Europe : des drones pour traquer les migrants clandestins ?

Apostolis Fotiadis

, par IPS

 

Cet article a été publié initialement en anglais par Inter Press Service (IPS). Il a été traduit par Cendrine Lindman, traductrice bénévole pour rinoceros.

 

Athènes, le 1er novembre (IPS) - Le communiqué est paru discrètement sur le site de Frontex, Agence européenne pour la lutte contre l’immigration irrégulière. Il s’agit d’un appel d’offres pour faire la démonstration « de petits drones ou UAV (Unmanned Aerial Vehicles, véhicules aériens sans pilote) et de dispositifs fixes pour la surveillance des frontières terrestres » dans le cadre de l’un de ses séminaires.

« En matière de surveillance des frontières terrestres, une large gamme de moyens techniques appropriés pour un contrôle efficace est disponible. Elle inclut des caméras lumière de jour et infrarouges, des radars et détecteurs au sol, des dispositifs mobiles, des avions habités et des satellites. », explique le communiqué.

« Cependant, il est clair que les drones pourraient jouer un rôle important dans l’amélioration de la surveillance des frontières dans le futur, même s’il faut surmonter un certain nombre de difficultés techniques et autres. »

Aussi circonspecte que cette formulation paraisse, Frontex s’intéresse de près à l’introduction de drones pour surveiller es frontières européennes. Michal Parzyszek, le porte-parole de Frontex, a déclaré que l’agence a avait longuement étudié cette possibilité au cours de l’année écoulée.

Frontex a refusé de donner à IPS des détails sur la mise au point ou le déploiement des drones.

Mais le développement d’un système européen intégré de surveillance des frontières (EUROSUR), dans lequel Frontex a une influence majeure, a attiré les industriels en équipements de sécurité et de sûreté, parmi lesquels des drones et autres moyens de surveillance.

Le Forum européen de la recherche et de l’innovation en matière de sécurité (ESRIF), qui s’est déroulé entre 2007 et 2009, a rassemblé des personnes et des groupes de chercheurs, le secteur de la sécurité privée ainsi que des institutions européennes. Frontex est l’un des principaux protagonistes de ce forum.

L’agence, établie en 2004 et opérationnelle l’année suivante, est le bras armé commun de l’Union européenne pour lutter contre les migrations non désirées. Frontex coordonne les patrouilles en mer, les vols de reconnaissance, les opérations navales et terrestres, et apprend aux experts à identifier les pays d’origine des migrants clandestins placés en garde à vue.

Frank Slijper, de l’initiative antimilitariste Campagne Tegen Wapenhandel, précise que le forum était bien plus qu’un espace de partage d’opinions sur les problèmes de sécurité.

« L’ESRIF est le lieu officiel européen de rencontre structurée entre les acteurs de l’offre et de la demande d’équipements et de technologies de sécurité, dit-il. En réalité, tout le monde au forum avait à y gagner. De telles initiatives font progresser l’intégration militaire. »

Slijper ajoute : « Remarquez la quantité de compagnies dans le secteur de l’armement qui font partie de l’ESRIF et ont créé en leur sein une division spécialisée dans les enjeux de sécurité du territoire suite au 11 septembre, puisque c’était un nouveau marché en croissance pour elles. »

Frontex a présidé le troisième groupe de travail (WG3) du forum. Ben Hages, chercheur au Transnational Institute, indique que WG3 a rassemblé 80 membres - 20 du côté de la demande (agences gouvernementales et d’État) et 60 du côté de l’offre (industrie).

Durant les deux dernières années, Frontex a été un participant régulier dans les forums promouvant la « sécurisation » des contrôles aux frontières en Europe, s’alignant sur les positions de groupes de lobby tels que l’ASD (Aerospace and Defence Association) qui défend l’industrie de l’aéronautique en tant que priorité stratégique pour l’Europe, et le SDA (Security and Defence Agenda), un think tank basé à Bruxelles qui constitue une plateforme de rencontre entre institutions européennes et de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), fonctionnaires, représentants de l’industrie, médias internationaux et spécialisés, think tanks, universitaires et ONG.

Une nouvelle clause permet désormais à l’agence d’acquérir de l’équipement directement, ce qui pourrait la faire passer du rôle d’intermédiaire à celui de client. La nouvelle régulation 2010/0039, dont IPS a pris connaissance, confirme la militarisation de la surveillance des frontières et du contrôle des migrations.

Elle donne à Frontex la capacité de rassembler et de traiter les données personnelles des suspects impliqués dans des activités illégales aux frontières, d’acquérir l’équipement nécessaire à la surveillance des frontières, d’intégrer un processus d’intelligence collective pour former les gardes-frontières, d’augmenter et de gérer l’échange d’informations confidentielles.

La réglementation envisage une « augmentation du rôle de la recherche-développement dans le contrôle et la surveillance des frontières externes », ce qui donnerait à l‘agence une position majeure entre la machine administrative des institutions européennes et l’industrie européenne émergente en matière de sécurité du territoire.