Contexte politique
À plusieurs reprises en 2017, alors que la crise sociale faisait rage dans les régions anglophones du pays, Internet a été coupé dans les régions du sud-ouest et du nord-ouest du Cameroun pendant de nombreux mois. Le Cameroun détient « la palme de la coupure internet la plus longue ».
Une autre spécificité (technique) à noter, la coupure internet n’a été organisée que sur deux régions (anglophones) du pays. Une plainte a été déposée devant le conseil constitutionnel camerounais le 15 janvier 2018 pour tenter de forcer le gouvernement à rétablir le Net dans ces régions, faisant du Cameroun le 1er pays poursuivi pour répondre des coupures internet. La plainte a été déposée par le « Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique » centrale, qui a ensuite été rejoint par Access Now et Internet sans frontières. La base légale de la plainte est, entre autres choses, pour « atteinte à la liberté d’expression » et au « libre accès à l’information ». Suite à ces coupures internet, un « symposium international », organisé par plusieurs ONG, dont deux à l’origine de la plainte, se tient à Yaoundé, les 12-13 septembre 2018. Il a pour thème « Droits numériques et élections au Cameroun : combattre les discours dangereux en ligne tout en préservant les droits numériques au Cameroun ». Le 13 septembre 2018, la « Déclaration de Yaoundé » est adoptée. Elle demande au gouvernement camerounais de :
- « ...Mettre en œuvre la résolution 20/8 du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies sur « la promotion, la protection et l’exercice des Droits de l’Homme sur Internet » ;
- S’engager publiquement à respecter la résolution 362 sur le droit et la liberté d’information et d’expression sur Internet en Afrique ;
- Promouvoir la Déclaration Africaine des Droits et des Libertés sur Internet... ».
Dans son 1er rapport sur les droits de l’homme et la gouvernance au Cameroun (2020), le Mouvement pour la renaissance du Cameroun ne mentionne ni les coupures internet, ni les réseaux de télécommunication. Une seule mention est faite à WhatsApp, les messages de militants du mouvement ayant été récupérés sur le téléphone et l’application de messagerie de l’un d’entre eux.
Dans le rapport sur les droits humains de Stand Up For Cameroon (janvier 2021), il est fait mention de la coupure internet de 93 jours lors de la « crise anglophone en 2017-2018 ». Les réseaux sociaux sont mentionnés à plusieurs reprises comme espaces de diffusion de vidéos témoignant des violences. Le rapport se termine sur des « domaines d’action urgents pour les Camerounais », parmi lesquels : « Formez-vous sur les droits humains et les moyens de les défendre. (…) De nombreux contenus sont disponibles sur internet ».
D’après les membre de TLP Cameroun, aucune organisation locale ne travaille sur la sécurité numérique mais des formations ont déjà été dispensées à des membres de la société civile par Amnesty International ou Front Line Defenders.
Contexte légal
Plusieurs institutions sont en charge des télécommunications au Cameroun.
Créé par décret en 2002, l’Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication (ANTIC) assure pour le compte de l’État « la promotion et le suivi de l’action des pouvoirs publics en matière de Technologies de l’Information et de la Communication [ainsi que] la régulation, le contrôle et le suivi des activités liées à la sécurité des systèmes d’information et des réseaux de communications électroniques […] ».
L’ANTIC compte en son sein un centre de veille sécuritaire : le Computer Incidence Response Team (CIRT), destiné à veiller sur des infrastructures cybernétiques à la fois de manière préventive et réactive. L’agence abrite également un centre de certification encore appelé Centre PKI (Public Key Infrastructure) qui est chargé de sécuriser les applications du cyberespace camerounais, notamment par la sécurisation des applications, la gestion du cycle de vie du certificat et l’homologation des moyens de cryptographie.
Le Décret N°2019/150 du 22 mars 2019 portant sur l’organisation et le fonctionnement de l’Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication précise que l’agence est sous double tutelle du Ministère en charge des finances et du Ministère en charge des Télécommunications.
L’agence de régulation des télécommunications (ART) est créé en 1998. « L’agence doit sanctionner les manquements des opérateurs à leurs obligations ». En décembre 2020, Paul Biya renforce les pouvoirs de l’ART en lui accordant par décret le caractère d’ « établissement public à caractère spécial, doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière », ce qui lui permet de faire appliquer ses sanctions financières.
