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Harassmap, un outil d’assistance aux victimes d’agressions

, par GOMMES Julie

En Égypte, la fin de l’année 2010 a vu l’apparition du site Harassmap (littéralement « Carte du harcèlement »)1, qui propose de cartographier en direct les violences et agressions faites aux femmes, aux gays et aux queers dans la ville du Caire. Le principe est simple : à l’aide d’un téléphone mobile (97% des Égyptien.ne.s en sont équipé.e.s), il suffit de se connecter au site Internet de la carte ou d’envoyer un SMS, encore plus rapide, et la victime peut déclarer en quelques secondes son agression : insultes, attouchements, coups ou encore harcèlement.

Le but est à la fois de signaler où et quand des prédateurs sévissent et de permettre aux victimes de s’exprimer sur leur agression puisqu’elles sont parfois dans l’impossibilité de porter plainte, soit parce qu’on reportera la faute sur elles (« Ton voile était mal mis  »), soit parce que cela pourrait provoquer la honte sur leur famille (« C’est parce que tu es une fille facile que tu as été embêtée »). La situation a d’ailleurs été très bien présentée dans le film de Mohamed Diab, Les Femmes du bus 6782, sorti à la fin de l’année 2010.

Des Égyptiennes et des étrangères ont alors décidé de mettre la main au clavier pour dénoncer. Dénoncer ces attouchements, dénoncer ces personnes qui les suivent, qui leur montrent leurs attributs au coin d’une rue. Dénoncer les insultes… chose qu’elles ne pouvaient pas faire dans un commissariat. Pour ces femmes, il devenait possible de trouver, via la carte, un lieu d’expression où elles pouvaient revendiquer ce qu’elles avaient vécu et ce, sans être jugées.

Les fondateurs de ce site, venant de différentes ONGs, ont travaillé avec les technologies libres Frontline SMS et Ushahidi qui permettent notamment de rendre les déclarations anonymes. Le site, qui a bien évolué, propose désormais différents services tels que la création de safe zones (« zones protégées ») dans les entreprises, la participation des femmes à des groupes de parole ou à des groupes militants pour renforcer l’effort de mobilisation collectif, loin du clavier d’ordinateur ou du téléphone, afin de s’exprimer et d’agir au quotidien.

Il est également possible pour des passant.e.s de signaler les agressions dont elles.ils sont témoins. Cette carte du Caire peut être consultée à tout moment pour accéder à l’ensemble des données ou cibler un type d’agression : stalking (traque), coups de fil, attouchements, exposition d’organes, viols, etc. Un service non négligeable lorsque l’on sait qu’à l’époque de la création de l’Harrassmap, 83 % des Égyptiennes disaient avoir été victimes d’agressions sexuelles. Pour les femmes étrangères vivant en Égypte, le pourcentage passait alors à 98 %, chiffres révélés par une étude réalisée par une ONG égyptienne.
La situation ne s’est pas pour autant arrangée, qu’il s’agisse des agressions perpétuées pendant la révolution de 2011 ou des agressions de masse survenues en 20133. Les pouvoirs publics, que ce soit les islamistes de Mohamed Morsi, pas vraiment enclins à l’émancipation des femmes, ou les militaires de Sisi, plutôt hostiles à l’évolution des libertés publiques, n’ont pas pris de mesures pour améliorer la condition des femmes ni celles des minorités sexuelles4 qui se font toujours agresser dans l’indifférence générale. En Égypte, l’homosexualité est toujours punie de peine de mort. Il faudra encore du temps pour faire évoluer les mentalités et faire en sorte que les recensions d’agressions sur cette carte diminuent enfin.

Toutefois, la démarche de signalement en tant que témoin, de plus en plus fréquente, illustre un certain changement et surtout l’influence que peut avoir l’Harassmap sur la société égyptienne : alors qu’auparavant le sort des femmes n’intéressait personne, voire en rebutait certains, les mentalités commencent à évoluer lentement, et de plus en plus de personnes se sentent préoccupées par leur situation et par les agressions dont elles sont victimes.
De la même façon, les groupes de parole, longtemps marginaux, se multiplient, notamment dans les quartiers d’entreprises où l’on trouve des populations d’un milieu social plus élevé et qui ont fait de plus longues études. Il s’agit là d’un premier pas. Jadis confidentiels, ces groupes représentent à la fois des espaces d’expression, au même titre que la carte, et des lieux où l’on se rencontre, où l’on échange sur la société égyptienne et son évolution par le prisme du rôle social alloué aux femmes.

Dans ces groupes de parole, les femmes ne sont plus victimes mais leaders, elles pensent à demain, s’expriment et il se pourrait bien qu’elles gagnent, sans difficultés, une place plus importante dans la société égyptienne tant ces groupes attirent aussi de plus en plus de militants et militantes.

Il faudra encore de longues années pour faire évoluer la situation mais, d’ores et déjà, l’Harassmap, outil créé et pensé pour le lien social, participe à faire entrer le sujet des violences faites aux femmes dans le débat public.