État des lieux du contexte numérique pour les défenseurs des droits humains dans 10 pays africains

Sécurité numérique au Gabon

, par AEDH, ritimo, Tournons La Page , DUVAL Virginie, POURCHIER Mathieu

Contexte politique

Pour Frontline Defenders, « bien que le paysage politique soit toujours dominé par le parti démocratique gabonais (PDG), au pouvoir depuis la fin des années 60, les restrictions placées sur le travail des défenseurs des droits humains (DDH) ne sont pas aussi répandues qu’elles l’étaient. La constitution garantie la liberté de la presse et les autres libertés publiques (…) Cependant, la liberté de la presse est parfois gâchée par des actes de harcèlement, d’intimidation et des arrestations contre plusieurs journalistes qui parlent de questions sensibles. Il y a eu quelques tentatives visant à forcer les journalistes à révéler leurs sources.

(...) De nombreux cas d’acharnement judiciaire contre des DDH et des journalistes gabonais étaient liés à des accusations de diffamation ou de « trouble de l’ordre public » et découlaient le plus souvent de déclarations, rapports ou articles dans lesquels des personnalités politiques proches du parti au pouvoir étaient mentionnées. Tandis que le Conseil national de la communication -CNC- plaide pour la fin des peines criminelles pour les infractions relatives à la diffamation, il n’y a aucun signe de changement dans un avenir proche. ».

Le Gabon, dirigé par la même famille depuis 1967, a régulièrement fait usage de la coupure d’internet comme ce fut le cas lors de l’élection présidentielle de 2016 et de la tentative de coup d’État militaire de 2019. Les résultats de l’élection présidentielle ont été remis en cause par l’opposition et ont entraîné des violences post-électorales faisant une centaine de morts.

En 2018, Anonymous a revendiqué une attaque contre plus de 70 sites gouvernementaux gabonais en mettant leurs serveurs et système mail hors ligne :
« Les dictateurs auraient dû s’attendre à nous ! ».

Lors des élections présidentielles 2016, le hacker ivoirien Yéo Sihifowa est interpellé au quartier général de l’opposant gabonais Jean Ping et accusé de vouloir « alimenter les réseaux sociaux de faux procès-verbaux et de falsifier les résultats du scrutin, transmettre sans autorisation de signaux à l’aide d’installation de télécommunications frauduleuses... ».
Après 4 ans de prison, il est finalement jugé en août 2020, condamné à 5 ans de prison, 2 millions de francs CFA d’amende et 10 ans d’interdiction de séjour puis libéré et expulsé du Gabon en septembre 2020. Au même moment, deux autres personnes (ivoiriennes aussi), N’Cho Yao et Gueu Zian, travaillant pour la campagne d’Ali Bongo sont arrêtées, « gardées au secret, leurs téléphones confisqués ». Selon le journaliste Elie Tchapi du Nouvel Obs, ils auraient été arrêtés pour éviter qu’ils ne « divulguent » la mission qui leur avait été confiée, c’est à dire faire tomber l’application « Regab » de recueil des résultats électoraux sur le terrain.

Contexte légal

En 2012, le Décret n°212/PR du 27 janvier 2011 portant création et organisation de l’Agence nationale des infrastructures numériques et des fréquences crée l’ANINF qui a pour mission de « développer l’infrastructure numérique sur l’ensemble du territoire national gabonais et de développer de manière cohérente les applications e-Gouvernement ».

L’année suivante est créée l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP) de la République gabonaise par la Loi n° 006/2012 du 13 août 2012.

À partir de mi-2016, le Gabon veut se doter d’un cadre légal pour encadrer le numérique, pour cela, le législateur se serait fait appuyer par le cabinet de conseil juridique Bird&Bird, ce dernier étant spécialisé dans le « Droit des Nouvelles Technologies de l’Information ».

Reporters sans frontières classe le Gabon à la 121e place en termes de liberté de la presse en 2020 et note « le code de la communication de 2016, s’il dépénalise les délits de presse, prévoit des mesures d’encadrement autoritaires concernant non seulement la presse, mais aussi toute la production audiovisuelle, écrite, numérique et cinématographique. »

L’Ordonnance N°15/PR/2018 du 23 février 2018 portant réglementation de la cybersécurité et de la lutte contre la cybercriminalité en République Gabonaise vise, comme préciser en son article 2, « à la protection et la sécurité des réseaux de communications électroniques, des systèmes d’information, des transactions électroniques, de la vie privée et des mineurs dans le cyberespace ».
« Les opérateurs de réseaux et les fournisseurs de services de communications électroniques ont l’obligation de : conserver les données de connexion et de trafic pendant une période de dix ans ; installer des mécanismes de surveillance de trafic des données de leurs réseaux. Ces données peuvent être accessibles lors des investigations judiciaires.
Les installations des exploitants des systèmes d’informations peuvent faire l’objet de perquisition ou de saisie sur ordre d’une autorité judiciaire dans les conditions prévues par la présente ordonnance ».