L’article 25 de la Loi N°2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et la cybercriminalité au Cameroun impose aux opérateurs de réseaux et fournisseurs de services de communication électronique d’installer « des mécanismes de surveillance de trafic des données de leurs réseaux. Ces données peuvent être accessibles lors des investigations judiciaires ».
Ces données devront être conservées pendant dix ans.
L’article 58 alinéa 1 du même texte stipule que « les personnes physiques ou morales qui fournissent des prestations de cryptographie visant à assurer une fonction de confidentialité, sont tenues de remettre aux officiers de police judiciaire ou aux agents habilités de l’Agence, sur leur demande, les conventions permettant le déchiffrement des données transformées au moyen des prestations qu’elles ont fournies. »
La Loi 2016/007 du 12 juillet 2016 portant sur la modification du Code Pénal précise dans son article 11 que « la loi pénale s’applique […] à la cybercriminalité […] commis même en dehors du territoire de la République ».
La responsabilité des opérateurs de réseaux de communications électroniques, fournisseurs d’accès, de services et des éditeurs.
Premièrement, il s’agit de l’obligation d’installer des mécanismes de surveillance de trafic des données de leurs réseaux. Deuxièmement, il y a l’obligation de rendre accessible les données de leurs réseaux lors des investigations judiciaires. En troisième lieu, il s’agit de l’obligation de retirer ou de rendre impossible l’accès aux données portant atteinte aux libertés individuelles des usagers, dès lors qu’ils en aient eu connaissance. En dernier lieu, il y a l’obligation de conserver les données d’identification de toute personne ayant contribué à la création de contenu.
Une loi de 2014 sur la suppression des actes terroristes a été utilisée pour faire taire journalistes et opposants. Selon le centre africain pour les TIC, une directive du ministère de la justice de janvier 2018 « demande aux magistrats de poursuivre toute personne résidant au Cameroun et diffusant des fausses nouvelles sur les réseaux sociaux ».
Contexte “technologique/industriel”
« Cameroun : espionnage, troupes d’élite… quand Israël veille sur Paul Biya » titrait le journal Jeune Afrique le 31 janvier 2020. En effet, depuis la tentative de coup d’État en 1984, Paul Biya ne faisant plus confiance aux Français s’est rapproché, sur conseil des États-Unis, des Israéliens. Depuis, ces derniers ont mis en place de nombreux outils de surveillance à commencer par l’installation dans la capitale Yaoundé de nombreuses antennes et de technologies d’interception des communications téléphoniques et électroniques. De plus, ils sont chargés de la formation depuis 1985 la garde présidentielle et ont créé un Bataillon d’Intervention Rapide (BIR), dirigé par les anciens officiers israélien Abraham Sirvan puis Mayer Herès. Ce bataillon est accusé de violences.
En mai 2016, le Cameroun a adopté un plan stratégique « Cameroun numérique 2020 » qui a permis l’extension du système de câbles de fibres optiques à quasi tout le pays.
En 2018, le ministère des postes et télécommunications annonce qu’il y a 18,8 millions d’abonnés au téléphone portable, soit un taux de pénétration de 83 %. D’après l’association camerounaise, PROTEGE QV, lors de la pandémie du covid19, les messages de la campagne de sensibilisation du gouvernement ont été transmis, notamment, par SMS gratuits (uniquement en français, donc ne touchant qu’une partie de la population. Seuls les tweets du gouvernement auraient été rédigés en anglais et français, mais là ils ne sont à destination que de ceux qui ont un abonnement internet).
On estimait le nombre d’utilisateurs « Internet » à 4 909 178 en 2017, environ 20% de la population totale. En 2018, juste avant les élections présidentielles, Internet sans frontières estime que le Cameroun « a connu un accroissement exceptionnel de sa connectivité ces deux dernières années. Plus de 25% de la population aujourd’hui a accès à « Internet ». A ce jour (2020), certaines ONG estiment le taux de pénétration internet à 30-35 %, mais toujours inégal selon les territoires.
Il existe 4 principaux fournisseurs de télécommunications : MTN, Orange, Viettel/ Nexttel et l’entreprise nationale Camtel.
