Greenwashing des entreprises : le "zéro net" et les "solutions fondées sur la nature" sont des escroqueries meurtrières

, par Grain

Les entreprises intensifient leur greenwashing pour parer à toute mesure visant à maîtriser leurs émissions de GES. Après avoir passé cinq ans à ne rien faire pour atteindre les objectifs déjà compromis fixés par l’Accord de Paris de 2015, des dizaines de grands pollueurs comme Nestlé et Shell prennent aujourd’hui des engagements « zéro net », principalement pour satisfaire les besoins de relations publiques des acteurs financiers qui les alimentent en capitaux. Ce changement dans le greenwashing des entreprises n’aidera en rien à réduire les émissions, mais risque de générer un accaparement massif de forêts et de terres agricoles, en particulier dans les pays du Sud. Les grandes entreprises alimentaires et agro-industrielles sont les principaux acteurs de cette escroquerie meurtrière. L’action climatique continuera d’être sabotée par le greenwashing des entreprises tant que les gens n’auront pas repris le contrôle des financements, des territoires et des gouvernements qui sont sous la mainmise des entreprises.

Paris, 2015.
Crédit : Jeanne Menjoulet (Wikimedia CC BY 2.0)

Les grandes entreprises sont, sans aucun doute, le principal obstacle à une action significative contre la crise climatique. Ces acteurs tout-puissants ont passé les vingt dernières années à remettre en cause le consensus scientifique, à bloquer une législation efficace et à donner une image « verte » à leur propre responsabilité. Même l’ultime tentative de l’accord de Paris, avec son engagement volontaire boiteux de maintenir le monde à un niveau de réchauffement – encore désastreux – de 1,5 degré, n’a en rien permis d’empêcher la cupidité des entreprises de mener la planète au bord du gouffre.

Depuis la signature de l’Accord de Paris en 2015 et sa promesse de solutions basées sur le marché, seul un petit nombre d’entreprises ont fait le strict minimum pour déclarer publiquement leurs émissions, sans parler de prendre des mesures pour les réduire. Sur les 500 plus grandes entreprises du monde, seulement 67 se sont engagées à réduire leurs émissions conformément à l’Accord de Paris [1]. La grande majorité des entreprises ne déclarent toujours pas publiquement leurs émissions, sans même parler de prendre des mesures pour y remédier [2]. De plus, si aucune société financière mondiale n’a encore adopté de politiques pour freiner la consommation de combustibles fossiles, les sommes qu’elles fournissent aux sociétés de combustibles fossiles ont augmenté chaque année depuis l’adoption de l’Accord de Paris et représentent un total de 2 700 milliards de dollars au cours des cinq dernières années [3].

Les entreprises du secteur de l’agriculture et de l’alimentation figurent parmi celles qui affichent les moins bons résultats. Une attention accrue est portée à leur rôle dans la crise climatique, le dernier rapport du GIEC estimant que le système alimentaire représente jusqu’à 37 % du total des émissions mondiales de GES [4]. Pourtant, parmi les 35 plus grandes entreprises mondiales de la filière viande et produits laitiers, les pires délinquants climatiques du secteur, une seule s’est engagée à réduire ses émissions absolues conformément aux objectifs de Paris. Cela n’a pas empêché ces entreprises de recevoir des milliards de dollars de la part de sociétés financières mondiales, y compris de celles qui se disent engagées dans l’investissement responsable [5].

Il était plus facile pour les entreprises de s’en sortir sans rien faire lorsque la crise climatique n’était pas aussi évidente physiquement qu’elle ne l’est aujourd’hui. Elles doivent également maintenant faire face à un mouvement climatique jeune et en plein développement qui exerce une influence sur les gouvernements et qui cible directement les entreprises, notamment les sociétés financières hypertrophiées qui continuent de canaliser l’épargne-retraite des gens vers les pires pollueurs. Et puis il y a la pandémie de Covid-19, qui a ouvert une brèche dans le consensus néolibéral et a clairement montré l’importance de l’intervention des gouvernements pour faire face aux urgences mondiales. Sans compter que ce n’est plus un climatosceptique qui occupe la Maison Blanche. Pour les entreprises, il existe un risque réel que les gouvernements prennent enfin les choses au sérieux et commencent à imposer des politiques et des réglementations qui réduisent leurs profits et leur pouvoir.