Le Code Pénal Gabonais, modifié par la Loi n°042/2018 du 05 juillet 2019 parle du numérique dans plusieurs de ces articles, notamment en ce qui concerne la protection de la vie privée et les différents trafics. Le texte prévoit de doubler les peines de plusieurs délits et crimes « lorsque la commission de l’infraction a été facilitée par l’utilisation de réseaux numériques ou électroniques de communication » comme précisé dans les articles 585, 594, 607, 617 et 629.

Le pays s’est également doté d’une Commission Nationale pour la Protection des Données à Caractère Personnel(CNPDCP) avec la Loi n° 001/2011 du 25 septembre 2011 relative à la protection des données à caractère personnel, commission indépendante chargée de veiller au bon traitement des données à caractère personnel, bien que cette indépendance soit remise en question par certains acteurs de la société civile.

Lors du vote, en 2015, de la résolution sur internet et les droits humains par le Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies, le Gabon s’est abstenu. La résolution adoptée précise que lorsque les États cherchent à résoudre les questions de sécurité sur internet, ils doivent le faire en respectant leurs obligations internationales en matière de droits humains.

Le Gabon dispose d’un ministre d’État à la communication et à l’économie numérique, Edgard Anicet Mboumbou-Miyakou. Inspecteur Principal des Postes et Télécommunications de formation, il est également ancien ministre de la justice et des droits humains (2018) devenu ministre de l’Intérieur, de la justice (2019).

Contexte “technologique/industriel”

En 2013, l’organisation Survie écrit un billet d’Afrique sur la « cybersurveillance à la française » où elle raconte que « le Gabon est justement l’un des pays de déploiement d’Eagle, la technologie de surveillance de masse d’Amesys », groupe de société de service en ingénierie informatique français.

Jusqu’en janvier 2014, le bureau de liaison en Afrique Subsaharienne de la Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DRCI) française, le contre-espionnage français, était implanté à Libreville. Il a ensuite été déplacé à Dakar pour « aider les pays de la région à collecter et à traiter des informations sur les groupes jihadistes. »

Selon la société civile, le gouvernement aurait recruté en 2016 des hackers pour espionner les conversations électroniques des personnes vivant au Gabon : « à travers le ministère de la défense, un groupe de pirates informatiques indiens appuyés par une entreprise italienne opère au Gabon pour espionner toutes nos conversations ». Selon eux, « les autorités gabonaises se seraient attaché les services de deux sociétés à savoir : l’italienne Hacking Team, entreprise de sécurité informatique qui vend des logiciels servant à l’espionnage et à la surveillance, qu’elle décrit elle-même comme "offensifs", et le responsable de la cyber-surveillance des réseaux gabonais, l’indienne VizExec ».

Le gouvernement aurait également acheté le logiciel espion Finfisher auprès de la société britannique Gamma International.

De plus, en 2016, l’ARCEP s’est doté d’un logiciel de surveillance des réseaux de communication mobile : CNQC, développée par l’entreprise française G-Tech.
Ce dernier devrait permettre à l’agence de recueillir en temps réel la disponibilité des différents réseaux mobiles dans le pays.

En mars 2016, la presse annonce que la mairie de Libreville a signé avec Microsoft une convention pour transformer la localité en « ville intelligente ».
Depuis quelques années, les défenseurs des droits numériques alertent sur les outils de « smart city » qui peuvent devenir des outils de surveillance.

En janvier 2020, Jeune Afrique rapporte que « le Silam, le centre d’écoutes de la présidence (gabonaise), est dirigé par le Français Jean-Charles Solon. Cet ancien militaire passé par les services techniques de la Direction générale des renseignements extérieurs (DGSE, les services de renseignement français), aujourd’hui fonctionnaire gabonais à part entière, est le maître des écoutes à Libreville. Théoriquement soumis à la tutelle de la Direction générale des services spéciaux de la présidence, dirigée par Brice Clotaire Oligui Nguema, il dispose en réalité de son autonomie ».
(…) « chaque jour, c’est sous plis scellés que des notes sont transmises au chef de l’État, Ali Bongo Ondimba, dont le bureau est à deux pas ».