C’est MTN qui est le plus gros fournisseur avec 8,7 millions d’abonnés (MTN a acheté en 2000 Camtel-mobil, filiale de Camtel). MTN Cameroun est la filiale de la multinationale sudafricaine du même nom.
Le 2e fournisseur est Orange.
Le 3e, Nexttel, est la filiale camerounaise de Viettel, entreprise publique vietnamienne, créée par le ministère de la défense du pays, et intéressée par les questions de cybersécurité. Un actionnaire minoritaire de Nexttel est l’homme d’affaires camerounais Baba Danpullo (via Bestinver Cameroon).
Les deux actionnaires de Nexttel sont en conflit depuis qu’en 2018, Baba Danpullo a souhaité signer un contrat de développement de la 4G avec l’entreprise israélienne Gilat Telecom. (« Gilat opère déjà dans plus de trente pays d’Afrique comme fournisseur de connectivité internet de gros à travers un réseau panafricain de satellites et de câbles sous-marins de fibre optique, « WACS, le EASSy et le Seacom ».)
En 2019, l’Agence de régulation des télécommunications (ART) a condamné MTN, Orange et Nexttel mobile à une amende 3,5 milliards de francs CFA pour « manquements dans l’application de la réglementation sur l’identification des abonnés et des terminaux ».
C’est la Camtel qui est gestionnaire de la fibre optique dans le pays. Elle est régulièrement accusée par ses concurrents (qui se retrouvent au sein de l’Association des Opérateurs Concessionnaires de Téléphonie Mobile au Cameroun, Aoctm) d’ « irrégularité dans la fourniture de la connectivité ». C’est désormais la Camix, une association créée par les fournisseurs Camtel, MTN Cameroun, Ringo, Viettel Cameroun, Matrix et Campost » qui va gérer les nouveaux points d’échange internet (Yaoundé et Douala) inaugurés le 27 octobre 2020. Grâce à ce développement, le gouvernement espère faire baisser « les coûts d’accès à internet, augmenter la bande passante ». L’idée ici est aussi de ne plus dépendre de « sous-réseaux étrangers ».
Si les tarifs internet se sont améliorés, le Cameroun reste l’un des pays les plus chers en termes d’accès à Internet (en 2019, le pays est au 50e rang mondial sur 61 pays selon l’index d’ « d’affordabilité » d’Internet).
Le président de l’Aoctm considérait en décembre 2020 que « nous sommes sur des nouveaux prix qui sont très bas. On a souvent l’impression que le téléphone est cher au Cameroun. Mais quand on voit l’utilisation de la data, tout le monde peut aller sur YouTube, Facebook ou WhatsApp ».
La loi de finances de 2019 a adopté dans sa section 8 une taxation des logiciels et applications produites en dehors du Cameroun, à hauteur de 200 francs. En octobre 2020 une loi prévoit que les téléphones portables, tablettes et modems importées seraient taxées à hauteur de 33 %. Devant le tollé, le président Biya annonce le même mois que la taxe est supprimée.
Le 22 janvier 2021, l’étude sur la RSE au Cameroun (réalisée par l’association Ascomt et le cabinet BeRSE Strategic) a classé les entreprises camerounaises selon leurs meilleures pratiques. MTN et Orange reculent (passant, pour l’une, de la 3e à la 5e place ; pour l’autre, de la 5e à la 8e place), du fait de « la dégradation des services offerts par les opérateurs de téléphonie mobile, avec une qualité souvent décriée par les publics et les autorités de régulation ».
Facebook indique dans son rapport de transparence qu’entre janvier et juin 2020, il a reçu 3 demandes du gouvernement camerounais de conserver les informations d’utilisateurs, en attendant l’ouverture formelle d’une procédure. Une seule procédure de ce type semble avoir été initiée à cette même période.
Facebook note également qu’il n’y a aucune coupure internet de réseau dans le pays depuis celle de 2017-2018 qui avait alors duré 23 semaines, 1 jour et 14 heures (du 20 septembre 2017 au 2 mars 2018).
Points d’attention pour la protection numérique des défenseur·ses des droits humains
- Coupures internet
- Surveillance des télécommunications
- Censure et contournement par la dénonciation de « fausses informations »
- Des fournisseurs de télécommunications dépendant du pouvoir ( et/ou liés aux agences de surveillance).