Les entreprises contre-attaquent bien évidemment, de toutes leurs forces, avec une campagne unifiée de greenwashing pour se présenter comme des fournisseurs de solutions. Pas un jour ne passe sans l’annonce d’une initiative d’entreprise ou d’un engagement à atteindre l’objectif de Paris de « zéro émission nette » d’ici 2050. Mais un coup d’œil sur les feuilles de route, des plans et des scénarios du « zéro net » que de plus en plus d’entreprises rendent publics montre que leur version du zéro net n’est en réalité qu’un engagement à maintenir la croissance de leurs activités extrêmement polluantes et à (éventuellement) compenser ces émissions en rémunérant d’autres pour extraire le carbone de l’atmosphère. Ces plans ne sont pas scientifiquement fondés et font peser la majeure partie du fardeau et des risques sur les communautés des pays du Sud, dont les terres seront ciblées pour ces programmes de compensation [6].

Les entreprises de tous les secteurs, notamment le puissant secteur financier, font la promotion agressive de cette escroquerie du « zéro net » afin d’éviter des réglementations sur leurs activités. Par exemple, 545 sociétés financières, avec un total de 52 000 milliards USD d’actifs sous gestion, ont récemment lancé l’initiative « Climate Action 100+ » afin de « garantir que les plus grandes entreprises émettrices de gaz à effet de serre du monde » s’engagent sur la voie des émissions zéro nettes d’ici 2050 [7]. Dans le même temps, bon nombre de ces entreprises exercent font pression contre l’intervention des gouvernements dans le financement des entreprises polluantes, insistant sur le fait qu’elles sont les mieux placées pour décider de la répartition des investissements dans les solutions climatiques [8]. L’engagement du secteur financier, même s’il ne s’agit que du greenwashing, renforce la pression sur les entreprises pour qu’elles divulguent leurs émissions et s’engagent à des émissions zéro nettes, afin de satisfaire aux exigences de ceux qui les nourrissent. C’est la principale raison pour laquelle nous assistons à une vague d’engagements d’entreprises en faveur du « zéro net », notamment dans le secteur de l’alimentation et de l’agro-industrie. Ce passage au greenwashing des entreprises, si profondément basé sur les compensations, s’annonce encore pire que l’époque du déni climatique.

Le zéro net est pire que l’inaction

BlackRock est l’actionnaire le plus important et le plus influent au monde, aussi bien dans les sociétés de combustibles fossiles que dans celles de l’agroalimentaire [9]. Malgré sa collusion profonde avec les pires ennemis du climat mondial, BlackRock s’est reconverti en leader de l’action climatique et a même été récemment engagé par l’UE pour superviser son programme de financement durable [10]. BlackRock déclare qu’il « attend désormais des entreprises qu’elles expliquent comment elles s’alignent sur un scénario dans lequel le réchauffement climatique est maintenu à un niveau bien inférieur à 2 °C, conformément à une aspiration mondiale à atteindre des émissions zéro nettes de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050 » [11]. Mais qu’est-ce que cela signifie en pratique pour une entreprise financée par BlackRock de s’aligner sur le « zéro net » ?