Retranscription d’écoutes téléphoniques, interceptions de SMS ou de conversations sur WhatsApp, espionnage d’échanges de courriels ou sur les réseaux sociaux… » « le Silam a longtemps bénéficié de l’expertise française, du SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage) puis de la DGSE. Aujourd’hui, des spécialistes privés liés aux services français ont pris le relais, comme l’entreprise Amesys (devenue Ames et Nexa Technologies), ou les plus confidentiels Ercom et Suneris Solutions » (…) « Si le Français Jean-Charles Solon y est bien le patron, ses subordonnés sont israéliens. ».

Selon la banque mondiale, le Gabon est un des pays les mieux connectés en Afrique : « le Gabon a investi massivement depuis 2012 dans la construction d’un réseau haut débit à fibre optique ; Le coût de l’accès à internet a été divisé par 10 depuis 2010, et le nombre d’abonnés a été multiplié par 7 sur la même période ; Selon l’Union Internationales des Télécommunications (UIT), agence spécialisée des Nations Unies pour les technologies de l’information et de la communication, en 2017, le Gabon a gagné 10 places dans le classement mondial des TIC et se positionne désormais 6e pays le plus connecté du continent africain ».

La banque a co-financé le « Projet Colonne vertébrale Afrique Centrale » (Central african backbone, CAB4) pour permettre le développement de la fibre optique et relier les pays de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale. Ce sont « l’ANINF et la China Communication Service International qui sont chargées d’exécuter les travaux ».
Selon la presse gabonaise, « le déploiement de 1100 km de fibre optique et l’interconnexion de 26 villes du Gabon dans les provinces de l’Estuaire, du Moyen-Ogooué, de l’Ogooué-Ivindo, de l’OgoouéLolo et du Haut-Ogooué » était achevé à 90 % au début de l’année 2020.
« Le projet intègre également la construction d’un Datacenter national subdivisé en deux unités, dont la une localisée dans la commune de Franceville, et une autre dans la Zone économique de Nkok (Ntoum). Ces deux unités fourniront des services d’hébergement et de stockage de données ».

Dans son « tableau de bord internet », l’ARCEP annonce qu’il y a désormais 2 039 718 abonnements internet au Gabon (dont 97,79 % d’abonnements internet mobile). Pour l’organisation, cela signifie que le taux de pénétration est de 113 % (« les taux de pénétration sont calculés sur la base d’une population de 1802728 habitants conformément à la Décision n° 291/CC du 26 novembre 2014 de la Cour Constitutionnelle »). Toujours selon ce même tableau de bord, 1,65 % des abonnés ont accès au parc très haut débit, 98, 20 % au haut débit et 0,15 % se connectent via le parc bas débit.

Six opérateurs (« représentant 90 % du secteur) sont listés dans le tableau de bord : Airtel Gabon, Gabon Telecom mobile, Gabon Telecom Fixe, GVA, GBM, IPI9. Airtel et Gabon Telecom Mobile se répartissent l’essentiel des abonnés (41,54 % et 56,25 % respectivement).

L’ARCEP comptabilise, en septembre 2020, dans son tableau de bord « téléphonie mobile », 3 037 108 de cartes SIM actives (déclarées par les opérateurs), et un taux de pénétration de 168,47%. Deux opérateurs sont listés : Airtel Gabon, Gabon Telecom mobile.

Airtel Gabon est la filiale de la multinationale indienne, Bharti Airtel. Le groupe Bharti Airtel est présent au Gabon depuis 2012.
En septembre 2020, le ministre des communications et de l’économique numérique consulte les acteurs des télécommunications à propos du projet de « système sous-marin de fibre optique "2 Africa" ». Le projet « porté par Facebook en partenariat avec les entreprises China Mobile International, MTN GlobalConnect, Orange, STC, Telecom Egypt, Vodafone et WIOCC » a pour ambition de relier 23 pays africains. C’est Airtel Gabon qui est mandaté par le consortium pour négocier avec les autorités gabonaises.
« Long de 37 000 km, le nouveau projet sous-marin sera construit par Alcatel Submarine Networks (ASN). Il devrait être mis en service en 2023/4 et fournir une capacité nominale allant jusqu’à 180 Tbit/s. Il devrait satisfaire à la demande des populations en capacité toujours plus importante et facilitera le déploiement de la 4G, de la 5G et de l’accès haut débit fixe. »

Dans son rapport de transparence, la société Facebook ne note qu’une coupure internet d’un jour et 3 heures les 7-8 janvier 2019 au Gabon.

Points d’attention pour la protection numérique des défenseurs des droits humains

  • Surveillance des communications numériques
  • Surveillance potentielle via la « smart city »
  • Absence de stockage numérique (sécurisé)
  • Restriction et coupures internet.