Lorsqu’on analyse les politiques pénales, on observe que ces dernières décennies, en France comme dans la plupart des pays occidentaux, les femmes ont servi à justifier des politiques de plus en plus punitives. La cause des femmes sert de prétexte à la création de nouvelles catégories de crimes et de délits, à l’allongement des peines, mais aussi à des innovations pénales, comme le bracelet électronique, les prélèvements systématiques d’ADN. Les politiques pénales en matière de violences à caractère sexuel, de violences domestiques ou de prostitution – entendue comme un « esclavage sexuel » – prétendent « sauver » les femmes en judiciarisant certains hommes. Bref, il ne faut pas se contenter de regarder ce que les politiques pénales prétendent faire – protéger les femmes – mais analyser quels sont leurs effets sur les femmes et notamment sur les violences faites aux femmes.
Aujourd’hui, le recours à la police et au système pénal est souvent présenté comme une évidence pour lutter contre les violences sexuelles. Des décennies de durcissement des politiques pénales contre les violences sexuelles pour arriver à 94 000 femmes majeures qui déclarent, chaque année, avoir été victimes de viol ou de tentative de viol [en France]. Plus de 550 000 victimes d’agressions sexuelles chaque année ! Je ne vois pas bien comment on pourrait encore essayer de nous faire croire que ce genre de politique finira par marcher. À cela s’ajoute le désastre qu’est la manière dont sont traitées la plupart des victimes, depuis le dépôt de plainte jusqu’à l’éventuel procès. Ce que permet aujourd’hui l’incarcération de certains auteurs de violences sexuelles, c’est la garantie qu’ils ne commettront pas d’agressions sexuelles pendant leur peine – et encore, on fait là un peu vite abstraction des violences sexuelles commises en prison – et le sentiment que tous les crimes ne restent pas impunis. C’est, à mon sens, un lot de consolation bien maigre au regard du crime de masse que sont les violences sexuelles.
Mon travail propose une analyse féministe du système pénal et de ce que celui-ci fait aux femmes. Cela permet de faire plusieurs constats. Tout d’abord, les personnes détenues sont pour l’essentiel des hommes, mais la vie des femmes de leur entourage, mère, sœur, compagne, fille, est souvent affectée par cette incarcération, notamment à travers les diverses formes de travail domestique qui sont attendues d’elles et qui incluent le soutien moral, à travers les visites, le courrier, etc. Par ailleurs, quand on regarde qui sont les femmes qui sont en prison, on note qu’elles partagent de nombreuses caractéristiques avec les hommes détenus : elles sont en grande partie d’origine populaire et issues de l’histoire de la colonisation et des migrations. Mais les femmes détenues ont aussi des particularités. Une très grande proportion d’entre elles ont été victimes de violences sexuelles, qui ont façonné leur parcours de vie, leur isolement social ou leur parcours délictuel. Il faudrait aussi parler de la santé sexuelle et reproductive des femmes incarcérées, de la précarité menstruelle en prison, de l’indignité des conditions d’incarcération des femmes trans dans des prisons pour hommes. En se désintéressant des femmes qui sont en prison et de celles qui ont des proches incarcérés, certains courants du féminisme indiquent quelles sont les origines sociales des femmes qui les composent et à quelles formes d’émancipation ils aspirent. À l’inverse, des mouvements qui se revendiquent d’un féminisme populaire, un féminisme pensé par et pour les femmes racisées, comme l’afroféminisme, réfléchissent et mettent en œuvre une sororité qui ne s’arrête pas aux portes des prisons.