes boliviennes se caractérise par des organisations politiques complexes. La civilisation de Tiahuanaco dont la formation remonterait au 1er millénaire avant J.C., est une des plus anciennes connues. A la fin du XIème siècle, elle céda la place à une multitude de chefferies, dominées par le groupe ethnique aymara, qui se partagèrent les deux côtés de la cordillère des Andes. A partir du milieu du XVème siècle, ces chefferies furent peu à peu conquises et intégrées à l’Empire inca qui, venant du nord, allait constituer un gigantesque ensemble politique depuis l’actuelle Colombie jusqu’au nord du Chili.

L’une des grandes singularités de cet empire fut d’avoir intégré, parfois par la force, des populations hétérogènes dans une organisation étatique originale dont l’élément de base était l’ayllu, structure socio-politique communautaire regroupant généralement quelques dizaines de familles.
En 1532, l’exécution de l’empereur Atahualpa par les conquistadors espagnols sous le commandement de Pizarro, signifia la chute de l’Empire inca. La prise de conscience que la région regorge de richesses naturelles, en particulier minières, accéléra la mise en place d’un système colonial fondé sur l’exploitation intensive des ressources. Ainsi, on estime que, de 1545 à 1822, 40 000 tonnes de minerai ont été extraites du « Cerro rico » de Potosi, une des principales mines d’argent du « nouveau monde ». La Conquête espagnole et le régime colonial qui s’ensuivit eurent l’effet d’un séisme démographique, politique et culturel : chute d’environ 90 % de la population autochtone des Andes, système politique réduit à des communautés locales dirigées par des autorités sous contrôle direct des Espagnols, évangélisation massive, etc. Ce processus de domination de type colonial s’est poursuivi jusqu’à la période républicaine et ce en dépit de nombreux épisodes de résistance des populations autochtones, comme la révolte de Tupac Amaru II (dans l’actuel Pérou) et de Tupac Katari (Bolivie) qui embrasa la région andine à la fin du XVIIIème siècle.

La guerre d’indépendance bolivienne dura de 1809 à 1825 et fut gagnée grâce aux armées de Simon Bolivar et de José Antonio Sucre. L’avènement de la nouvelle république est cependant loin de signifier la fin des processus de domination socio-économique et raciste. Les pouvoirs restent monopolisés par des élites blanches et métisses qui approfondissent la déstructuration des sociétés autochtones.

La Bolivie a perdu une partie de son territoire lors de guerres qui ont laissé des traces douloureuses dans la mémoire collective : Guerre du Pacifique (1879-1984) contre le Chili, qui lui coûta son unique accès à la mer, que les Bolivien·nes continuent à revendiquer ; et Guerre du Chaco (1935) contre le Paraguay.

Le XIXème et le XXème siècles furent politiquement instables, marqués par des guerres civiles, des soulèvements populaires et de nombreux coups d’État.

La révolution nationale-populiste de 1952 permit de nombreuses avancées sociales telles que la nationalisation des mines et la fin des oligarchies de l’étain, le suffrage universel, le développement de l’éducation et la réforme agraire. Promulguée en 1953, cette réforme agraire mit (en partie) fin au système latifundiaire dans lequel quelques grands propriétaires « criollos [1] » employaient des milliers d’autochtones en situation de quasi-esclavage. Si le travail obligatoire disparut, le démantèlement des grandes propriétés n’eut le succès escompté que dans les régions andines (de l’altiplano et des vallées). Les « prises » d’haciendas ne touchèrent que peu les plaines orientales de la région de Santa Cruz où se développe, depuis quelques années, un Mouvement des paysans sans terre (MST), inspiré de son homologue brésilien. Aujourd’hui, quatre décennies plus tard, et malgré la violence de l’État et de l’agrobusiness, il est parvenu à occuper de grandes propriétés, à récupérer des milliers d’hectares, à construire des écoles et à devenir une référence mondiale en matière d’agroécologie et de souveraineté alimentaire.

Après une période de démocratisation et de grandes réformes menées suite à la révolution de 1952, le pays connut vingt ans de dictatures militaires. Souvent soutenus par les États-Unis et liés à la lutte contre le narcotrafic, ces régimes furent particulièrement violents, débouchant sur des vagues de répression. En 1983, la Bolivie retrouva un régime démocratique qui, malgré les instabilités politiques, s’est maintenu et consolidé.

En 1985, le gouvernement du MNR (Mouvement nationaliste révolutionnaire) de Paz Estenssoro prit un virage à droite, avec la mise en place de politiques néolibérales. Dictées par le FMI et la Banque mondiale dans le cadre des ajustements structurels imposés à tout le continent, ces réformes aboutirent à un désengagement économique quasi total de l’État. En 1986, la corporation minière, COMIBOL, qui avait été nationalisée en 1952, fut privatisée et 23 000 travailleurs licenciés. Cette catastrophe sociale se traduisit notamment par une forte émigration depuis l’Altiplano jusqu’aux zones de colonisation des vallées tropicales andines et de l’Orient bolivien. La libéralisation économique se poursuivit tout au long des années 1990 alors que les mouvements sociaux se multipliaient.