Parmi les entreprises dans lesquelles BlackRock est fortement investi figure Nestlé, la plus grande entreprise alimentaire au monde et l’un des pires émetteurs de GES en dehors du secteur de l’énergie [12]. BlackRock est le principal actionnaire de Nestlé et, malgré l’énorme empreinte climatique de Nestlé, la société s’adapte facilement aux mesures que BlackRock « attend » des entreprises dans lesquelles elle investit. L’entreprise suisse est l’une des rares entreprises laitières à s’engager à parvenir à des émissions zéro nettes d’ici 2050 pour l’ensemble de ses activités, y compris celles de sa chaîne d’approvisionnement (ce qu’on appelle le Scope 3) [13]. En décembre 2020, Nestlé a lancé sa « feuille de route zéro émissions nettes », s’engageant à réduire ses émissions de 50 % d’ici 2030 et à atteindre l’objectif « zéro net » d’ici 2050. La majorité de ces émissions sont produites dans sa chaîne d’approvisionnement, en particulier dans l’approvisionnement en produits laitiers, en viande et en produits de base (café, huile de palme, sucre, soja, etc.) [14]. Les émissions annuelles du Scope 3 de Nestlé représentent environ le double des émissions totales de son pays d’origine, la Suisse [15].

Le plan climat de Nestlé ne comporte pas de réduction de ses ventes d’aliments à base de produits laitiers, de viande et d’autres produits agricoles à fort taux d’émission. Au contraire, son plan climat est basé sur une croissance projetée de 68 % entre 2020 et 2030, tant pour son approvisionnement en produits laitiers et animaux que pour les produits de base [16]. L’entreprise affirme cependant que cette croissance de la production sera plus que compensée par le déploiement de technologies respectueuses du climat et par des changements dans les pratiques agricoles chez ses agriculteurs fournisseurs.

Pour réaliser cette transformation extrêmement ambitieuse de sa chaîne d’approvisionnement agricole, Nestlé a annoncé son engagement à investir 1,2 milliard USD au cours des dix prochaines années dans des « pratiques agricoles régénératrices ». Pour mettre cela en perspective : Nestlé a versé un dividende d’environ 8 milliards USD à BlackRock et à ses autres actionnaires en 2020. Annuellement, le grand engagement de Nestlé à changer les pratiques agricoles de ses fournisseurs représente un dérisoire 1,5 % de ce que l’entreprise verse à ses actionnaires en dividendes ou trois fois moins que ce les dividendes qu’elle verse à BlackRock [17].

Outre les maigres ressources qu’elle alloue, l’entreprise reste également très vague sur la manière dont elle veillera à ce que ces pratiques régénératrices soient mises en œuvre. Dans le cas des produits laitiers et de du bétail, Nestlé souhaite faire des recherches sur les additifs alimentaires pour réduire le méthane produit par les animaux et inciter les agriculteurs à utiliser des aliments pour animaux produits de manière plus durable. Et dans le cas de leur café et de leur cacao, l’entreprise veut que les agriculteurs se lancent dans l’agroforesterie et une meilleure gestion des sols. Mais bon nombre de ces technologies supposées respectueuses du climat ne sont pas éprouvées et il n’y a pas de plan clair sur la manière dont les fournisseurs passeront à des pratiques régénératrices et sur qui paiera pour que cela se fasse.

En l’absence de tout engagement sérieux pour réduire les émissions de sa chaîne d’approvisionnement, Nestlé mise sur les compensations pour sauver ses ambitions de zéro émission nette. « Nous voyons dans l’élimination des émissions de GES de l’atmosphère un énorme potentiel pour contrebalancer les émissions que nous ne pouvons réduire directement », affirme Nestlé dans sa Feuille de route.

L’entreprise estime qu’elle devra compenser 13 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an d’ici 2030, un volume à peu près équivalent au total annuel des émissions de GES d’un petit pays comme la Lettonie [18]. Mais ce chiffre pourrait être encore plus élevé si ses efforts visant à réduire les émissions grâce à une « agriculture régénérative » ne se concrétisaient pas. L’une des initiatives de réduction des émissions dans l’agriculture auxquelles Nestlé participe est un programme conçu par l’industrie des engrais pour réduire les émissions des engrais azotés en Amérique du Nord [19]. Au Canada, où le « 4R Nutrient Stewardship Programme » (programme sur la gestion judicieuse des éléments nutritifs) a été lancé, des études montrent que les agriculteurs participants finissent par utiliser plus d’engrais et à les utiliser de manière plus inefficace [20].

