Ce texte a initialement été publié en anglais sur le site de Shareable, et il a été traduit par Justine Visconti, stagiaire pour rinoceros
Si Gandhi était en vie aujourd’hui, utiliserait-il les médias sociaux ? De son vécu, il n’a jamais refusé la technologie, ni même le changement. À vrai dire, il les approuvait bien volontiers. Si les technologies d’internet et les réseaux sociaux avaient existé à son époque, il les aurait certainement adoptées, mais en toute conscience de leurs forces et de leurs faiblesses.
Tout héros à l’origine d’un changement social réussit en accomplissant trois choses fondamentales : en participant à une prise de conscience, en créant de l’impact et en transformant les coeurs.
En ce qui concerne la prise de conscience, internet s’est déjà révélé être un outil remarquable. Des millions de nouvelles relations se créent en ligne. Facebook publie quotidiennement des chiffres sur le nombre d’internautes qui correspondent virtuellement malgré les conflits religieux et régionaux. Voici les chiffres du jour : 199 721 nouvelles relations entre l’Inde et le Pakistan, 39 497 entre Israël et la Palestine, 7 988 entre la Grèce et la Turquie. Plus de la moitié de la population mondiale utilise aujourd’hui les réseaux sociaux et cela augmente chaque jour. La production quotidienne d’iPhones dépasse le nombre de naissances. Si Facebook était un pays, il serait la troisième puissance mondiale. Tout ce monde virtuel est plein d’altruisme générateur d’espoir.Une heure de vidéo est mise en ligne chaque seconde et tous ensemble, nous générons davantage de contenu sur une période de cinq ans que nous l’avons fait depuis 2003. Chaque jour, plus de 68 millions d’utilisateurs partagent et aiment du contenu. Si Wikipédia était un livre, il comporterait 2,25 millions de pages, serait gratuit et représenterait plus d’un milliard d’heures de travail bénévole. Tout ceci représente une incroyable plate-forme de diffusion d’idées et de contenu, disponible à très peu de frais.
En ce qui concerne l’impact social, l’utilisation d’internet est partagée. Pas besoin d’aller plus loin que le Printemps Arabe pour se rendre compte de son extraordinaire potentiel. Cependant, internet a également créé de nouveaux problèmes, allant du cyberharcèlement au slacktivism (littéralement activisme paresseux), jusqu’à la réduction de notre capacité d’attention. Impossible de savoir vers quel côté penchera finalement la balance, mais, jusqu’à maintenant, elle a semblé le faire en faveur d’un impact social positif. Hier c’était le 14 février et je me suis souvenu d’une campagne de Saint Valentin en Inde, réalisée en 2009, la Pink Chaddi Campaign. Dans une petite ville du sud de l’Inde, les membres d’une communauté conservatrice avaient décidé d’agresser les femmes qui se trouvaient dans des bars. Une réaction assez violente, sans aucun doute. Les habitants étaient furieux mais à cause de la corruption de la sphère politique, rien n’a été fait. Un groupe de sympathisants provenant du monde entier a alors décidé de faire quelque chose. Ils ont créé un groupe Facebook et demandé à tout le monde d’envoyer des « sous-vêtements roses » aux représentants du gouvernement. Le message s’est répandu comme une traînée de poudre. Les responsables politiques de cette petite ville ont alors commencé à recevoir des centaines de sous-vêtements roses. Pas seulement le jour de la Saint Valentin, mais également les jours suivants. Ils ne savaient pas comment y répondre alors que les sous-vêtements continuaient à arriver encore et encore. Finallement, des poursuites ont été engagées et les agresseurs qui avaient harcelé ces femmes ont été envoyés en prison. Cette affaire a été très marquante en ce qui concerne l’efficacité d’une campagne populaire en ligne alimentée par la force des réseaux de connexions.
Internet est alors utile dans la diffusion d’une prise de conscience et peut être assez puissant en termes d’impact également. L’étape sur laquelle il fait défaut est la troisième, le changement.
Seules les amitiés réelles peuvent aller aussi loin. Il existe 75 millions d’agriculteurs de plus sur Farmville que dans le monde réel. Farmville, ça n’est pas de l’agriculture, tout comme les liens virtuels ne sont pas l’équivalent des amitiés de la « vraie vie ». En soi, les relations en ligne sont assez limitées. En 2008, un journaliste du New York Times a écrit un article sur son étonnement d’avoir 700 amis. Il a donc organisé une fête dans l’espoir de pouvoir tous les rencontrer. Une seule personne est venue, et encore, c’était par hasard. Le principe d’organisation de Facebook est de retenir l’attention de ses utilisateurs et de la monétariser grâce aux publicités. C’est pourquoi son prix d’entrée en bourse sera de 75 milliards de dollars (environ 59 milliards d’euros). Les réseaux sociaux en ligne se révèlent donc être très utiles dans notre monde, mais sont également systématiquement limités. De par son organisation, Facebook préfère l’envoi virtuel d’un nounours à un ami plutôt qu’une accolade faite en dehors du réseau. Je n’ai rien contre les nounours, mais rien ne remplace une accolade pleine d’amitié. :) Selon la science, l’ocytocine est sécrétée par notre cerveau lorsque nous interagissons avec les autres de manière altruiste. Cette hormone nous fait nous sentir bien, améliore notre santé et augmente notre sensation de bien-être.