Destruction fondée sur la nature

La Feuille de route de Nestlé est pratiquement une copie conforme des autres engagements « zéro émission nette » qui ont été diffusés par les entreprises des secteurs de l’agroalimentaire et des combustibles fossiles au cours de la dernière année. Tous reposent sur la croissance continue des ventes de leurs produits hautement polluants, compensée par des paiements à d’autres pour réintroduire le carbone dans le sol, principalement en protégeant les forêts qui risquent d’être abattues ou en plantant des arbres sur des terres dégradées. Les entreprises désignent désormais ces compensations avec le vocable collectif de « solutions fondées sur la nature » [21].

Le précurseur des « solutions fondées sur la nature » d’aujourd’hui est le programme de réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD+) de l’ONU, qui a non seulement échoué à réduire la déforestation ou les émissions au cours des douze dernières années, mais a également durement touché les communautés locales, notamment en les privant d’accès à leurs terres agricoles et leurs forêts et en alimentant des conflits fonciers [22].

L’un des premiers promoteurs de REDD+ était une société suisse, South Pole Group, qui travaille maintenant pour Nestlé sur son plan de compensation [23]. South Pole a dirigé l’immense projet REDD Kariba, couvrant 784 987 hectares dans le nord-ouest du Zimbabwe. Ce projet, qui était structuré pour faire transiter des fonds à travers plusieurs sociétés enregistrées dans des paradis fiscaux, n’a apporté aucun avantage matériel aux communautés locales et, pire encore, les a empêchées d’accéder aux terres dont elles dépendent pour la production alimentaire, la chasse et la cueillette [24]. Il a cependant réussi à fournir au géant français de l’énergie Total des compensations pour rendre ses livraisons de gaz naturel liquide vers la Chine « neutres en carbone ».

Le Groupe South Pole est l’une des rares entreprises qui sont en passe de ramasser un pactole en raison de la dépendance croissante des entreprises à l’égard des compensations. Nestlé, un acheteur de crédits de compensation carbone, a payé South Pole pour qu’il développe un modèle permettant de « calculer le potentiel d’atténuation des GES des terres agricoles » [25]. Dans le même temps, South Pole conclut des contrats avec des vendeurs de crédits potentiels, comme le britannique Miro Forestry, qui a embauché South Pole pour certifier l’absorption de carbone de ses immenses plantations d’arbres en Afrique de l’Ouest et l’aider à vendre des crédits. South Pole, décrit comme « l’un des plus gros négociants en crédits de carbone », est payé pour faire les calculs pour les entreprises des deux côtés et ensuite, si tout va bien, en pour organiser les transactions [26].

La société SYSTEMIQ, basée au Royaume-Uni, est un autre acteur majeur dans les activités de greenwashing. Cette société peu connue, fondée et dirigée par d’anciens dirigeants du cabinet de conseil mondial McKinsey, a supervisé la très influente Commission des entreprises et du développement durable (Business & Sustainable Development Commission), une initiative de deux ans lancée par le géant de l’alimentation Unilever et d’autres sociétés à Davos en 2016 [27]. La FOLU (Food and Land Use Coalition), également cofondée par Unilever et confiée à SYSTEMIQ pour la gestion, est l’une des émanations de cette initiative. La FOLU est peut-être devenue le promoteur le plus important des « solutions fondées sur la nature » mises en avant par les entreprises (voir encadré : FOLU : les nouveaux habits de Yara et Unilever). La Commission des entreprises et du développement durable et la FOLU ont toutes deux reçu une grande partie de leur financement du gouvernement norvégien, qui a besoin de compensations pour ses propres activités pétrolières. Parmi les actionnaires de SYSTEMIQ figurent des poids lourds dans les discussions internationales sur le climat comme Lord Nicholas Stern, Sir David King, Janez Potočnik et Thomas Heller, ainsi que des milliardaires influents comme Jeremy Grantham, André Hoffman et George Soros [28].

Au mieux, ce nouveau chœur d’entreprises qui réclame à grands cris des « solutions fondées sur la nature » est purement et simplement du greenwashing, conçu simplement pour détourner l’attention des véritables réductions d’émissions et les retarder. Mais si le nombre rapidement croissant de plans « zéro net » des entreprises est mis en œuvre, même partiellement, cela se traduira par un accaparement massif de terres, de forêts et de territoires de peuples autochtones et de communautés rurales dans les pays du Sud [29].

L’ambition déclarée de Nestlé de compenser 13 MT de CO2e par an d’émissions avec des « solutions fondées sur la nature » nécessiterait d’exclure des zones ou de planter des arbres sur au moins 4,4 millions d’hectares de terres chaque année [30]. La société énergétique italienne Eni affirme qu’elle aura besoin de près de deux fois ce chiffre par an d’ici 2030, et progresse déjà sur des plans visant à établir des plantations d’arbres sur plus de 8,1 millions d’hectares en Afrique [31]. Il en va de même pour le géant pétrolier Shell, dont le nouveau scénario « zéro net » engage l’entreprise à extraire davantage de combustibles fossiles et à un développement massif des « solutions basées sur la nature » pour compenser les émissions qui en résultent. Les crédits de compensation de Shell nécessiteront au moins 8,5 millions d’hectares de terres par an d’ici 2035 [32]. À elles seules, ces trois entreprises auront besoin de 20 millions d’hectares par an pour leurs besoins cumulés de crédits, soit une superficie correspondant approximativement à celle de toutes les terres forestières de Malaisie, chaque année !

Et tout cela pour quoi ? Il n’y a aucun moyen de parvenir réellement à un point d’émissions nettes zéro, où la quantité de GES émise dans l’atmosphère ne dépasse pas la quantité extraite de l’atmosphère, si les émissions provenant de la combustion des combustibles fossiles et des autres sources majeures de GES ne sont pas réduites à près de zéro. Malgré tous les dommages que les accaparements de terres compensatoires à venir infligeront aux communautés des pays du Sud, rien ne sera fait pour arrêter le réchauffement climatique. Comme l’explique La Via Campesina et une coalition d’autres ONG et mouvements sociaux dans un rapport récemment publié, les programmes et les engagements de zéro émission nette des entreprises qui fleurissent un peu partout ces derniers temps montrent clairement qu’« il n’y a pas de désir ou d’ambition de la part des grands et des riches du monde de réellement réduire les émissions. Le terme de « greenwashing » ne suffit guère pour décrire ces efforts visant à masquer la croissance continue des émissions fossiles : les termes d’« écocide » et de « génocide » rendent plus précisément compte des impacts auxquels le monde sera confronté. » [33]

La révolution climatique ne sera pas financée

Nous ne devrions pas être surpris par cette nouvelle vague de greenwashing des entreprises. Une étude récente réalisée par un cabinet de conseil aux entreprises est arrivée à la conclusion embarrassante que les deux dernières décennies de programmes de développement « durable » des entreprises avaient un taux d’échec de 98 %.. [34] Les entreprises ne vont tout simplement pas prendre des mesures qui gênent leurs profits et elles se battront contre tous les acteurs, qu’il s’agisse de gouvernements ou de communautés en première ligne, qui se dressent sur leur chemin Elles ne changeront que lorsqu’elles y seront forcées.

S’il est tentant de voir dans la récente vague d’engagements des entreprises pour faire face à la crise climatique une victoire pour les mouvements sociaux, il est plus important que nous fassions le bilan de la façon dont ces promesses ne sont en réalité que des écrans de fumée conçus pour maintenir le statu quo. La réalité est que les entreprises ne feront pas et ne pourront pas faire partie de la solution.