Si ces expériences vécues en ligne diminuent le changement intérieur, quel type de questions faut-il nous poser ? Et si la solution optimale était un mélange hybride entre la connectivité globale d’internet et de l’ocytocine d’une amitié réelle ? Les sites web ne poseront pas cette question puisqu’ils n’incitent qu’au progrès en ligne. Les organisations traditionnelles, quant à elles, ne sont habituellement pas en position de l’étudier, car elles ne sont pas à la pointe de l’évolution technologique. Qui posera donc ces questions ? Nous ne le savons pas encore, mais elles doivent être posées.
La caractéristique principale des grands révolutionnaires de notre temps (Gandhi, Martin Luther King Jr., César Chávez, Mère Térésa, le Dalaï-lama, Aung San Suu Kyi) n’est pas seulement leur conscience du problème ou l’impact de leurs luttes. De nombreux autres stratèges auraient peut-être fait mieux qu’eux. Leur force résidait dans leur propre changement intérieur qui leur a permis de faire passer leur message à leurs communautés. Il est utile de regarder une vidéo sur le danger de la cigarette pour notre corps, c’est de la prise de conscience. Il est utile d’adhérer à un programme qui fourni des patchs de nicotine pour arrêter de fumer, c’est l’impact de cette prise de conscience. Le changement, lui, transforme complètement les schémas de dépendance : changer les habitudes des coeurs a été le véritable génie des ces géants à l’origine de transformations sociales.
Il arrive souvent que les joueurs de baskets s’apprêtent à marque un panier, mais ils se font mettre en faute. Ils crient alors “Et voilà !” lorsqu’ils ont ensuite l’opportunité de marquer ce panier à trois point. Le changement est ce panier à trois point : l’engagement – et voilà !
Si nous sommes amenés à mener des révolutions soutenables qui perdurent à travers les générations, nos technologies modernes doivent être conçues pour ce changement intérieur. Chacun de ces héros légendaires a commencé par se changer lui-même le plus profondément possible et malgré les grandes révolutions qu’il a pu mené, a toujours placé ce changement au centre de tout. De la même manière, lorsque nous arrivons à la pointe de notre évolution, nous ne pouvons faire autrement qu’élargir notre vision personnelle des choses à d’autres visions. Nous évoluons alors dans un lieu d’abondance, emplis de joie et de gratitude. Nous vénérons notre profonde connexion au monde et, alors que nous nous alignons sur un déroulement naturel qui nous dépasse, nous continuons à changer. Le changement extérieur qui découle de ce type de rétroaction positive est fondamentalement différent.
Lorsqu’elles sont classées, ces conceptions marquées par le changement intérieur fonctionnent à l’intersection de trois grands cercles : le changement extérieur, le changement systémique et le changement personnel. L’activisme est souvent défini comme étant à l’intersection du changement extérieur et du changement systémique, mais manque l’idée de notre propre changement intérieur. C’est un concept essentiel, mais il n’existe pas encore de terme pour le définir. Alors nous en avons inventé un.
Le giftivism : accomplir des actes radicalement généreux qui contribuent à changer le monde. Son fonctionnement repose sur le changement interne de la personne vecteur de changement, bien plus que sur son impact sur des bénéficiaires externes. Un indicateur clé du giftivism est que son résultat peut aller jusqu’à 100 % de réussite. Il n’a pas d’adversaires. Il est inconditionnellement bon pour tout le monde. Gandhi l’appelait Sarvodaya, le bien-être de tous. Ce concept n’est pas nouveau, il n’est pas protégé par des droits d’auteur ni côté en bourse. Gandhi avait l’habitude de dire qu’« il est aussi vieux que le monde ».
Lorsque Gandhi avait environ 70 ans, il s’est exprimé devant plusieurs centaines de personnes dans la petite ville de Rajkot. Un groupe de 600 voleurs est alors arrivé et a violemment attaqué les auditeurs qui ne savaient pas quoi faire. D’un côté, il étaient en train d’écouter un apôtre de la non-violence, de l’autre côté, ces voleurs voulaient prendre le dessus avec la violence. Se fut un chaos total. Certaines personnes ont été gravement blessées, les sirènes des ambulances et de la police retentissaient dans les rues. Au milieu de tout ceci, Gandhi était toujours sur la scène. Il ferma ses yeux et commença à prier et à méditer. Son visage était complètement serein mais son corps était pris de convulsions face aux énergies négatives des circonstances. Lorsqu’il ouvrit ses yeux, il déclara aux organisateurs qu’il voulait parler au meneur des voleurs. Une confusion apparue, car beaucoup avaient peur d’exposer Gandhi à la violence, mais celui-ci non seulement insista, mais alla lui-même à sa rencontre. Les organisateurs paniquèrent alors que Gandhi se dirigeait vers le meneur. Bal Kalelkar, 26 ans, a assisté à la scène et écrivit plus tard : « À l’étonnement de tout le monde, la violence des agresseurs fondit comme neige au soleil. Le meneur du groupe se tenait devant Gandhi-ji les mains jointes... Ce soir-là, Gandhi rentra chez lui avec le meneur, une main sur son épaule. »
C’est ça le pouvoir du changement intérieur. Il s’agit du giftivism.
Aujourd’hui, les médias sociaux et les les technologies d’internet sont de fabuleux atouts pour nous tous. Gandhi les aurait certainement adpotés. Mais leur conception doit reposer sur notre plus grand levier, le changement intérieur. Nous devons nous assurer que toutes les technologies continuent de profiter à notre humanité collective et non l’inverse.