Il est particulièrement important de garder ce point à l’esprit en ce qui concerne le secteur financier [35]. Les sociétés financières comme BlackRock, et même les sociétés qui gèrent les fonds de pension, sont conçues pour financer les sociétés. Si l’argent est laissé entre leurs mains, il ira toujours aux entreprises. Les entreprises devront peut-être prendre des engagements zéro émission nette pour accéder à cet argent, mais cela ne réduira pas les émissions et imposera un lourd fardeau à des communautés qui n’ont rien fait pour contribuer à la crise climatique. Il n’y a aucune victoire pour les gens ou pour le climat si une société financière se retrouve honteusement en situation de devoir transférer ses participations d’Exxon à Nestlé. Il ne s’agit pas de nier l’importance des campagnes de désinvestissement, qui peuvent avoir des effets importants sur une série d’enjeux. Mais il y a une différence entre exiger des sociétés financières un désinvestissement et leur demander d’investir dans des solutions.

Les solutions doivent être développées et définies par les populations et non pas par des entreprises. En ce qui concerne l’alimentation et l’agriculture, des paysans et d’autres petits producteurs alimentaires ont déjà formulé une vision de la souveraineté alimentaire et des solutions à la crise climatique qui exclut complètement ces énormes entreprises [36]. Il n’y a pas de place dans cette vision pour la Feuille de route de Nestlé, les « solutions fondées sur la nature » d’Unilever ou les vaines promesses environnementales de BlackRock.

Nous devons affronter avec clarté et solidarité le tsunami croissant des soi-disant solutions « vertes » des entreprises. Les compensations doivent être entièrement rejetées, ainsi que tout système qui les prend en considération, comme les « solutions fondées sur la nature » [37]. L’accent doit être mis sur le changement de système ; le simple remplacement d’une source d’énergie par une autre, ou d’une technologie par une autre, ne fait que modifier les querelles entre entreprises pour le contrôle des nouvelles sources d’énergie et des nouvelles technologies et ne fait que déplacer l’endroit où auront lieu les dommages. Imaginez la quantité de terres, d’eau et de ressources naturelles ou de « solutions fondées sur la nature », y compris avec l’utilisation de combustibles fossiles, nécessaires à la production d’agrocarburants/biocarburants ou à l’installation de centrales hydroélectriques ou de parcs éoliens pour remplacer la demande mondiale actuelle et future de combustibles fossiles ? Nous devons mettre fin à toute forme d’extractivisme, y compris à l’extractivisme de l’agriculture industrielle et de la pêche.

Nous devons également contester le monopole des entreprises sur « l’investissement ». Oui, des investissements sont nécessaires pour sortir des combustibles fossiles, mais cela ne se produira jamais si les investissements sont laissés à des sociétés financières mondiales dont la fonction principale est de canaliser l’épargne-retraite des travailleurs vers les entreprises sous forme d’achats d’actions et d’obligations. Les fonds de pension représentent la moitié du total de l’argent du système financier mondial et, non seulement ces fonds soutiennent les pires entreprises polluantes, mais ils sont de plus en plus engagés dans des méfaits tels que l’accaparement des terres, le capital-investissement et la privatisation des services et des infrastructures de santé [38]. Ces salaires différés, d’une valeur actuelle de plus de 50 000 milliards USD et gérés par quelques dizaines de gestionnaires de fonds d’entreprise, sont plus que suffisants pour couvrir les coûts estimés de la résolution de la crise climatique [39]. Mais ils continueront à financer la destruction du climat s’ils sont laissés aux mains des sociétés financières.

Le problème auquel nous sommes confrontés n’est pas de savoir comment amener les BlackRocks ou les Nestlés de ce monde à investir dans des solutions à la crise climatique. Il est de savoir comment reprendre le contrôle des fonds, des ressources et des gouvernements qui sont actuellement sous la mainmise des entreprises, afin de soutenir de véritables solutions à la crise climatique qui répondent aux besoins des populations.

Lire l’article original sur le site de GRAIN